Une page d'amour. Emile ZolaЧитать онлайн книгу.
de paysan sous ses épaulettes, la caserne ne lui enseignait point encore le beau langage ni les manières victorieuses du tourlourou parisien. Ah! madame pouvait être tranquille! ce n'était pas lui qui songeait à batifoler.
Aussi Rosalie se montrait-elle maternelle. Elle sermonnait Zéphyrin tout en mettant la broche, lui prodiguait de bons conseils sur les précipices qu'il devait éviter; et il obéissait, en appuyant chaque conseil d'un vigoureux mouvement de tête. Tous les dimanches, il devait lui jurer qu'il était allé à la messe et qu'il avait dit religieusement ses prières matin et soir. Elle l'exhortait encore à la propreté, lui donnait un coup de brosse quand il partait, consolidait un bouton de sa tunique, le visitait de la tête aux pieds, regardant si rien ne clochait. Elle s'inquiétait aussi de sa santé et lui indiquait des recettes contre toutes sortes de maladies. Zéphyrin, pour reconnaître ses complaisances, lui offrait de remplir sa fontaine. Longtemps elle refusa, par crainte qu'il né renversât de l'eau. Mais, un jour, il monta les deux seaux sans laisser tomber une goutte dans l'escalier, et, dès lors, ce fut lui qui, le dimanche, remplit la fontaine. Il lui rendait d'autres services, faisait toutes les grosses besognes, allait très-bien acheter du beurre chez la fruitière, si elle avait oublié d'en prendre. Même il finit par se mettre à la cuisine. D'abord, il éplucha les légumes. Plus tard, elle lui permit de hacher. Au bout de six semaines, il ne touchait point aux sauces, mais il les surveillait, la cuiller de bois à la main. Rosalie en avait fait son aide, et elle éclatait de rire parfois, quand elle le voyait, avec son pantalon rouge et son collet jaune, actionné devant le fourneau, un torchon sur le bras, comme un marmiton.
Un dimanche, Hélène se rendit à la cuisine. Ses pantoufles Assourdissaient le bruit de ses pas, elle resta sur le seuil, sans que la bonne ni le soldat l'eussent entendue. Dans son coin, Zéphyrin était attablé devant une tasse de bouillon fumant. Rosalie, qui tournait le dos à la porte, lui coupait de longues mouillettes de pain.
– Va, mange, mon petit! disait-elle. Tu marches trop, c'est ça qui te creuse… Tiens! en as-tu assez? en veux-tu encore?
Et elle le couvait d'un regard tendre et inquiet. Lui, tout rond, se carrait au-dessus de la tasse, avalait une mouillette à chaque bouchée. Sa face, jaune de son, rougissait dans la vapeur qui la baignait. Il murmurait:
– Sapristi! quel jus! Qu'est-ce que tu mets donc là dedans?
– Attends, reprit-elle, si tu aimes les poireaux…
Mais, en se tournant, elle aperçut madame. Elle poussa un léger cri. Tous deux restèrent pétrifiés. Puis, Rosalie s'excusa avec un flot Brusque de paroles.
– C'est ma part, madame, oh! bien vrai… Je n'aurais pas repris du bouillon… Tenez, sur ce que j'ai de plus sacré! Je lui ai dit: Si tu veux ma part de bouillon, je vais te la donner… Allons, parle donc, toi; tu sais bien que ça s'est passé comme ça…
Et, inquiète du silence que gardait sa maîtresse, elle la crut fâchée, elle continua d'une voix qui se brisait:
– Il mourait de faim, madame; il m'avait volé une carotte crue… On les nourrit si mal! Puis, imaginez-vous qu'il est allé au diable, le long de la rivière, je ne sais où… Vous-même, madame, vous m'auriez dit: Rosalie, donnez-lui donc un bouillon…
Alors, Hélène, devant le petit soldat, qui restait la bouche pleine, sans oser avaler, ne put rester sévère. Elle répondit doucement:
– Eh bien! ma fille, quand ce garçon aura faim, il faudra l'inviter à dîner, voilà tout… Je vous le permets.
Elle venait d'éprouver, en face d'eux, cet attendrissement qui, déjà une fois, lui avait fait oublier son rigorisme. Ils étaient si heureux, dans cette cuisine! Le rideau de cotonnade, à demi tiré, laissait entrer le soleil couchant. Les cuivres incendiaient le mur du fond, éclairant d'un reflet rose le demi-jour de la pièce. Et là, dans cette ombre dorée, ils mettaient tous les deux leurs petites faces rondes, tranquilles et claires comme des lunes. Leurs amours avaient une certitude si calme, qu'ils ne dérangeaient pas le bel ordre des ustensiles. Ils s'épanouissaient aux bonnes odeurs des fourneaux, l'appétit égayé, le coeur nourri.
– Dis, maman, demanda Jeanne le soir, après une longue réflexion, le cousin de Rosalie ne l'embrasse jamais, pourquoi donc?
– Et pourquoi veux-tu qu'ils s'embrassent? répondit Hélène. Ils s'embrasseront le jour de leur fête.
II
Après le potage, ce mardi-là, Hélène tendit l'oreille, en disant:
– Quel déluge, entendez-vous?.. Mes pauvres amis, vous allez être trempés, ce soir.
– Oh! quelques gouttes, murmura l'abbé, dont la vieille soutane était déjà mouillée aux épaules.
– Moi, j'ai une bonne trotte, dit M. Rambaud; mais je rentrerai à pied tout de même; j'aime ça… D'ailleurs, j'ai mon parapluie.
Jeanne réfléchissait, en regardant sérieusement sa dernière cuillerée de vermicelle. Puis, elle parla lentement:
– Rosalie disait que vous ne viendriez pas, à cause du mauvais temps… Maman disait que vous viendriez… Vous êtes bien gentil, vous venez toujours.
On sourit autour de la table. Hélène eut un hochement de tête affectueux, à l'adresse des deux frères. Dehors, l'averse continuait avec un roulement sourd, et de brusques coups de vent faisaient craquer les persiennes. L'hiver semblait revenu. Rosalie avait tiré soigneusement les rideaux de reps rouge; la petite salle à manger, bien close, éclairée par la calme lueur de la suspension, qui pendait toute blanche, prenait, au milieu des secousses de l'ouragan, une douceur d'intimité attendrie. Sur le buffet d'acajou, des porcelaines reflétaient la lumière tranquille. Et, dans cette paix, les quatre convives causaient sans hâte, attendant le bon plaisir de la bonne, en lace de la belle propreté bourgeoise du couvert.
– Ah! vous attendiez, tant pis! dit familièrement Rosalie en entrant avec un plat. Ce sont des filets de sole au gratin pour monsieur Rambaud, et ça demande à être saisi au dernier moment.
M. Rambaud affectait d'être gourmand, pour amuser Jeanne et faire Plaisir à Rosalie, qui était très-orgueilleuse de son talent de cuisinière. Il se tourna vers elle, en demandant:
– Voyons, qu'avez-vous mis aujourd'hui?.. Vous apportez toujours des surprises quand je n'ai plus faim.
– Oh! répondit-elle, il y a trois plats, comme toujours; pas davantage… Après les filets de sole, vous allez avoir un gigot et des choux de Bruxelles… Bien vrai, pas davantage.
Mais M. Rambaud regardait Jeanne du coin de l'oeil. L'enfant s'égayait beaucoup, étouffant des rires dans ses mains jointes, secouant la tête comme pour dire que la bonne mentait. Alors, il fit claquer la langue d'un air de doute, et Rosalie feignit de se fâcher.
– Vous ne me croyez pas, reprit-elle, parce que mademoiselle est en train de rire… Eh bien! fiez-vous à ça, restez sur votre appétit, et vous verrez si vous n'êtes pas forcé de vous remettre à table, en rentrant chez vous.
Quand la bonne ne fut plus là, Jeanne, qui riait plus fort, eut une terrible démangeaison de parler.
– Tu es trop gourmand, commença-t-elle; moi, je suis allée dans la cuisine…
Mais elle s'interrompit.
– Ah! non, il ne faut pas le lui dira, n'est-ce pas, maman?.. Il n'y a rien, rien du tout. C'est pour t'attraper que je riais.
Cette scène recommençait tous les mardis et avait toujours le même succès. Hélène était touchée de la bonne grâce avec laquelle M. Rambaud se prêtait à ce jeu, car elle n'ignorait pas qu'il avait longtemps vécu, avec une frugalité provençale, d'un anchois et d'une demi-douzaine d'olives par jour. Quant à l'abbé Jouve, il ne savait jamais ce qu'il mangeait; on le plaisantait même souvent sur son ignorance et ses distractions. Jeanne le guettait de ses yeux luisants. Lorsqu'on fut servi:
– C'est très-bon, le merlan, dit-elle en s'adressant au prêtre.
– Très-bon, ma chérie, murmura-t-il. Tiens, c'est vrai, c'est