Les mystères du peuple, Tome III. Эжен СюЧитать онлайн книгу.
triomphant et avide l'exécution du supplice… Parmi les plus acharnés à se repaître de cette torture, Geneviève remarqua le docteur Baruch, Caïphe et le banquier Jonas… Les bourreaux commençaient à se lasser de frapper; ils avaient brisé sur les épaules de Jésus presque toutes leurs baguettes; ils interrogèrent d'un coup d'oeil le docteur Baruch, comme pour lui demander s'il n'était pas temps de mettre fin au supplice; mais le docteur de la loi s'écria:
–Non, non… usez jusqu'à la dernière de vos baguettes…
L'ordre de pharisien fut exécuté… les dernières verges furent brisées sur les épaules du jeune maître, et éclaboussèrent de sang le visage des bourreaux… ce n'était plus la peau qu'ils flagellaient, mais une plaie saignante… Le martyre devint alors si atroce, que Jésus, malgré son courage, défaillit et laissa tomber sa tête appesantie sur son épaule gauche; ses genoux fléchirent, il fût tombé à terre sans les liens qui le garrottaient à la colonne par le milieu du corps.
Ponce-Pilate, après avoir ordonné le châtiment, était rentré dans sa maison; il ressortit alors de chez lui, et fit signe aux bourreaux de délier le condamné… Ils le délièrent et le soutinrent; l'un d'eux lui jeta sur les épaules sa tunique de laine. Le contact de cette rude étoffe sur sa chair vive causa sans doute une nouvelle et si cruelle douleur à Jésus, qu'il tressaillit de tous ses membres. L'excès même de la souffrance le fit revenir à lui; il releva la tête, tâcha de se raffermir assez sur ses jambes pour n'avoir plus besoin du soutien des bourreaux, ouvrit les yeux et jeta sur la foule un regard miséricordieux…
Ponce-Pilate, croyant avoir satisfait à la haine des pharisiens, dit à la foule, après avoir fait délier Jésus:
«-Voilà l'homme 25…»
Et il fit signe à ses officiers de rentrer dans sa maison; il se disposait à les suivre, lorsque le prince des prêtres, Caïphe, après s'être consulté à voix basse avec le docteur Baruch et le banquier Jonas, s'écria en arrêtant le gouverneur par sa robe, au moment où il rentrait chez lui:
«-Seigneur Pilate, si vous délivrez Jésus, vous n'êtes pas ami de l'empereur; car le Nazaréen s'est dit roi, et quiconque se dit roi se déclare contre l'empereur 26.»
–Ponce-Pilate va craindre de passer pour traître à son maître, l'empereur Tibère, – dit à son complice l'un des émissaires placés non loin de Geneviève. – Il sera forcé de livrer le Nazaréen.
Puis ce méchant homme s'écria d'une voix éclatante:
–Mort au Nazaréen! l'ennemi de l'empereur Tibère, le protecteur de la Judée!..
–Oui, oui! – reprirent plusieurs voix, – le Nazaréen s'est dit roi des Juifs!
–Il veut renverser la domination de l'empereur Tibère!
–Il veut se déclarer roi en soulevant la populace contre les Romains, nos amis et alliés.
–Réponds à cela, Ponce-Pilate! – cria du milieu de la foule l'un des deux émissaires. – Comment se fait-il que nous autres Hébreux, nous nous montrions plus dévoués que toi au pouvoir de l'empereur, ton maître?.. Comment se fait-il que ce soit nous autres Hébreux, qui demandions la mort du séditieux qui veut renverser l'autorité romaine, et que ce soit toi, gouverneur pour Tibère, qui veuilles gracier ce séditieux?..
Cette apostrophe parut d'autant plus troubler Ponce-Pilate, que de tous côtés on cria dans la foule:
–Oui, oui… ce serait trahir l'empereur que de délivrer le Nazaréen!
–Ou prouver peut-être que l'on est son complice.
Ponce-Pilate, malgré le désir qu'il avait peut-être de sauver le jeune maître de Nazareth, parut de plus en plus troublé de ces reproches partis de la foule, reproches qui mettaient en doute sa fidélité à l'empereur Tibère 27. Il alla vers les pharisiens et s'entretint avec eux à voix basse, tandis que les miliciens gardaient toujours au milieu d'eux Jésus garrotté.
Alors, Caïphe, prince des prêtres, reprit tout haut en s'adressant à Pilate, afin d'être entendu de la foule et en montrant Jésus:
«-Nous avons trouvé que cet homme pervertit notre nation, qu'il l'empêche de payer le tribut à César, et qu'il se dit le roi des Juifs comme étant le fils de Dieu 28.»
Alors, Ponce-Pilate, se tournant vers le jeune maître de Nazareth, lui dit:
–Êtes-vous roi des Juifs?
«-Dites-vous cela de vous-même?» – répondit Jésus d'une voix affaiblie par la souffrance, – «ou bien me le demandez-vous parce que d'autres vous l'ont dit avant moi?»
–Les princes des prêtres et les sénateurs vous ont livré à moi… – reprit Ponce-Pilate. – Qu'avez-vous fait?.. Vous prétendez-vous roi des Juifs?..
Jésus secoua doucement la tête et répondit:
«-Mon royaume n'est pas de ce monde… si mon royaume était de ce monde, mes amis eussent combattu pour empêcher que je vous fusse livré… mais, je vous le répète, mon royaume n'est pas d'ici 29.»
Ponce-Pilate se retourna de nouveau vers les pharisiens, comme pour les prendre eux-mêmes à témoignage de la réponse de Jésus, qui devait l'innocenter, puisqu'il proclamait que son royaume n'était pas de ce monde-ci.
–Son royaume, – pensa Geneviève, – est sans doute dans ces mondes inconnus où nous allons, selon notre foi druidique, retrouver ceux que nous avons aimés ici… Comment oseraient-ils condamner Jésus comme rebelle à l'empereur? lui qui a tant de fois répété: «Rendez à César ce qui est à César, à Dieu ce qui est à Dieu!»
Mais, hélas! Geneviève oubliait que la haine des pharisiens était implacable… Les seigneurs Baruch, Jonas et Caïphe, ayant de nouveau parlé bas à Ponce-Pilate, celui-ci dit à Jésus:
«-Êtes-vous, oui ou non, le fils de Dieu?»
«-Oui,» – répondit Jésus de sa voix douce et ferme, – «oui, je le suis 30…»
A ces mots, les princes des prêtres, les docteurs et sénateurs, indignés, poussèrent des exclamations qui furent répétées par la foule.
–Il a blasphémé!.. il a dit qu'il était le fils de Dieu!..
–Et celui-là qui se dit le fils de Dieu, – cria l'émissaire-celui-là qui se dit le fils de Dieu se dit aussi roi des Juifs…
–C'est un ennemi de l'empereur!
–A mort! à mort! le Nazaréen!.. crucifiez-le Ponce-Pilate, singulier mélange de lâche faiblesse et d'équité, voulant sans doute tenter un dernier effort pour sauver Jésus, qu'il ne trouvait pas coupable, dit à la foule qu'il était d'usage pour la fête de ce jour de donner la liberté à un criminel, et que le peuple avait à choisir pour cet acte de clémence entre un prisonnier, nommé Barrabas, et Jésus, qui avait été déjà battu de verges, puis il ajouta:
«-Lequel des deux voulez-vous que je délivre? Jésus, ou Barrabas 31?»
Geneviève vit les émissaires des pharisiens courir dans la foule de groupe en groupe, et disant:
–Demandons la liberté de Barrabas… que l'on délivre Barrabas. Et bientôt la foule cria de toutes parts:
–Délivrez Barrabas et gardez Jésus!..
–Mais, – reprit Ponce-Pilate, – que ferai-je de Jésus?
–Crucifiez-le!.. – répondirent les mille voix de la foule, – crucifiez-le!..
–Mais, – reprit encore Ponce-Pilate, – quel mal a-t-il fait?
–Crucifiez-le!.. –
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«Ponce-Pilate
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«Mais les princes des prêtres et les sénateurs persuadèrent au peuple de demander Barrabas et de faire mourir Jésus.» (