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La Bête humaine. Emile ZolaЧитать онлайн книгу.

La Bête humaine - Emile Zola


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où il avait suivi plus tard les cours de l'école des arts et métiers. Il lui en gardait une vive reconnaissance, il disait que c'était à elle qu'il le devait, s'il avait fait son chemin. Lorsqu'il était devenu mécanicien de première classe à la Compagnie de l'Ouest, après deux années passées au chemin de fer d'Orléans, il y avait trouvé sa marraine, remariée à un garde-barrière du nom de Misard, exilée avec les deux filles de son premier mariage, dans ce trou perdu de la Croix-de-Maufras. Aujourd'hui, bien qu'âgée de quarante-cinq ans à peine, la belle tante Phasie d'autrefois, si grande, si forte, en paraissait soixante, amaigrie et jaunie, secouée de continuels frissons.

      Elle eut un cri de joie.

      – Comment, c'est toi, Jacques!.. Ah! mon grand garçon, quelle surprise!

      Il la baisa sur les joues, il lui expliqua qu'il venait d'avoir brusquement deux jours de congé forcé: la Lison, sa machine, en arrivant le matin au Havre, avait eu sa bielle rompue, et comme la réparation ne pouvait être terminée avant vingt-quatre heures, il ne reprendrait son service que le lendemain soir, pour l'express de six heures quarante. Alors, il avait voulu l'embrasser. Il coucherait, il ne repartirait de Barentin que par le train de sept heures vingt-six du matin. Et il gardait entre les siennes ses pauvres mains fondues, il lui disait combien sa dernière lettre l'avait inquiété.

      – Ah! oui, mon garçon, ça ne va plus, ça ne va plus du tout… Que tu es gentil d'avoir deviné mon désir de te voir! Mais je sais à quel point tu es tenu, je n'osais pas te demander de venir. Enfin, te voilà, et j'en ai si gros, si gros sur le coeur!

      Elle s'interrompit, pour jeter craintivement un regard par la fenêtre. Sous le jour finissant, de l'autre côté de la voie, on apercevait son mari, Misard, dans un poste de cantonnement, une de ces cabanes de planches, établies tous les cinq ou six kilomètres et reliées par des appareils télégraphiques, afin d'assurer la bonne circulation des trains. Tandis que sa femme, et plus tard Flore, était chargée de la barrière du passage à niveau, on avait fait de Misard un stationnaire.

      Comme s'il avait pu l'entendre, elle baissa la voix, dans un frisson.

      – Je crois bien qu'il m'empoisonne!

      Jacques eut un sursaut de surprise à cette confidence, et ses yeux, en se tournant eux aussi vers la fenêtre, furent de nouveau ternis par ce trouble singulier, cette petite fumée rousse qui en pâlissait l'éclat noir, diamanté d'or.

      – Oh! tante Phasie, quelle idée! murmura-t-il. Il a l'air si doux et si faible.

      Un train allant vers Le Havre venait de passer, et Misard était sorti de son poste, pour fermer la voie derrière lui. Pendant qu'il remontait le levier, mettant au rouge le signal, Jacques le regardait. Un petit homme malingre, les cheveux et la barbe rares, décolorés, la figure creusée et pauvre. Avec cela, silencieux, effacé, sans colère, d'une politesse obséquieuse devant les chefs. Mais il était rentré dans la cabane de planches, pour inscrire sur son garde-temps l'heure du passage, et pour pousser les deux boutons électriques, l'un qui rendait la voie libre au poste précédent, l'autre qui annonçait le train au poste suivant.

      – Ah! tu ne le connais pas, reprit tante Phasie. Je te dis qu'il doit me faire prendre quelque saleté… Moi qui étais si forte, qui l'aurais mangé, et c'est lui, ce bout d'homme, ce rien du tout, qui me mange!

      Elle s'enfiévrait d'une rancune sourde et peureuse, elle vidait son coeur, ravie de tenir enfin quelqu'un qui l'écoutait. Où avait-elle eu la tête de se remarier avec un sournois pareil, et sans le sou, et avare, elle plus âgée de cinq ans, ayant deux filles, l'une de six ans, l'autre de huit ans déjà? Voici dix années bientôt qu'elle avait fait ce beau coup, et pas une heure ne s'était écoulée sans qu'elle en eût le repentir: une existence de misère, un exil dans ce coin glacé du Nord, où elle grelottait, un ennui à périr, de n'avoir jamais personne à qui causer, pas même une voisine. Lui, était un ancien poseur de la voie, qui, maintenant, gagnait douze cents francs comme stationnaire; elle, dès le début, avait eu cinquante francs pour la barrière, dont Flore aujourd'hui se trouvait chargée; et là étaient le présent et l'avenir, aucun autre espoir, la certitude de vivre et de crever dans ce trou, à mille lieues des vivants. Ce qu'elle ne racontait pas, c'étaient les consolations qu'elle avait encore, avant de tomber malade, lorsque son mari travaillait au ballast, et qu'elle demeurait seule à garder la barrière avec ses filles; car elle possédait alors, de Rouen au Havre, sur toute la ligne, une telle réputation de belle femme, que les inspecteurs de la voie la visitaient au passage; même il y avait eu des rivalités, les piqueurs d'un autre service étaient toujours en tournée, à redoubler de surveillance. Le mari n'était pas une gêne, déférent avec tout le monde, se glissant par les portes, partant, revenant sans rien voir. Mais ces distractions avaient cessé, et elle restait là, les semaines, les mois, sur cette chaise, dans cette solitude, à sentir son corps s'en aller un peu plus, d'heure en heure.

      – Je te dis, répéta-t-elle pour conclure, que c'est lui qui s'est mis après moi, et qu'il m'achèvera, tout petit qu'il est.

      Une sonnerie brusque lui fit jeter au-dehors le même regard inquiet. C'était le poste précédent qui annonçait à Misard un train allant sur Paris; et l'aiguille de l'appareil de cantonnement, posé devant la vitre, s'était inclinée dans le sens de la direction. Il arrêta la sonnerie, il sortit pour signaler le train par deux sons de trompe. Flore, à ce moment, vint pousser la barrière; puis, elle se planta, tenant tout droit le drapeau, dans son fourreau de cuir. On entendit le train, un express, caché par une courbe, s'approcher avec un grondement qui grandissait. Il passa comme en un coup de foudre, ébranlant, menaçant d'emporter la maison basse, au milieu d'un vent de tempête. Déjà Flore s'en retournait à ses légumes, tandis que Misard, après avoir fermé la voie montante derrière le train, allait rouvrir la voie descendante, en abattant le levier pour effacer le signal rouge; car une nouvelle sonnerie, accompagnée du relèvement de l'autre aiguille, venait de l'avertir que le train, passé cinq minutes plus tôt, avait franchi le poste suivant. Il rentra, prévint les deux postes, inscrivit le passage, puis attendit. Besogne toujours la même, qu'il faisait pendant douze heures, vivant là, mangeant là, sans lire trois lignes d'un journal, sans paraître même avoir une pensée, sous son crâne oblique.

      Jacques, qui, autrefois, plaisantait sa marraine sur les ravages qu'elle faisait parmi les inspecteurs de la voie, ne put s'empêcher de sourire, en disant:

      – Peut-être bien qu'il est jaloux.

      Mais Phasie eut un haussement d'épaules plein de pitié, pendant qu'un rire montait également, irrésistible, à ses pauvres yeux pâlis.

      – Ah! mon garçon, qu'est-ce que tu dis là?.. Lui, jaloux! Il s'en est toujours fichu, du moment que ça ne lui sortait rien de la poche.

      Puis, reprise de son frisson:

      – Non, non, il n'y tenait guère, à ça. Il ne tient qu'à l'argent… Ce qui nous a fâchés, vois-tu, c'est que je n'ai pas voulu lui donner les mille francs de papa, l'année dernière, quand j'ai hérité. Alors, ainsi qu'il m'en menaçait, ça m'a porté malheur, je suis tombée malade… Et le mal ne m'a plus quittée depuis cette époque, oui! Juste depuis cette époque.

      Le jeune homme comprit, et comme il croyait à des idées noires de femme souffrante, il essaya encore de la dissuader. Mais elle s'entêtait d'un branle de la tête, en personne dont la conviction est faite. Aussi finit-il par dire:

      – Eh bien, rien n'est plus simple, si vous désirez que ça finisse… Donnez-lui vos mille francs.

      Un effort extraordinaire la mit debout. Et, ressuscitée, violente:

      – Mes mille francs, jamais! J'aime mieux crever… Ah! ils sont cachés, bien cachés, va! On peut retourner la maison, je défie qu'on les trouve… Et il l'a assez retournée, lui, le malin! Je l'ai entendu, la nuit, qui tapait dans tous les murs. Cherche, cherche! Rien que le plaisir de voir son nez s'allonger, ça me suffirait pour prendre patience… Faudra savoir qui lâchera le premier, de lui ou de moi. Je me méfie, je n'avale plus rien de ce qu'il touche. Et si je claquais, eh bien, il ne les aurait tout de même pas, mes mille francs! je préférerais les laisser à la terre.

      Elle retomba sur la chaise,


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