La coucaratcha. I. Эжен СюЧитать онлайн книгу.
il va le faire tout à l'heure, il nous met tous aux fers, et nous mène en Angleterre pour faire un exemple.
Ma foi, là, je me tortille tant des pieds et des mains, que je dérâpe du ponton, je file à la côte, je fais marché avec un contrebandier qui me débarque à Calais. De Calais je viens à Brest: – Je vois cette jolie goëlette en armement, je fais mon plan avec des amis que j'embauche; la malice des figures ne va pas mal; cette nuit, nous envoyons le capitaine d'ici par-dessus le bord avec ses dix faï-chiens de Normands; tout va bien, très-bien, et il faut qu'au petit jour, nous ayons pour réveil-matin une visite de ce gueux d'Anglais. Le même de la fois du lougre, c'est un entêtement ridicule de la part du bon Dieu; enfin l'Anglais, ce gueux de même Anglais est venu à bord, a visité les papiers, m'a reconnu, et comme j'ai tout avoué, vu que sans cela j'aurais été pendu tout de même, il va faire notre affaire tout de suite, pour que ça ne soit pas remis indéfiniment, nous souquer à tous un bout de filin autour du cou, car il est bien sûr de ne pas rencontrer parmi nous un cardinal ou un évêque. – Je te parie que dans une heure, quoique tu m'aies l'air d'un chanteur, tu auras la respiration si gênée, que tu ne pourras seulement pas chanter: J'ai du bon tabac… Ah! mais voilà le signal, pavillon rouge en berne, c'est la danse… Adieu, mon agneau… Aussi, pourquoi diable m'as-tu appelé intrigant!..
Il était moralement et physiquement impossible à Narcisse Gelin de répondre un mot; il se résigna, se confia à la Providence, ferma les yeux et sentit son cœur faillir.
Il ne pensait plus du tout à la poésie, et tout ceci était poétique pourtant, ce beau ciel, cette mer bleue, ces pirates garrottés, ces costumes pittoresques, cette justice si franche et si brutale, ce Benard avec sa force colossale, sa vie errante, ses crimes, sa piraterie.
Il faut l'avouer à la honte du fils du mercier, rien de tout cela ne trouva écho dans son âme; il ne pensait qu'à une chose, à la corde qui allait lui serrer le cou, et d'avance son gosier se contractait tellement, qu'il n'aurait pu avaler une goutte d'eau. Le pirate Benard avait merveilleusement deviné le phénomène physiologique: ainsi qu'il l'avait annoncé à Narcisse Gelin, ce dernier eût été dans l'entière impossibilité de chanter: J'ai du bon tabac…
On passa les pirates l'un après l'autre à bord du brick. L'un après l'autre on les hissa au bout-dehors de la grande vergue et au bout d'un cartahul, en réservant Benard pour la bonne bouche, comme il disait plaisamment.
Narcisse Gelin et Benard restaient tous deux seuls:
– Après vous, lui dit Benard en ricanant; et quand le fils du mercier se sentit guinder au bout du cordage, les derniers mots qu'il entendit furent: Ah! je suis un intrigant?
Plaignez le poète.
– C'est tout de même vexant de manquer une aussi belle affaire, murmurait Benard à moitié chemin de la vergue.
Quand sa tête toucha la bouline: – ah! dit-il, voilà que je vais faire couic…
Et puis ce fut tout. Les corps des forbans furent jetés à la mer.
On mit un équipage à bord de la goélette, qui gagna Portsmouth avec le brick.
Le père de Narcisse Gelin dit quelquefois d'un air de supériorité à son voisin Jamot l'épicier: Mon fils le poète est aux îles… il doit y faire une fameuse fortune.
Depuis trois mois il attend une lettre de Narcisse.
CABALLO NEGRO Y PERRO BLANCO
C'est un bonheur que rencontre souvent la folie…
Si nous n'avions jamais aimé si tendrement, si nous n'avions
jamais aimé si aveuglément, si nous ne nous étions jamais vus,
jamais quittés, nous n'aurions jamais en nos cœurs brisés…
A tu – por – tu – Para tu —
Azul y negro.
§ Ier
On dit que la folie est un mal, on a tort, c'est un bien. – Pour le fou pas de déception possible. – Le fou qui se croit roi, ne perd jamais son royaume. – Le fou qui se croit Dieu, ne voit jamais ses autels abattus. – Le fou est peut-être le seul dont la journée soit pleine; pour lui, jamais de ces moments de vide, de ces heures de néant, où l'âme s'engourdit et se glace. – Comme le grelot sonore qui, tremblant au bonnet du fou, ne rend qu'un son, mais bruit sans cesse… L'âme du fou ne renferme qu'une pensée, mais cette pensée retentit et vibre incessamment.
Le fou aime tout le monde, car il n'y a pour lui ni envieux, ni méchant… si pourtant… il a un ennemi implacable, acharné, qu'il redoute par instinct, – c'est le médecin. Cet ennemi qui tâche de lui rendre la raison, qui s'obstine à saper son trône, si la folie, fée prodigue et bienfaisante, l'a doté d'un trône. Cet ennemi qui vient méchamment briser ses beaux diamants aux facettes scintillantes, aux aigrettes de feu… Si la fée lui a ouvert les mines éblouissantes de s'Talphaan.
Pauvre… pauvre fou… il ne demande au monde qu'une couronne de carton… pour diadème… que quelques cailloux pour écrin; et on veut encore les lui ôter! – En vérité, c'est peut-être son infernale habitude d'envie et d'égoïsme qui pousse la société à dire à cette heureuse et folle créature: ta vie est concentrée dans une illusion qui fait ton bonheur, ta joie de chaque moment; tu prends ce carton pour une couronne impériale… ce n'est que du carton, du vil carton fait avec de sales guenilles.. entends-tu bien;.. vois plutôt. – Et les douches aidant, on le lui prouve; il y a des maisons pour cela, qu'on appelle philanthropiques.
On dit que la folie est un mal, on a tort: c'est un bien; – c'est une puissante et profonde exaltation de l'intelligence, – c'est une vie toute spiritualisée; – une ivresse perpétuelle, une extase sans fin pour le fou. La folie est plus qu'un rêve, plus qu'une vision, c'est même quelque chose de plus que notre réalité à nous, car notre réalité peut nous échapper, la sienne jamais. – Le fou est poète, il fait de la poésie en action, de la poésie toute positive, il la crée, il la voit, il la touche. – La pierre brute et terne à laquelle il dit: tu seras étincelante de mille rayons… étincelle à ses yeux. S'il dit aux guichetiers, à vous, à moi: – Vous êtes ma cour, vous êtes mes gentilshommes tout couverts d'or et de soie, à ses yeux, cela est ainsi qu'il l'a dit.
Enviez donc le fou qui voit ce qui n'est pas, et plaignez l'homme de froide raison qui voit ce qui est. – Enviez surtout l'insensé qui n'a plus la mémoire: – cette plaie terrible de l'humanité qui flétrit l'avenir par le passé; la mémoire qui fait retentir la douleur d'un jour, jusqu'au dernier de nos jours; la mémoire qui est aux chagrins profonds, ce que l'écho est au bruit.
Si vous doutez du bonheur des fous… alors écoutez une histoire bien vraie et bien malheureuse:
§ II
Prédia est un riche, riche village de cette belle Andalousie si brune et si dorée; la jolie rivière de Guadaléta le traverse et roule ses flots d'argent sous les noirs et gothiques arceaux d'un pont autrefois bâti par les Maures. Il y a sur les piliers de ce pont de belles campanules vertes, à fleurs roses qui courent sur les sculptures effacées, et jettent chaque année de nouveaux germes dans les cassures de ces vieilles pierres tristes et sombres.
Au bout de ce pont, du côté de la plaine, est une maison silencieuse et isolée. – Des palmiers et des acacias touffus, formant un épais rideau de verdure, voilent et ombragent ces murailles; aussi de cette maison on aperçoit seulement la terrasse, et encore la tente dont elle est couverte ne se déroule-t-elle qu'au souffle de la brise du soir, brise fraîche et parfumée qui, venant de la mer, traverse de grands bois d'orangers en fleurs. – Cette maison est celle de Roméro.
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