La coucaratcha. III. Эжен СюЧитать онлайн книгу.
comme sa vie; car, pour le mal que je lui avais fait, et qu’elle me pardonnait, c’était sans doute le délire qui la faisait divaguer, car je défie de trouver une femme plus heureuse qu’elle… Mais, entre nous, maintenant qu’elle est morte, on peut dire cela, elle avait un de ces caractères gruincheux qui ne sont contents de rien, et puis elle avait été très mal élevée par sa bigote de famille, car elle était remplie de préjugés et de superstitions ridicules; mais enfin n’en parlons plus qu’avec reconnaissance; car elle menait supérieurement ma maison et elle ne m’a jamais donné l’ombre de jalousie: il est vrai que je ne recevais presque personne; mais c’est toujours très bien, et je conserverai toujours un bien bon souvenir de ma pauvre Cécile.
«Voilà où j’en suis, mon cher Dumont; comme je te l’ai dit, j’ai pris assez sur moi pour ne pas me laisser trop abattre, et je n’ai presque pas changé depuis l’évènement; l’appétit se soutient, et même, dans la crainte que le chagrin ne me dérangeât l’estomac, je me suis mis à prendre un consommé au sagou entre mes repas, et je m’en trouve très bien. Somme toute, je supporte assez bien ma triste position. Il n’y a que les soirées qui me paraissent longues; car je ne puis encore aller au spectacle à cause de mon deuil, aussi je compte voyager pour attendre la fin, parce qu’en voyage, au moins, on ne sait ni de qui ni depuis quand vous êtes en deuil, et ça ne fait ni bien ni mal à ceux qui n’y sont plus que vous alliez vous distraire de votre chagrin; et d’ailleurs le deuil est dans le cœur et non dans l’habit, n’est-ce pas Dumont?
«Je voyagerai comme cela sept ou huit mois pour pouvoir attendre le moment de me remarier; car je suis bien décidé à ne pas recommencer ma vie de garçon, ainsi j’attendrai; après tout, même un an de veuvage ce n’est pas la mer à boire, et j’aime mieux ne pas me presser, afin de bien choisir cette fois, et n’avoir pas à recommencer de sitôt.
«J'oubliais aussi de te dire que dans mon département j’ai toutes les chances possibles, et que je suis même certain d'être nommé député; je n’ai pas besoin de te dire, à toi, Dumont, que je serai pour l’ordre de choses actuel, d’autant plus que je suis commandant de la garde nationale de chez moi, et que j’ai été très bien, mais très bien accueilli à la cour.
«Aussi tu sens bien, mon cher Dumont, que tous les bons Français doivent s’unir contre la république, comme me le disait un de ces messieurs du château, très fort en politique et parfaitement instruit des menées de ces monstres de républicains:
«Vous ne croiriez pas, monsieur de Noirville, que vous êtes le neuvième sur la liste des gens que la République doit faire guillotiner si elle a le dessus: car la liste de proscription comprend dix-sept mille trois cent quarante quatre propriétaires, dont les propriétés sont destinées à former le domaine national que l’on partagera aux prolétaires.
«Tu m’avoueras, Dumont, qu’il n’y a pas à reculer devant une pareille atrocité, car ce monsieur du château est fort bien instruit; que diable! 17,344 propriétaires! on n’invente pas un nombre comme celui-là, n’est-ce pas, Dumont? aussi faut-il que tous les bons Français se rallient derrière le trône de juillet, comme dit ce monsieur du château; car nous ne pouvons que tomber de Charybde en Scylla. Et la preuve que le juste-milieu est la seule route, c’est que ce même monsieur du château me disait encore que du côté des carlistes, c’était bien autre chose; car, le croirais-tu, Dumont, dans le cas où Henri V reviendrait, ce même monsieur du château m’a dit que je suis aussi sur la liste de proscription de ces misérables-là, et que j’ai le numéro 19 ; car cette liste s’étend aussi à 16.235 propriétaires, dont les propriétés doivent faire la pâture de ces infâmes tartufes sous le titre de domaine du clergé, afin d'être partagées aux jésuites.
«Ainsi, tu le vois, Dumont, d’un côté les républicains, de l’autre côté les jésuites, comme disait ce monsieur du château. Il ne reste donc à un honnête homme, à un bon Français, qu’un parti à prendre, celui qui lui garantit ses propriétés, et lui assure des privilèges; car, ainsi que me le disait toujours ce même monsieur du château, il n’y a plus maintenant qu’une aristocratie possible, celle dont vous êtes, monsieur de Noirville, en un mot celle de la fortune, qui vous met maintenant au faîte de l’édifice social, et qui vous place aussi haut que l’étaient les grands seigneurs et les maréchaux de l'Empire.
«Tu m’avoueras que voilà un système politique qui répond aux besoins du pays, et qui classe chacun à sa place; aussi j’y suis tout dévoué d’avance; j’attends ton retour à Paris avec impatience pour que tu me retouches un peu ma profession de foi aux électeurs. Une fois cela fait, je voyage et je reviens pour les élections et pour me remarier.
«Adieu, mon cher Dumont, plains bien ton malheureux ami.
CHAPITRE X
M. de Noirville s’est remarié fort richement.
Il est député, il siége au centre, il est heureux, il engraisse.
Il rit parfois des superstitions et des préjugés de sa pauvre défunte, lorsqu’il en parle avec sa seconde femme, qui, dit-il, est au moins une fameuse commère, une grosse réjouie, qui à coup sûr ne mourra pas de mélancolie, celle-là!
LES MONTAGNES DE LA RONDA
CHAPITRE PREMIER
… J'avais alors seize ans, je crois, et j’étais embarqué à bord de la frégate***, comme aspirant de marine. Notre bâtiment vint stationner à Cadix, où il resta environ huit mois. J'avais emporté de Paris un assez bon nombre de recommandations pour les personnes les plus distinguées de cette ville; mais, hormis la lettre qui était adressée à un banquier chargé de me donner de l’argent, je ne remis aucune des autres missives à sa destination.
Comme je savais que notre séjour devait être assez long dans ce port, je m’arrangeai pour passer à terre, et le plus agréablement possible, tout le temps que je pourrais arracher à ce service de rade, le plus ennuyeux, le plus détestable de tous les services. Je louai donc sur le rempart, près le quartier d’artillerie, un joli appartement, et j’achetai un cheval andalou de cinq ans, entier, gris sanguin, à crins noir.
J'avais voulu prendre cet animal au pré, afin de m’amuser à le dresser à ma façon, n’ayant rien de mieux à faire pour tuer les heures qui, je l’avoue, avaient la vie diablement dure.
Tant qu’il fut, pour ainsi dire, sous l’influence molle et réfrigérante du pâturage, Frasco (c’était le nom de mon cheval) se montra d’un naturel aussi aimable que conciliant, mais lorsque je l’eus dans mon écurie, et que, contrairement à l’usage espagnol, j’eus substitué l’avoine à l’orge, ce fut tout autre chose; Frasco devint un démon incarné et se mit en état de rébellion ouverte.
Ayant assez l’habitude du cheval, je goûtai peu les espiègleries de Frasco; aussi nous commençâmes à lutter de colère et d’opiniâtreté. A la moindre faute, je le rouais de coups; alors lui de se cabrer, de ruer, de bondir comme un chevreuil et de me prodiguer les pointes et les sauts de mouton. Il avait beau faire, je le serrais si fort entre mes genoux et mes cuisses que je restais comme vissé sur son dos. Or, à la fin, voyant qu’il ne pouvait me désarçonner, il prit le parti de tâcher de mordre; et ne pouvant y parvenir, il fit mieux, quand je le montai, il se coucha. Les choses en vinrent à un point tel que je désespérais de le rendre jamais traitable, ce dont j’enrageais, car c’était bien le plus beau, le plus noble, le plus vigoureux étalon qui fût jamais sorti des prairies de Sainte-Marie.
J'étais donc à peu près décidé à lui casser la tête à la première incartade, lorsqu’un de mes amis, le seigneur Hasth’y, me tira d’embarras. Ici je dois avouer que je n’avais pas, comme j’aurais pu, choisi mes connaissances dans la meilleure compagnie de Cadix. Mon ami Hasth’y était simplement un cavalier bohémien, grand amateur de combats de coqs et de chiens, maquignon effréné, joueur comme les cartes, très-adroit au tir, à l’escrime et par-dessus tout écuyer; vivant d’ailleurs