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Le Suicide: Etude de Sociologie. Durkheim ÉmileЧитать онлайн книгу.

Le Suicide: Etude de Sociologie - Durkheim Émile


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on peut dire que la loi est absolue et universelle.

      L'époque où a lieu le minimum n'est pas moins régulière: 30 fois sur 34, c'est-à-dire 88 fois sur cent, il arrive en hiver; les quatre autres fois en automne. Les quatre pays qui s'écartent de la règle sont l'Irlande et la Hollande (comme dans le cas précédent) le canton de Berne et la Norwège. Nous savons quelle est la portée des deux premières anomalies; la troisième en a moins encore, car elle n'a été observée que sur un ensemble de 97 suicides. En résumé 26 fois sur 34, soit 76 fois sur cent, les saisons se rangent dans l'ordre suivant: été, printemps, automne, hiver. Ce rapport est vrai sans aucune exception du Danemark, de la Belgique, de la France, de la Prusse, de la Saxe, de la Bavière, du Wurtemberg, de l'Autriche, de la Suisse, de l'Italie et de l'Espagne.

      Non seulement les saisons se classent de la même manière, mais la part proportionnelle de chacune diffère à peine d'un pays à l'autre. Pour rendre cette invariabilité plus sensible, nous avons, dans le tableau XI (V. ci-dessous), exprimé le contingent de chaque saison dans les principaux États européens en fonction du total annuel ramené à mille. On voit que les mêmes séries de nombres reviennent presque identiquement dans chaque colonne.

      Tableau XI

       Part proportionnelle de chaque saison dans le total annuel des suicides de chaque pays.

      De ces faits incontestables Ferri et Morselli ont conclu que la température avait sur la tendance au suicide une influence directe; que la chaleur, par l'action mécanique qu'elle exerce sur les fonctions cérébrales, entraînait l'homme à se tuer. Ferri a même essayé d'expliquer de quelle manière elle produisait cet effet. D'une part, dit-il, la chaleur augmente l'excitabilité du système nerveux; de l'autre, comme, avec la saison chaude, l'organisme n'a pas besoin de consommer autant de matériaux pour entretenir sa propre température au degré voulu, il en résulte une accumulation de forces disponibles qui tendent naturellement à trouver leur emploi. Pour cette double raison, il y a, pendant l'été, un surcroît d'activité, une pléthore de vie qui demande à se dépenser et ne peut guère se manifester que sous forme d'actes violents. Le suicide est une de ces manifestations, l'homicide en est une autre, et voilà pourquoi les morts volontaires se multiplient pendant cette saison en même temps que les crimes de sang. D'ailleurs, l'aliénation mentale, sous toutes ses formes, passe pour se développer à cette époque; il est donc naturel, a-t-on dit, que le suicide, par suite des rapports qu'il soutient avec la folie, évolue de la même manière.

      Cette théorie, séduisante par sa simplicité, paraît, au premier abord, concorder avec les faits. Il semble même qu'elle n'en soit que l'expression immédiate. En réalité, elle est loin d'en rendre compte.

      III

      En premier lieu, elle implique une conception très contestable du suicide. Elle suppose, en effet, qu'il a toujours pour antécédent psychologique un état de surexcitation, qu'il consiste en un acte violent et n'est possible que par un grand déploiement de force. Or, au contraire, il résulte très souvent d'une extrême dépression. Si le suicide exalté ou exaspéré se rencontre, le suicide morne n'est pas moins fréquent; nous aurons l'occasion de l'établir. Mais il est impossible que la chaleur agisse de la même manière sur l'un et sur l'autre; si elle stimule le premier, elle doit rendre le second plus rare. L'influence aggravante qu'elle pourrait avoir sur certains sujets serait neutralisée et comme annulée par l'action modératrice qu'elle exercerait sur les autres; par conséquent, elle ne pourrait pas se manifester, surtout d'une façon aussi sensible, à travers les données de la statistique. Les variations qu'elles présentent selon les saisons doivent donc avoir une autre cause. Quant à y voir un simple contre-coup des variations similaires que subirait, au même moment, l'aliénation mentale, il faudrait, pour pouvoir accepter cette explication, admettre entre le suicide et la folie une relation plus immédiate et plus étroite que celle qui existe. D'ailleurs, il n'est même pas prouvé que les saisons agissent de la même manière sur ces deux phénomènes[87], et, quand même ce parallélisme serait incontestable, il resterait encore à savoir si ce sont les changements de la température saisonnière qui font monter et descendre la courbe de l'aliénation mentale. Il n'est pas sûr que des causes d'une tout autre nature ne puissent produire ou contribuer à produire ce résultat.

      Mais, de quelque manière qu'on explique cette influence attribuée à la chaleur, voyons si elle est réelle.

      Il semble bien résulter de quelques observations que les chaleurs trop violentes excitent l'homme à se tuer. Pendant l'expédition d'Égypte, le nombre des suicides augmenta, paraît-il, dans l'armée française et on imputa cet accroissement à l'élévation de la température. Sous les tropiques, il n'est pas rare de voir des hommes se précipiter brusquement à la mer quand le soleil darde verticalement ses rayons. Le docteur Dietrich raconte que, dans un voyage autour du monde accompli de 1844 à 1847 par le comte Charles de Gortz, il remarqua une impulsion irrésistible, qu'il nomme the horrors, chez les marins de l'équipage et qu'il décrit ainsi: «Le mal, dit-il, se manifeste généralement dans la saison d'hiver lorsque, après une longue traversée, les marins ayant mis pied à terre, se placent sans précautions autour d'un poële ardent et se livrent, suivant l'usage, aux excès de tout genre. C'est en rentrant à bord que se déclarent les symptômes du terrible horrors. Ceux que l'affection atteint sont poussés par une puissance irrésistible à se jeter dans la mer, soit que le vertige les saisisse au milieu de leurs travaux, au sommet des mâts, soit qu'il survienne durant le sommeil dont les malades sortent violemment en poussant des hurlements affreux». On a également observé que le sirocco, qui ne peut souffler sans rendre la chaleur étouffante, a sur le suicide une influence analogue[88].

      Mais elle n'est pas spéciale à la chaleur; le froid violent agit de même. C'est ainsi que, pendant la retraite de Moscou, notre armée, dit-on, fut éprouvée par de nombreux suicides. On ne saurait donc invoquer ces faits pour expliquer comment il se fait que, régulièrement, les morts volontaires sont plus nombreuses en été qu'en automne, et en automne qu'en hiver; car tout ce qu'on en peut conclure, c'est que les températures extrêmes, quelles qu'elles soient, favorisent le développement du suicide. On comprend, du reste, que les excès de tout genre, les changements brusques et violents survenus dans le milieu physique, troublent l'organisme, déconcertent le jeu normal des fonctions et déterminent ainsi des sortes de délires au cours desquels l'idée du suicide peut surgir et se réaliser, si rien ne la contient. Mais il n'y a aucune analogie entre ces perturbations exceptionnelles et anormales et les variations graduées par lesquelles passe la température dans le cours de chaque année. La question reste donc entière. C'est à l'analyse des données statistiques qu'il faut en demander la solution.

      Si la température était la cause fondamentale des oscillations que nous avons constatées, le suicide devrait régulièrement varier comme elle. Or il n'en est rien. On se tue beaucoup plus au printemps qu'en automne, quoiqu'il fasse alors un peu plus froid:

      Ainsi, tandis que le thermomètre monte de 0°,9 en France, et de 0°,2 en Italie, le chiffre des suicides diminue de 21 % dans le premier de ces pays et de 35 % dans l'autre. De même, la température de l'hiver est, en Italie, beaucoup plus basse que celle de l'automne (2°,3 au lieu de 13°, 1), et pourtant, la mortalité-suicide est à peu près la même dans les deux saisons (196 cas d'un côté, 194 de l'autre). Partout, la différence entre le printemps et l'été est très faible pour les suicides, tandis qu'elle est très élevée pour la température. En France, l'écart est de 78 % pour l'une et seulement de 8 % pour l'autre; en Prusse, il est respectivement de 121 % et de 4 %.

      Cette indépendance par rapport à la température est encore plus sensible si l'on observe le mouvement des suicides, non plus par saisons, mais par mois. Ces variations mensuelles sont, en effet, soumises à la loi suivante qui s'applique à tous les pays d'Europe: À partir du mois de janvier inclus la marche du suicide est régulièrement ascendante de mois en mois jusque vers juin et régulièrement régressive à partir de ce moment jusqu'à la fin de l'année. Le plus généralement, 62 fois sur cent, le maximum tombe en juin, 25 fois en mai et 12 fois


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