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La Conquête de Plassans. Emile ZolaЧитать онлайн книгу.

La Conquête de Plassans - Emile Zola


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qui me fatiguent.

      Elle s'arrêtait parfois, regardait Désirée endormie sur la table, souriant dans son sommeil de son sourire d'innocente.

      – Pauvre enfant! murmurait-elle, elle ne peut pas même coudre, elle a des vertiges tout de suite… Elle n'aime que les bêtes. Quand elle va passer un mois chez sa nourrice, elle vit dans la basse-cour, et elle me revient les joues roses, toute bien portante.

      Et elle reparlait souvent des Tulettes, avec une peur sourde de la folie. L'abbé Faujas sentit ainsi un étrange effarement, au fond de cette maison si paisible. Marthe aimait certainement son mari d'une bonne amitié; seulement, il entrait dans son affection une crainte des plaisanteries de Mouret, de ses taquineries continuelles. Elle était aussi blessée de son égoïsme, de l'abandon où il la laissait; elle lui gardait une vague rancune de la paix qu'il avait faite autour d'elle, de ce bonheur dont elle se disait heureuse. Quand elle parlait de son mari, elle répétait:

      – Il est très-bon pour nous… Vous devez l'entendre crier quelquefois; c'est qu'il aime l'ordre en toutes choses, voyez-vous, jusqu'à en être ridicule, souvent; il se fâcha pour un pot de fleurs dérangé dans le jardin, pour un jouet qui traîne sur le parquet … Autrement, il a bien raison de n'en faire qu'à sa tête. Je sais qu'on lui en veut, parce qu'il a amassé quelque argent, et qu'il continue à faire, de temps à autre, de bons coups, tout en se moquant des bavardages… On le plaisante aussi à cause de moi. On dit qu'il est avare, qu'il me tient à la maison, qu'il me refuse jusqu'à des bottines. Ce n'est pas vrai. Je suis absolument libre. Sans doute, il préfère me trouver ici, quand il rentre, au lieu de me savoir toujours par les rues, à me promener ou à rendre des visites. D'ailleurs, il connaît mes goûts. Qu'irais-je chercher au dehors?

      Lorsqu'elle défendait Mouret contre les bavardages de Plassans, elle mettait dans ses paroles une vivacité soudaine, comme si elle avait eu le besoin de le défendre également contre des accusations secrètes qui montaient d'elle-même; et elle revenait avec une inquiétude nerveuse à cette vie du dehors. Elle semblait se réfugier dans l'étroite salle à manger, dans le vieux jardin aux grands buis, prise de la peur de l'inconnu, doutant de ses forces, redoutant quelque catastrophe. Puis, elle souriait de cette épouvante d'enfant; elle haussait les épaules, se remettait lentement à tricoter son bas ou à raccommoder quelque vieille chemise. Alors, l'abbé Faujas n'avait plus devant lui qu'une bourgeoise froide, au teint reposé, aux yeux pâles, qui mettait dans la maison une odeur de linge frais et de bouquet cueilli à l'ombre.

      Deux mois se passèrent ainsi. L'abbé Faujas et sa mère étaient entrés dans les habitudes des Mouret. Le soir, chacun avait sa place marquée autour de la table; la lampe était à la même place, les mêmes mots des joueurs tombaient dans les mêmes silences, dans les mêmes paroles adoucies du prêtre et de Marthe. Mouret, lorsque madame Faujas ne l'avait pas trop brutalement battu, trouvait ses locataires «des gens très comme il faut» Toute sa curiosité de bourgeois inoccupé s'était calmée dans le souci des parties de la soirée; il n'épiait plus l'abbé, disant que maintenant il le connaissait bien, qu'il le tenait pour un brave homme.

      – Eh! laissez-moi donc tranquille! criait-il à ceux qui attaquaient l'abbé Faujas devant lui. Vous faites un tas d'histoires, vous allez chercher midi à quatorze heures, lorsqu'il est si aisé d'expliquer les choses simplement… Que diable! je le sais sur le bout du doigt. Il me fait l'amitié de venir passer toutes ses soirées avec nous… Ah! ce n'est pas un homme qui se prodigue, je comprends qu'on lui en veuille et qu'on l'accuse de fierté.

      Mouret jouissait d'être le seul dans Plassans qui pût se vanter de connaître l'abbé Faujas; il abusait même un peu de cet avantage. Chaque fois qu'il rencontrait madame Rougon, il triomphait, il lui donnait à entendre qu'il lui avait volé son invité. Celle-ci se contentait de sourire finement. Avec ses intimes, Mouret poussait les confidences plus loin: il murmurait que ces diables de prêtres ne peuvent rien faire de la même façon que les autres hommes; il racontait alors des petits détails, la façon dont l'abbé buvait, dont il parlait aux femmes, dont il tenait les genoux écartés sans jamais croiser les jambes; légères anecdotes où il mettait son effarement inquiet de libre-penseur en face de cette mystérieuse soutane tombant jusqu'aux talons de son hôte.

      Les soirées se succédant, on était arrivé aux premiers jours de février. Dans leur tête-à-tête, il semblait que l'abbé Faujas évitât soigneusement de causer religion avec Marthe. Elle lui avait dit une fois, presque gaiement:

      – Non, monsieur l'abbé, je ne suis pas dévote, je ne vais pas souvent à l'église… Que voulez-vous? À Marseille, j'étais toujours très-occupée; maintenant, j'ai la paresse de sortir. Puis, je dois vous l'avouer, je n'ai pas été élevée dans des idées religieuses. Ma mère disait que le bon Dieu venait chez nous.

      Le prêtre s'était incliné sans répondre, voulant faire entendre par là qu'il préférait ne pas causer de ces choses, en de telles circonstances. Cepandant, un soir, il traça le tableau du secours inespéré que les âmes souffrantes trouvent dans la religion. Il était question d'une pauvre femme que des revers de toute sorte venaient de conduire au suicide.

      – Elle a eu tort de désespérer, dit le prêtre de sa voix profonde. Elle ignorait sans doute les consolations de la prière. J'en ai vu souvent venir à nous, pleurantes, brisées, et elles s'en allaient avec une résignation vainement cherchée ailleurs, une joie de vivre. C'est qu'elles s'étaient agenouillées, qu'elles avaient goûté le bonheur de s'humilier dans un coin perdu de l'église. Elles revenaient, elles oubliaient tout, elles étaient à Dieu.

      Marthe avait écouté d'un air rêveur ces paroles, dont les derniers mots s'alanguirent sur un ton de félicité extra-humaine.

      – Oui, ce doit être un bonheur, murmura-t-elle comme se parlant à elle-même; j'y ai songé parfois, mais j'ai toujours eu peur.

      L'abbé ne touchait que très-rarement à de tels sujets; au contraire, il parlait souvent charité. Marthe était très-bonne; les larmes montaient à ses yeux, au récit de la moindre infortune. Lui, paraissait se plaire, à la voir ainsi frisonnante de pitié; il avait chaque soir quelque nouvelle histoire touchante, il la brisait d'une compassion continue qui la faisait s'abandonner. Elle laissait tomber son ouvrage, joignait les mains, la face toute douloureuse, le regardant, pendant qu'il entrait dans des détails navrants sur les gens qui meurent de faim, sur les malheureux que la misère pousse aux méchantes actions. Alors elle lui appartenait, il aurait fait d'elle ce qu'il aurait voulu. Et souvent, à l'autre bout de la salle, une querelle éclatait, entre Mouret et madame Faujas, sur un quatorze de rois annoncé à tort ou sur une carte reprise dans un écart.

      Ce fut vers le milieu de février qu'une déplorable aventure vint consterner Plassans. On découvrit qu'une bande de toutes jeunes filles, presque des enfants, avaient glissé à la débauche en galopinant dans les rues; et l'affaire n'était pas seulement entre gamins du même âge, on disait que des personnages bien posés allaient se trouver compromis. Pendant huit jours, Marthe fut très-frappée de cette histoire, qui faisait un bruit énorme; elle connaissait une des malheureuses, une blondine qu'elle avait souvent caressée et qui était la nièce de sa cuisinière Rose; elle ne pouvait plus penser à cette pauvre petite, disait-elle, sans avoir un frisson par tout le corps.

      – Il est fâcheux, lui dit un soir l'abbé Faujas, qu'il n'y ait pas à Plassans une maison pieuse, sur le modèle de celle qui existe à Besançon.

      Et pressé de questions par Marthe, il lui dit ce qu'était cette maison pieuse. Il s'agissait d'une sorte de crèche pour les filles d'ouvriers, pour celles qui ont de huit à quinze ans, et que les parents sont obligés de laisser seules au logis, en se rendant à leur ouvrage. On les occupait, dans la journée, à des travaux de couture; puis, le soir, on les rendait aux parents, lorsque ceux-ci rentraient chez eux. De cette façon, les pauvres enfants grandissaient loin du vice, au milieu des meilleurs exemples. Marthe trouva l'idée généreuse. Peu à peu, elle en fut envahie au point qu'elle ne parlait plus que de la nécessité de créer à Plassans une maison semblable.

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