La comtesse de Rudolstadt. Жорж СандЧитать онлайн книгу.
d'attribuer à ce dernier les notions de M. de Saint-Germain sur sa position.
– N'accusez pas ce pauvre Supperville, reprit le comte. Il n'a rien dit, si ce n'est à la princesse Amélie, pour lui faire sa cour. Ce n'est pas de lui que je tiens le fait.
– Et de qui donc, en ce cas, Monsieur?
– Je le tiens du comte Albert de Rudolstadt lui-même. Je sais bien que vous allez me dire qu'il est mort pendant qu'on achevait la cérémonie religieuse de votre hyménée; mais je vous répondrai qu'il n'y a pas de mort, que personne, que rien ne meurt, et que l'on peut s'entretenir encore avec ce que le vulgaire appelle les trépassés, quand on connaît leur langage et les secrets de leur vie.
– Puisque vous savez tant de choses, Monsieur, vous n'ignorez peut-être pas que de semblables assertions ne me peuvent aisément convaincre, et qu'elles me font beaucoup de mal, en me présentant sans cesse l'idée d'un malheur que je sais être sans remède, en dépit des promesses menteuses de la magie.
– Vous avez raison d'être en garde contre les magiciens et les imposteurs. Je sais que Cagliostro vous a effrayée d'une apparition au moins intempestive. Il a cédé à la gloriole de vous montrer son pouvoir, sans s'inquiéter de la disposition de votre âme et de la sublimité de sa mission. Cagliostro n'est cependant pas un imposteur, tant s'en faut! Mais c'est un vaniteux, et c'est par là qu'il a mérité souvent le reproche de charlatanisme.
– Monsieur le comte, on vous fait le même reproche; et comme cependant on ajoute que vous êtes un homme supérieur, je me sens le courage de vous dire franchement les préventions qui combattent mon estime pour vous.
– C'est parler avec la noblesse qui convient à Consuelo, répondit M. de Saint-Germain avec calme, et je vous sais gré de faire cet appel à ma loyauté. J'en serai digne, et je vous parlerai sans mystère. Mais nous voici à votre porte, et le froid, ainsi que l'heure avancée, me défendent de vous retenir ici plus longtemps. Si vous voulez apprendre des choses de la dernière importance, et d'où votre avenir dépend, permettez-moi de vous entretenir en liberté.
– Si Votre Seigneurie veut venir me voir dans la journée, je l'attendrai chez moi à l'heure qu'elle m'indiquera.
– Il faut que je vous parle demain; et demain vous recevrez la visite de Frédéric, que je ne veux pas rencontrer, parce que je ne fais aucun cas de lui.
– De quel Frédéric voulez-vous parler, monsieur le comte?
– Oh! ce n'est pas de notre ami Frédéric de Trenck que nous avons réussi à tirer de ses mains. C'est de ce méchant petit roi de Prusse qui vous fait la cour. Tenez, il y aura demain grande redoute à l'Opéra: soyez-y. Quelque déguisement que vous preniez, je vous reconnaîtrai et me ferai reconnaître de vous. Dans cette cohue, nous trouverons l'isolement et la sécurité. Autrement, mes relations avec vous amasseraient de grands malheurs sur des têtes sacrées. A demain donc, madame la comtesse!»
En parlant ainsi, le comte de Saint-Germain salua profondément Consuelo et disparut, la laissant pétrifiée de surprise au seuil de sa demeure.
«Il y a décidément, dans ce royaume de la raison, une conspiration permanente contre la raison, se disait la cantatrice en s'endormant. A peine ai-je échappé à un des périls qui menacent la mienne, qu'un autre se présente. La princesse Amélie m'avait donné l'explication des dernières énigmes, et je me croyais bien tranquille; mais, au même instant, nous rencontrons, ou du moins nous entendons la balayeuse fantastique, qui se promène dans ce château du doute, dans cette forteresse de l'incrédulité, aussi tranquillement qu'elle l'eût fait il y a deux cents ans. Je me débarrasse de la frayeur que me causait Cagliostro, et voici un autre magicien qui parait encore mieux instruit de mes affaires. Que ces devins tiennent registre de tout ce qui concerne la vie des rois et des personnages puissants ou illustres, je le conçois; mais que moi, pauvre fille humble et discrète, je ne puisse dérober aucun fait de ma vie à leurs investigations, voilà qui me confond et m'inquiète malgré moi. Allons, suivons le conseil de la princesse. Comptons que l'avenir expliquera encore ce prodige, et, en attendant, abstenons-nous de juger. Ce qu'il y aurait de plus extraordinaire peut-être dans celui-ci, c'est que la visite du roi, prédite par M. de Saint-Germain, eût lieu effectivement demain. Ce sera la troisième fois seulement que le roi sera venu chez moi. Ce M. de Saint-Germain serait-il son confident? On dit qu'il faut se méfier surtout de ceux qui parlent mal du maître. Je tâcherai de ne pas l'oublier.»
Le lendemain, à une heure précise, une voiture sans livrée et sans armoiries entra dans la cour de la maison qu'habitait la cantatrice, et le roi, qui l'avait fait prévenir, deux heures auparavant, d'être seule et de l'attendre, pénétra dans ses appartements le chapeau sur l'oreille gauche, le sourire sur les lèvres, et un petit panier à la main.
«Le capitaine Kreutz vous apporte des fruits de son jardin, dit-il. Des gens malintentionnés prétendent que cela vient des jardins de Sans-Souci, et que c'était destiné au dessert du roi. Mais le roi ne pense point à nous, Dieu merci, et le petit baron vient passer une heure ou deux avec sa petite amie.»
Cet agréable début, au lieu de mettre Consuelo à son aise, la troubla étrangement. Depuis qu'elle conspirait contre sa volonté en recevant les confidences de la princesse Amélie, elle ne pouvait plus braver avec une impassible franchise le royal inquisiteur. Il eût fallu désormais le ménager, le flatter peut-être, détourner ses soupçons par d'adroites agaceries. Consuelo sentait que ce rôle ne lui convenait pas, quelle le jouerait mal, surtout s'il était vrai que Frédéric eût du goût pour elle, comme on disait à la cour, où l'on eût cru rabaisser la majesté royale en se servant du mot d'amour à propos d'une comédienne. Inquiète et troublée, Consuelo remercia gauchement le roi de l'excès de ses bontés, et tout aussitôt la physionomie du roi changea, et devint aussi morose qu'elle s'était annoncée radieuse.
«Qu'est-ce, dit-il brusquement en fronçant le sourcil. Avez-vous de l'humeur? êtes-vous malade? pourquoi m'appelez-vous sire? Ma visite vous dérange de quelque amourette?
– Non, Sire, répondit la jeune fille en reprenant la sérénité de la franchise. Je n'ai ni amourette ni amour.
– A la bonne heure! Quand cela serait, après tout, que m'importe? mais j'exigerais que vous m'en fissiez l'aveu.
– L'aveu? M. le capitaine veut dire la confidence, sans doute?
– Expliquez la distinction.
– Monsieur le capitaine la comprend de reste.
– Comme vous voudrez; mais distinguer n'est pas répondre. Si vous étiez amoureuse, je voudrais le savoir.
– Je ne comprends pas pourquoi.
– Vous ne le comprenez pas du tout? regardez-moi donc en face. Vous avez le regard bien vague aujourd'hui!
– Monsieur le capitaine, il me semble que vous voulez singer le roi. On dit, que quand il interroge un accusé, il lui lit dans le blanc des yeux. Croyez-moi, ces façons-là ne vont qu'à lui; et encore, s'il venait chez moi pour me les faire subir, je le prierais de retourner à ses affaires.
– C'est cela; vous lui diriez: «Va te promener, Sire.»
– Pourquoi non? La place du roi est sur son cheval ou sur son trône, et s'il avait le caprice de venir chez moi, je serais en droit de ne pas le souffrir maussade.
– Vous auriez raison; mais dans tout cela vous ne me répondez pas. Vous ne voulez pas me prendre pour le confident de vos prochaines amours?
– Il n'y a point de prochaines amours pour moi, je vous l'ai dit souvent, baron.
– Oui, en riant, parce que je vous interrogeais de même; mais si je parle sérieusement à cette heure?
– Je réponds de même.
– Savez-vous que vous êtes une singulière personne?
– Pourquoi cela?
– Parce que vous êtes la seule femme de théâtre qui ne soit pas occupée de belles passions ou de galanterie.
– Vous avez une mauvaise