Le magasin d'antiquités. Tome I. Чарльз ДиккенсЧитать онлайн книгу.
bientôt minuit, mon garçon, et vous êtes encore ici! Retournez chez vous, retournez chez vous, et demain matin soyez exact, car il y a de l'ouvrage à faire. Bonne nuit! Souhaite-lui le bonsoir, Nelly, et qu'il s'en aille.
– Bonsoir, Kit, dit l'enfant, les yeux brillants de gaieté et d'amitié.
– Bonsoir, miss Nell, répondit le jeune garçon.
– Et remerciez ce gentleman, reprit le vieillard; sans ses bons soins, j'aurais pu perdre cette nuit ma petite-fille.
– Non, non, maître, s'écria Kit, pas possible, pas possible.
– Comment?
– Je l'aurais retrouvée, maître, je l'aurais retrouvée. Je parie que je l'aurais retrouvée et aussi vite que qui que ce soit, pourvu qu'elle fût encore sur la terre. Ha! ha! ha!»
Ouvrant de nouveau sa large bouche en même temps qu'il fermait les yeux et poussait un éclat de rire d'une voix de stentor, Kit gagna la porte à reculons en continuant de crier. Une fois hors de la chambre, il ne fut pas long à décamper.
Après son départ, et tandis que l'enfant était occupée à desservir, le vieillard dit:
«Monsieur, je n'ai pas paru suffisamment reconnaissant de ce que vous avez fait pour moi ce soir, mais je vous en remercie humblement et de tout coeur; Nelly en fait autant, et ses remercîments valent mieux que les miens. Je serais au regret si, en partant, vous emportiez l'idée que je ne suis pas assez pénétré de votre bonté ou que je n'ai pas souci de mon enfant… car certainement, cela n'est pas!
– Je n'en puis douter, dis-je, après ce que j'ai vu. Mais permettez-moi de vous adresser une question.
– Volontiers, monsieur; qu'est-ce?
– Cette charmante enfant, avec tant de beauté et d'intelligence, n'a-t-elle que vous au monde pour prendre soin d'elle? pas d'autre compagnie? d'autre guide?
– Non, non, dit-il, me regardant en face avec anxiété; non, et elle n'a pas besoin d'en avoir d'autre.
– Ne craignez-vous pas de vous méprendre sur les nécessités de son éducation et de son âge? Je suis certain de vos excellentes intentions; mais vous-même, êtes-vous bien certain de pouvoir remplir une mission comme celle-là? Je suis un vieillard ainsi que vous; vieillard, je m'intéresse à ce qui est jeune et plein d'avenir. Avouez-le, dans tout ce que j'ai vu cette nuit de vous et de cette petite créature, n'y a-t-il pas quelque chose qui peut mêler de l'inquiétude à cet intérêt?»
Mon hôte garda d'abord le silence, puis il répondit:
«Je n'ai pas le droit de m'offenser de vos paroles. Il est bien vrai qu'à certains égards nous sommes, moi l'enfant, et Nelly la grande personne, ainsi que vous avez pu le remarquer déjà. Mais que je sois éveillé ou endormi, la nuit comme le jour, malade ou en bonne santé, cette enfant est l'unique objet de ma sollicitude; et si vous saviez de quelle sollicitude, vous me regarderiez d'un oeil bien différent. Ah! c'est une vie pénible pour un vieillard, une vie pénible, bien pénible; mais j'ai devant moi un but élevé, et je ne le perds jamais de vue!»
En le voyant dans ce paroxysme d'exaltation fébrile, je me mis en devoir de reprendre un pardessus que j'avais déposé en entrant dans la chambre, résolu à ne rien dire de plus. Je vis avec étonnement la petite fille qui se tenait patiemment debout, avec un manteau sur le bras, et à la main un chapeau et une canne.
«Ceci n'est pas à moi, ma chère, lui dis-je.
– Non, répondit-elle tranquillement, c'est à mon grand-père.
– Mais il ne sort pas à minuit…
– Pardon, il va sortir, dit-elle en souriant.
– Mais vous? Qu'est-ce que vous devenez pendant ce temps-là, chère petite?
– Moi? Je reste ici naturellement. C'est comme cela tous les soirs.»
Je regardai le vieillard avec surprise: mais il était ou feignait d'être occupé du soin de s'arranger pour sortir. Mon regard se reporta de lui sur cette douce et frêle enfant. Toute seule! dans ce lieu sombre; seule, toute une longue et triste nuit!
Elle ne parut pas s'apercevoir de ma stupéfaction; mais elle aida gaiement le vieillard à mettre son manteau: lorsqu'il fut prêt, elle prit un flambeau pour nous éclairer. Voyant que nous ne la suivions pas assez vite, elle se retourna le sourire aux lèvres et nous attendit. La cause de mon hésitation n'avait pas échappé au vieillard; l'expression de sa physionomie le prouvait; mais il se borna à m'inviter, en inclinant la tête, à passer devant lui, et il garda le silence. Il ne me restait qu'à obéir.
Lorsque nous eûmes franchi la porte, l'enfant posa son flambeau à terre, me souhaita le bonsoir et leva vers moi son visage pour m'embrasser. Puis elle s'élança vers le vieillard, qui la serra dans ses bras et appela sur elle les bénédictions de Dieu.
«Dors bien, Nell, dit-il doucement, et que les anges gardiens veillent sur toi dans ton lit! N'oublie pas tes prières, ma mignonne.
– Non, certes, s'écria-t-elle avec ardeur; je suis si heureuse de prier!
– Oui, je le sais, cela te fait du bien et cela doit être. Mille bénédictions! Demain matin, de bonne heure, je serai ici.
– Vous n'aurez pas besoin de sonner deux fois. La sonnette m'éveille, même au beau milieu d'un rêve.»
Ce fut ainsi qu'ils se séparèrent. L'enfant ouvrit la porte, maintenant protégée par un volet que Kit y avait appliqué, en sortant, et avec un dernier adieu dont la douceur et la tendresse sont bien souvent revenues à ma mémoire, elle la tint entr'ouverte jusqu'à ce que nous fussions passés. Le vieillard s'arrêta un moment pour entendre la porte se refermer et les verrous se tirer à l'intérieur, ensuite, rassuré à cet égard, il se mit à marcher à pas lents. Au coin de la rue, il s'arrêta. Me regardant avec un certain embarras, il me dit que nous n'allions pas du tout par le même chemin et qu'il était obligé de me quitter. J'avais envie de répondre: mais, avec une vivacité que son extérieur ne m'eût pas permis de supposer, il s'éloigna précipitamment. Je remarquai qu'à plusieurs reprises il tourna la tête comme pour s'assurer si je ne l'épiais pas ou si je ne le suivais pas à quelque distance. À la faveur de l'obscurité de la nuit, il disparut bientôt à mes yeux.
J'étais demeuré immobile à la place même où il m'avait quitté, sans pouvoir m'en aller et pourtant sans savoir pourquoi je perdais mon temps à rester là. Je regardai tout pensif dans la rue d'où nous venions de sortir, et bientôt je m'acheminai de ce côté. Je passai et repassai devant la maison; je m'arrêtais; j'écoutais à la porte: tout était sombre et silencieux comme la tombe.
Cependant je rôdais autour de cette maison sans réussir à m'en arracher, pensant à tous les dangers qui pouvaient menacer l'enfant: incendie, vol, meurtre même, et me figurant qu'il allait arriver quelque malheur si je me retirais. Le bruit d'une porte ou d'une croisée qu'on fermait dans la rue me ramenait de nouveau devant le logis du marchand de curiosités. Je traversais le ruisseau pour regarder la maison et m'assurer que ce n'était pas de là que venait le bruit: mais non, la maison était restée noire, froide, sans vie.
Il passait peu de monde; la rue était triste et morne; il n'y avait presque que moi. Quelques traînards, sortis des théâtres, marchaient à la hâte, et, de temps en temps, je me jetais de côté pour éviter un ivrogne tapageur qui regagnait sa demeure en chancelant; mais c'étaient des incidents rares et qui même cessèrent bientôt tout à fait. Une heure sonna à toutes les horloges. Je me remis à arpenter le terrain, me promettant sans cesse que ce serait la dernière fois, et chaque fois me manquant de parole, sous quelque nouveau prétexte, comme je l'avais fait déjà si souvent.
Plus je pensais aux discours, au regard, au maintien du vieillard, moins je parvenais à me rendre compte de ce que j'avais vu et entendu. Un pressentiment qui me dominait me disait que le but de cette absence nocturne ne pouvait être bon. Je n'avais eu connaissance du fait que par la naïveté indiscrète de l'enfant; et bien que le vieillard fût là, bien qu'il eût été témoin de ma surprise non équivoque, il avait gardé un étrange mystère sur