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Rome. Emile ZolaЧитать онлайн книгу.

Rome - Emile Zola


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de son long dévouement, voulant être là, aider Luigi, le surveiller, le diriger. Lui-même était-il donc si vieux, si fini, qu'il ne pût se rendre utile dans l'organisation, comme il croyait l'avoir été dans la conquête? Il avait placé le jeune homme au ministère des Finances, frappé de la vive intelligence qu'il montrait pour les questions d'affaires, devinant peut-être aussi par un sourd instinct que la bataille allait continuer maintenant sur le terrain financier et économique. Et, de nouveau, il vécut dans le rêve, croyant toujours avec enthousiasme à l'avenir splendide, débordant d'une espérance illimitée, regardant Rome doubler de population, s'agrandir d'une folle végétation de quartiers neufs, redevenir à ses yeux d'amant ravi la reine du monde.

      Brusquement, ce fut la foudre. Un matin, en descendant l'escalier, Orlando fut frappé de paralysie, les deux jambes tout à coup mortes, d'une pesanteur de plomb. On avait dû le remonter, jamais plus il ne remit les pieds sur le pavé de la rue. Il venait d'avoir cinquante-six ans, et depuis quatorze ans il n'avait pas quitté son fauteuil, cloué là dans une immobilité de pierre, lui qui autrefois avait si rudement couru les champs de bataille de l'Italie. C'était une grande pitié, l'écroulement d'un héros. Et le pis, alors, fut que le vieux soldat, de cette chambre où il se trouvait prisonnier, assista au lent ébranlement de tous ses espoirs, envahi d'une mélancolie affreuse, dans la peur inavouée de l'avenir. Il voyait clair enfin, depuis que la griserie de l'action ne l'aveuglait plus et qu'il passait ses longues journées vides à réfléchir. Cette Italie qu'il avait voulue si puissante, si triomphante en son unité, agissait follement, courait à la ruine, à la banqueroute peut-être. Cette Rome qui avait toujours été pour lui la capitale nécessaire, la ville de gloire sans pareille qu'il fallait au peuple roi de demain, semblait se refuser à ce rôle d'une grande capitale moderne, lourde comme une morte, pesant du poids des siècles sur la poitrine de la jeune nation. Et il y avait encore son fils, son Luigi, qui le désolait, rebelle à toute direction, devenu un des enfants dévorateurs de la conquête, se ruant à la curée chaude de cette Italie, de cette Rome, que son père semblait avoir uniquement voulues pour que lui-même les pillât et s'en engraissât. Vainement, il s'était opposé à ce qu'il quittât le ministère, à ce qu'il se jetât dans l'agio effréné sur les terrains et les immeubles, que déterminait le coup de démence des quartiers neufs. Il l'adorait quand même, il était réduit au silence, surtout maintenant que les opérations financières les plus hasardeuses lui avaient réussi, comme cette transformation de la villa Montefiori en une véritable ville, affaire colossale où les plus riches s'étaient ruinés, dont lui s'était retiré avec des millions. Et Orlando, désespéré et muet, dans le petit palais que Luigi Prada avait fait bâtir, rue du Vingt-Septembre, s'était entêté à n'y occuper qu'une chambre étroite, où il achevait ses jours cloîtré, avec un seul serviteur, n'acceptant rien autre de son fils que cette hospitalité, vivant pauvrement de son humble rente.

      Comme il arrivait à cette rue neuve du Vingt-Septembre, ouverte sur le flanc et sur le sommet du Viminal, Pierre fut frappé de la somptuosité lourde des nouveaux palais, où s'accusait le goût héréditaire de l'énorme. Dans la chaude après-midi de vieil or pourpré, cette rue large et triomphale, ces deux files de façades interminables et blanches disaient le fier espoir d'avenir de la nouvelle Rome, le désir de souveraineté qui avait fait pousser du sol ces bâtisses colossales. Mais surtout il demeura béant devant le Ministère des Finances, un amas gigantesque, un cube cyclopéen où les colonnes, les balcons, les frontons, les sculptures s'entassent, tout un monde démesuré, enfanté en un jour d'orgueil par la folie de la pierre. Et c'était là, en face, un peu plus haut, avant d'arriver à la villa Bonaparte, que se trouvait le petit palais du comte Prada.

      Lorsqu'il eut payé son cocher, Pierre resta embarrassé un instant. La porte étant ouverte, il avait pénétré dans le vestibule; mais il n'y apercevait personne, ni concierge, ni serviteur. Il dut se décider à monter au premier étage. L'escalier, monumental, à la rampe de marbre, reproduisait en petit les dimensions exagérées de l'escalier d'honneur du palais Boccanera; et c'était la même nudité froide, tempérée par un tapis et des portières rouges, qui tranchaient violemment sur le stuc blanc des murs. Au premier étage, se trouvait l'appartement de réception, haut de cinq mètres, dont il aperçut deux salons en enfilade, par une porte entre-bâillée, des salons d'une richesse toute moderne, avec une profusion de tentures, de velours et de soie, de meubles dorés, de hautes glaces reflétant l'encombrement fastueux des consoles et des tables. Et toujours personne, pas une âme, dans ce logis comme abandonné, où la femme ne se sentait pas. Il allait redescendre, pour sonner, quand un valet se présenta enfin.

      – Monsieur le comte Prada, je vous prie.

      Le valet considéra en silence ce petit prêtre et daigna demander:

      – Le père ou le fils?

      – Le père, monsieur le comte Orlando Prada.

      – Bon! montez au troisième étage.

      Puis, il voulut bien ajouter une explication.

      – La petite porte, à droite sur le palier. Frappez fort pour qu'on vous ouvre.

      En effet, Pierre dut frapper deux fois. Ce fut un petit vieux très sec, d'allure militaire, un ancien soldat du comte resté à son service, qui vint lui ouvrir, en disant, pour s'excuser de ne pas avoir ouvert plus vite, qu'il était en train d'arranger les jambes de son maître. Tout de suite il annonça le visiteur. Et celui-ci, après une obscure antichambre, très étroite, resta saisi de la pièce dans laquelle il entrait, une pièce relativement petite, toute nue, toute blanche, tapissée simplement d'un papier tendre à fleurettes bleues. Derrière un paravent, il n'y avait qu'un lit de fer, la couche du soldat; et aucun autre meuble, rien que le fauteuil où l'infirme passait ses jours, une table de bois noir près de lui, couverte de journaux et de livres, deux antiques chaises de paille qui servaient à faire asseoir les rares visiteurs. Contre un des murs, quelques planches tenaient lieu de bibliothèque. Mais la fenêtre, sans rideaux, large et claire, ouvrait sur le plus admirable panorama de Rome qu'on pût voir.

      Puis, la chambre disparut, Pierre ne vit plus que le vieil Orlando, dans une soudaine et profonde émotion. C'était un vieux lion blanchi, superbe encore, très fort, très grand. Une forêt de cheveux blancs, sur une tête puissante, à la bouche épaisse, au nez gros et écrasé, aux larges yeux noirs étincelants. Une longue barbe blanche, d'une vigueur de jeunesse, frisée comme celle d'un dieu. Dans ce mufle léonin, on devinait les terribles passions qui avaient dû gronder; mais toutes, les charnelles, les intellectuelles, avaient fait éruption en patriotisme, en bravoure folle et en désordonné amour de l'indépendance. Et le vieil héros foudroyé, le buste toujours droit et haut, était cloué là, sur son fauteuil de paille, les jambes mortes, ensevelies, disparues dans une couverture noire. Seuls, les bras, les mains vivaient; et, seule, la face éclatait de force et d'intelligence.

      Orlando s'était tourné vers son serviteur, pour lui dire doucement:

      – Batista, tu peux t'en aller. Reviens dans deux heures.

      Puis, regardant Pierre bien en face, il s'écria de sa voix restée sonore, malgré ses soixante-dix ans:

      – Enfin, c'est donc vous, mon cher monsieur Froment, et nous allons pouvoir causer tout à notre aise… Tenez! prenez cette chaise, asseyez-vous devant moi.

      Mais il avait remarqué le regard surpris que le prêtre jetait sur la nudité de la chambre. Il ajouta gaiement:

      – Vous me pardonnerez de vous recevoir dans ma cellule. Oui, je vis ici en moine, en vieux soldat retraité, désormais à l'écart de la vie… Mon fils me tourmente encore pour que je prenne une des belles chambres d'en bas. A quoi bon? je n'ai aucun besoin, je n'aime guère les lits de plume, car mes vieux os sont accoutumés à la terre dure… Et puis, j'ai là une si belle vue, toute Rome qui se donne à moi, maintenant que je ne peux plus aller à elle!

      D'un geste vers la fenêtre, il avait caché l'embarras, la légère rougeur dont il était pris, chaque fois qu'il excusait son fils de la sorte, sans vouloir dire la vraie raison, le scrupule de probité, qui le faisait s'entêter dans son installation de pauvre.

      – Mais c'est très bien! mais c'est superbe! déclara Pierre, pour lui faire plaisir. Je suis si heureux de


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