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Nouveaux Contes à Ninon. Emile ZolaЧитать онлайн книгу.

Nouveaux Contes à Ninon - Emile Zola


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C'est en venant vous enfermer dans le purgatoire de la pénitence, ouvert par l'Église pendant ces jours de contrition universelle; c'est en usant les dalles sous vos fronts pâlis par le jeûne, en descendant dans les angoisses de la faim et du froid, du silence et de la nuit, que vous mériterez le pardon divin, au jour fulgurant du triomphe!

      La petite baronne, tirée de sa préoccupation par ce terrible éclat, dodelina de la tête, lentement, comme étant tout à fait de l'avis du prêtre courroucé. Il fallait prendre des verges, se mettre dans un coin bien noir, bien humide, bien glacial, et là se donner le fouet; cela ne faisait pas de doute pour elle.

      Puis, elle retomba dans ses songeries; elle se perdit au fond d'un bien-être, d'une extase attendrie. Elle était assise à l'aise sur une chaise basse, à large dossier, et elle avait sous les pieds un coussin brodé, qui lui empêchait de sentir le froid de la dalle. A demi renversée, elle jouissait de l'église, de ce grand vaisseau où traînaient des vapeurs d'encens, dont les profondeurs, pleines d'ombres mystérieuses, s'emplissaient d'adorables visions. La nef, avec ses tentures de velours rouge, ses ornements d'or et de marbre, avec son air d'immense boudoir plein de senteurs troublantes, éclairé de clartés tendres de veilleuse, clos et comme prêt pour des amours surhumains, l'avait peu à peu enveloppée du charme de ses pompes. C'était la fête de ses sens. Sa jolie personne grasse s'abandonnait, flattée, bercée, caressée. Et sa volupté venait surtout de se sentir si petite dans une si grande béatitude.

      Mais à son insu, ce qui la chatouillait encore le plus délicieusement, c'était l'haleine tiède de la bouche de chaleur ouverte presque sous ses jupes. Elle était très-frileuse, la petite baronne. La bouche de chaleur soufflait discrètement ses caresses chaudes le long de ses bas de soie. Des assoupissements la prenaient, dans ce bain d'une souplesse molle.

IV

      Le vicaire était toujours en plein courroux. Il plongeait toutes les dévotes présentes dans l'huile bouillante de l'enfer.

      – Si vous n'écoutez pas la voix de Dieu, si vous n'écoutez pas ma voix qui est celle de Dieu lui-même, je vous le dis en vérité, vous entendrez un jour vos os craquer d'angoisse, vous sentirez votre chair se fendre sur des charbons ardents, et alors c'est en vain que vous crierez: «Pitié, Seigneur, pitié, je me repens!» Dieu sera sans miséricorde, et du pied vous rejettera dans l'abîme!

      A ce dernier trait, il y eut un frisson dans l'auditoire. La petite baronne, qu'endormait décidément l'air chaud qui courait dans ses jupes, sourit vaguement. Elle connaissait beaucoup le vicaire, la petite baronne. La veille, il avait dîné chez elle. Il adorait le pâté de saumon truffé, et le pomard était son vin favori. C'était, certes, un bel homme, trente-cinq à quarante ans, brun, le visage si rond et si rose, qu'on eût volontiers pris ce visage de prêtre pour la face réjouie d'une servante de ferme. Avec cela, homme du monde, belle fourchette, langue bien pendue. Les femmes l'adoraient, la petite baronne en raffolait. Il lui disait d'une voix si adorablement sucrée: «Ah! madame, avec une telle toilette, vous damneriez un saint.»

      Et il ne se damnait pas, le cher homme. Il courait débiter à la comtesse, à la marquise, à ses autres pénitentes, la même galanterie, ce qui en faisait l'enfant gâté de ces dames.

      Quand il allait dîner chez la petite baronne, le jeudi, elle le soignait en chère créature que le moindre courant d'air pourrait enrhumer, et à laquelle un mauvais morceau donnerait infailliblement une indigestion. Au salon, son fauteuil était au coin de la cheminée; à table, les gens de service avaient ordre de veiller particulièrement sur son assiette, de verser à lui seul un certain pomard, âgé de douze ans, qu'il buvait en fermant les yeux de ferveur, comme s'il eût communié.

      Il était si bon, si bon, le vicaire! Tandis que, du haut de la chaire, il parlait d'os qui craquent et de membres qui grillent, la petite baronne, dans l'état de demi-sommeil où elle était, le voyait à sa table, s'essuyant béatement les lèvres, lui disant: «Voici, chère madame, une bisque qui vous ferait trouver grâce auprès de Dieu le Père, si votre beauté ne suffisait déjà pas pour vous assurer le paradis.»

V

      Le vicaire, quand il eut usé de la colère et de la menace, se mit à sangloter. C'était, d'habitude, sa tactique. Presque à genoux dans la chaire, ne montrant plus que les épaules, puis, tout d'un coup, se relevant, se pliant, comme abattu par la douleur, il s'essuyait les yeux, avec un grand froissement de mousseline empesée, il jetait ses bras en l'air, à droite, à gauche, prenant des poses de pélican blessé. C'était le bouquet, le final, le morceau à grand orchestre, la scène mouvementée du dénoûment.

      – Pleurez, pleurez, larmoyait-il, la parole expirante; pleurez sur vous, pleurez sur moi, pleurez sur Dieu…

      La petite baronne dormait tout à fait, les yeux ouverts. La chaleur, l'encens, l'ombre croissante, l'avaient comme engourdie. Elle s'était pelotonnée, elle s'était renfermée dans les sensations voluptueuses qu'elle éprouvait; et, sournoisement, elle rêvait des choses très-agréables.

      A côté d'elle, dans la chapelle des Saints-Anges, il y avait une grande fresque, représentant un groupe de beaux jeunes hommes, à demi nus, avec des ailes dans le dos. Ils souriaient, d'un sourire d'amants transis, tandis que leurs attitudes penchées, agenouillées, semblaient adorer quelque petite baronne invisible. Les beaux garçons, lèvres tendres, peau de satin, bras musculeux! Le pis était qu'un d'entre eux ressemblait absolument au jeune duc de-P… un des bons amis de la petite baronne. Dans son assoupissement, elle se demandait si le duc serait bien nu, avec des ailes dans le dos. Et, par moment, elle s'imaginait que le grand chérubin rose portait l'habit noir du duc. Puis, le rêve se fixa: ce fut véritablement le duc, très-court vêtu, qui, du fond des ténèbres, lui envoyait des baisers.

VI

      Quand la petite baronne se réveilla, elle entendit le vicaire qui disait la phrase sacramentelle:

      – Et c'est la grâce que je vous souhaite.

      Elle resta un instant étonnée; elle crut que le vicaire lui souhaitait les baisers du jeune duc.

      Il y eut un grand bruit de chaises. Tout le monde s'en alla; la petite baronne avait deviné juste, son cocher n'était point encore au bas des marches. Ce diable de vicaire avait dépêché son sermon, volant à ses pénitentes au moins vingt minutes d'éloquence.

      Et, comme la petite baronne s'impatientait dans une nef latérale, elle rencontra le vicaire qui sortait précipitemment de la sacristie. Il regardait l'heure à sa montre, il avait l'air, affairé d'un homme qui ne veut point manquer un rendez-vous.

      – Ah! que je suis en retard! chère madame, dit-il. Vous savez, on m'attend chez la comtesse. Il y a un concert spirituel, suivi d'une petite collation.

      LES ÉPAULES DE LA MARQUISE

I

      La marquise dort dans son grand lit, sous les larges rideaux de satin jaune. A midi, au timbre clair de la pendule, elle se décide à ouvrir les yeux.

      La chambre est tiède. Les tapis, les draperies des portes et des fenêtres, en font un nid moelleux, où le froid n'entre pas. Des chaleurs, des parfums traînent. Là, règne l'éternel printemps.

      Et, dès qu'elle est bien éveillée, la marquise semble prise d'une anxiété subite. Elle rejette les couvertures, elle sonne Julie.

      – Madame a sonné?

      – Dites, est-ce qu'il dégèle?

      Oh! bonne marquise! Comme elle a fait cette question d'une voix émue! Sa première pensée est pour ce froid terrible, ce vent du nord qu'elle ne sent pas, mais qui doit souffler si cruellement dans les taudis des pauvres gens. Et elle demande si le ciel a fait grâce, si elle peut avoir chaud sans remords, sans songer à tous ceux qui grelottent.

      – Est-ce qu'il dégèle, Julie?

      La femme de chambre lui offre le peignoir du matin, qu'elle vient de faire chauffer devant un grand feu.

      – Oh! non, madame, il ne dégèle pas. Il gèle plus fort, au contraire… On vient de trouver un homme mort de froid sur un omnibus.

      La marquise est prise d'une joie d'enfant; elle tape ses mains l'une contre l'autre, en criant:

      – Ah!


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