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La Terre. Emile ZolaЧитать онлайн книгу.

La Terre - Emile Zola


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à quitter la ferme, le débarrasserait de Jacqueline, qu'il revoyait par lâcheté du plaisir. Donc, il était bien résolu, et il attendait l'occasion de se déclarer, cherchant les mots qu'il dirait, en garçon que même le régiment avait laissé capon avec les femmes.

      Un jour, enfin, Jean, vers quatre heures, s'échappa de la ferme, résolu à parler. Cette heure était celle où Françoise menait ses vaches à la pâture du soir, et il l'avait choisie pour être seul avec Lise. Mais un contretemps le consterna d'abord: la Frimat, installée en voisine obligeante, aidait justement la jeune femme à couler la lessive, dans la cuisine. La veille, les deux soeurs avaient essangé le linge. Depuis le matin, l'eau de cendre, que parfumaient des racines d'iris, bouillait dans un chaudron, accroché à la crémaillère, au-dessus d'un feu clair de peuplier. Et, les bras nus, la jupe retroussée, Lise, armée d'un pot de terre jaune, puisait de cette eau, arrosait le linge dont le cuvier était rempli: au fond les draps, puis les torchons, les chemises, et par-dessus des draps encore. La Frimat ne servait donc pas à grand'chose; mais elle causait, en se contentant, toutes les cinq minutes, d'enlever et de vider dans le chaudron le seau, qui, sous le baquet, recevait l'égoutture continue de la lessive.

      Jean patienta, espérant qu'elle s'en irait. Elle ne partait pas, parlait de son pauvre homme, le paralytique, qui ne remuait plus qu'une main. C'était une grande affliction. Jamais ils n'avaient été riches; seulement, lorsque lui travaillait encore, il louait des terres qu'il faisait valoir; tandis que, maintenant, elle avait bien de la peine à cultiver toute seule l'arpent qui leur appartenait; et elle s'éreintait, ramassait le crottin des routes pour le fumer, n'ayant pas de bestiaux, soignait ses salades, ses haricots, ses pois, pied à pied, arrosait jusqu'à ses trois pruniers et ses deux abricotiers, finissait par tirer un profit considérable de cet arpent, si bien que, chaque samedi, elle s'en allait au marché de Cloyes, pliant sous la charge de deux paniers énormes, sans compter les gros légumes, qu'un voisin lui emportait dans sa carriole. Rarement elle en revenait sans deux ou trois pièces de cent sous, surtout à la saison des fruits. Mais sa continuelle doléance était le manque de fumier: ni le crottin, ni les balayages des quelques lapins et des quelques poules qu'elle élevait ne lui donnaient assez. Elle en était venue à se servir de tout ce que son vieux et elle faisaient, de cet engrais humain si méprisé, qui soulève le dégoût, même dans les campagnes. On l'avait su, on l'en plaisantait, on l'appelait la mère Caca, et ce surnom lui nuisait, au marché. Des bourgeoises s'étaient détournées de ses carottes et de ses choux superbes, avec des nausées de répugnance. Malgré sa grande douceur, cela la jetait hors d'elle.

      – Voyons, dites-moi, vous, Caporal, est-ce raisonnable?.. Est-ce qu'il n'est pas permis d'employer tout ce que le bon Dieu nous a mis dans la main? Et puis, avec ça que les crottes des bêtes sont plus propres!.. Non, c'est de la jalousie, ils m'en veulent, à Rognes, parce que le légume pousse plus fort chez moi… Dites, Caporal, est-ce que ça vous dégoûte, vous?

      Jean, embarrassé, répondit:

      – Dame! ça ne me ragoûte pas beaucoup… On n'est pas habitué à ça, ce n'est peut-être bien qu'une idée.

      Cette franchise désola la vieille femme. Elle qui n'était pas cancanière, ne put retenir son amertume.

      – C'est bon, ils vous ont déjà tourné contre moi… Ah! si vous saviez comme ils sont méchants, si vous vous doutiez de ce qu'ils disent de vous!

      Et elle lâcha les commérages de Rognes sur le jeune homme. D'abord, on l'y avait exécré, parce qu'il était ouvrier, qu'il sciait et rabotait du bois, au lieu de labourer la terre. Ensuite, quand il s'était mis à la charrue, on l'avait accusé de venir manger le pain des autres, dans un pays qui n'était pas le sien. Est-ce qu'on savait d'où il sortait? N'avait-il point fait quelque mauvais coup, chez lui, qu'il n'osait seulement pas y retourner? Et l'on espionnait ses rapports avec la Cognette, on disait qu'à eux deux, un beau soir, ils donneraient un bouillon de onze heures au père Hourdequin, pour le voler.

      – Oh! les canailles! murmura Jean, blême d'indignation.

      Lise, qui puisait un pot de lessive bouillante dans le chaudron, se mit à rire, à ce nom de la Cognette, qu'elle-même prononçait parfois, histoire de le plaisanter.

      – Et, puisque j'ai commencé, vaut mieux aller jusqu'au bout, poursuivit la Frimat. Eh bien! il n'y a pas d'horreur qu'on ne raconte, depuis que vous venez ici… La semaine dernière, n'est-ce pas? vous avez fait cadeau à l'une et à l'autre de foulards, qu'on leur a vus dimanche, à la messe… C'est trop sale, ils affirment que vous couchez avec les deux!

      Du coup, tremblant, mais résolu, Jean se leva et dit:

      – Ecoutez, la mère, je vas répondre devant vous, ça ne m'embarrasse pas…

      Oui, je vas demander à Lise si elle veut que je l'épouse… Vous entendez, Lise? je vous demande, et si vous dites oui, vous me rendrez bien content.

      Justement, elle vidait son pot dans le cuvier. Mais elle ne se pressa pas, acheva d'arroser soigneusement le linge; puis, les bras nus et moites de vapeur, devenue grave, elle le regarda en face.

      – Alors, c'est sérieux?

      – Très sérieux.

      Elle n'en paraissait point surprise. C'était une chose naturelle. Seulement, elle ne disait ni oui ni non, elle avait sûrement une idée qui la gênait.

      – Faudrait pas dire non, à cause de la Cognette, reprit-il, parce que la Cognette…

      Elle l'interrompit d'un geste, elle savait bien que ça ne tirait pas à conséquence, la gaudriole à la ferme.

      – Il y a encore que je n'ai absolument que ma peau à vous apporter, tandis que vous possédez cette maison et de la terre.

      De nouveau, elle fit un geste pour dire que, dans sa position, avec un enfant, elle pensait comme lui que les choses se compensaient.

      – Non, non, ce n'est pas tout ça, déclara-t-elle enfin. Seulement, c'est Buteau…

      – Puisqu'il ne veut pas.

      – Bien sûr, et l'amitié n'y est plus, car il s'est trop mal conduit…

      Mais, tout de même, il faut consulter Buteau.

      Jean réfléchit une grande minute. Puis, sagement:

      – Comme vous voudrez… Ça se doit, par rapport à l'enfant.

      Et la Frimat, qui, gravement, elle aussi, vidait le seau d'égoutture dans le chaudron, croyait devoir approuver la démarche, tout en se montrant favorable à Jean, un honnête garçon, celui-là, pas têtu, pas brutal, lorsqu'on entendit, au dehors, Françoise rentrer avec les deux vaches.

      – Dis donc, Lise, cria-t-elle, viens donc voir… La Coliche s'est abîmé le pied.

      Tous sortirent, et Lise, à la vue de la bête qui boitait, le pied gauche de devant meurtri, ensanglanté, eut une brusque colère, un de ces éclats bourrus dont elle bousculait sa soeur, quand celle-ci était petite et qu'elle se mettait en faute.

      – Encore une de tes négligences, hein?.. Tu te seras endormie dans l'herbe, comme l'autre fois.

      – Mais non, je t'assure… Je ne sais pas ce qu'elle a pu faire. Je l'avais attachée au piquet, elle se sera pris le pied dans sa corde.

      – Tais-toi donc, menteuse!.. Tu me la tueras un jour, ma vache!

      Les yeux noirs de Françoise s'allumèrent. Elle était très pâle, elle bégaya, révoltée:

      – Ta vache, ta vache… Tu pourrais bien dire notre vache.

      – Comment, notre vache? une vache à toi, gamine!

      – Oui, la moitié de tout ce qui est ici est à moi, j'ai le droit d'en prendre et d'en abîmer la moitié, si ça m'amuse!

      Et les deux soeurs, face à face, se dévisagèrent, menaçantes, ennemies. Dans leur longue tendresse, c'était la première querelle douloureuse, sous ce coup de fouet du tien et du mien, l'une irritée de la rébellion de sa cadette, l'autre obstinée et violente devant l'injustice. L'aînée céda, rentra dans la cuisine pour ne pas gifler la


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