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La Faute de l'abbé Mouret. Emile ZolaЧитать онлайн книгу.

La Faute de l'abbé Mouret - Emile Zola


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la route du tapage de leurs gros souliers, se poussant, se roulant, se vautrant. Une odeur humaine montait de ce tas de maisons branlantes. Et le prêtre se croyait encore dans la basse-cour de Désirée, en face d'un pullulement de bêtes sans cesse multipliées. Il trouvait là la même chaleur de génération, les mêmes couches continues, dont la sensation lui avait causé un malaise. Vivant depuis le matin dans cette histoire de la grossesse de Rosalie, il finissait par penser à cela, aux saletés de l'existence, aux poussées de la chair, à la reproduction fatale de l'espèce semant les hommes comme des grains de blé. Les Artaud étaient un troupeau parqué entre les quatre collines de l'horizon, engendrant, s'étalant davantage sur le sol, à chaque portée des femelles.

      – Tenez, cria Frère Archangias, qui s'interrompit pour montrer une grande fille se laissant embrasser par son amoureux, derrière un buisson, voilà encore une gueuse, là-bas!

      Il agita ses longs bras noirs, jusqu'à ce qu'il eût mis le couple en fuite. Au loin, sur les terres rouges, sur les roches pelées, le soleil se mourait, dans une dernière flambée d'incendie. Peu à peu, la nuit tomba. L'odeur chaude des lavandes devint plus fraîche, apportée par les souffles légers qui se levaient. Il y eut, par moments, un large soupir, comme si cette terre terrible, toute brûlée de passions, se fût enfin calmée, sous la pluie grise du crépuscule. L'abbé Mouret, son chapeau à la main, heureux du froid, sentait la paix de l'ombre redescendre en lui.

      – Monsieur le curé! Frère Archangias! appela la Teuse. Vite! la soupe est servie.

      C'était une soupe aux choux, dont la vapeur forte emplissait la salle à manger du presbytère. Le Frère s'assit, vidant lentement l'énorme assiette que la Teuse venait de poser devant lui. Il mangeait beaucoup, avec un gloussement du gosier qui laissait entendre la nourriture tomber dans l'estomac. Les yeux sur la cuiller, il ne soufflait mot.

      – Ma soupe n'est donc pas bonne, monsieur le curé? demanda la vieille servante. Vous êtes là, à chipoter dans votre assiette.

      – Je n'ai guère faim, ma bonne Teuse, répondit le prêtre en souriant.

      – Pardi! ce n'est pas étonnant, quand on fait les cent dix-neuf coups!.. Vous auriez faim, si vous n'aviez pas déjeuné à deux heures passées.

      Frère Archangias, après avoir versé dans sa cuiller les quelques gouttes de bouillon restées au fond de son assiette, dit posément:

      – Il faut être régulier dans ses repas, monsieur le curé.

      Cependant Désirée, qui avait, elle aussi, mangé sa soupe, sérieusement, sans ouvrir les lèvres, venait de se lever pour suivre la Teuse à la cuisine. Le Frère, resté seul avec l'abbé Mouret, se taillait de longues bouchées de pain, qu'il avalait, tout en attendant le plat.

      – Alors, vous avez fait une grande tournée? demanda-t-il.

      Le prêtre n'eut pas le temps de répondre. Un bruit de pas, d'exclamations, de rires sonores, s'éleva au bout du corridor, du côté de la cour. Il y eut comme une courte dispute. Une voix de flûte qui troubla l'abbé, se fâchait, parlant vite, se perdant au milieu d'une bouffée de gaieté.

      – Qu'est-ce donc? dit-il en quittant sa chaise.

      Désirée rentra d'un bond. Elle cachait quelque chose sous sa jupe retroussée. Elle répétait vivement:

      – Est-elle drôle! Elle n'a pas voulu venir. Je la tenais par sa robe; mais elle est joliment forte, elle m'a échappé.

      – De qui parle-t-elle? interrogea la Teuse, qui accourait de la cuisine, apportant un plat de pommes de terre, sur lequel s'allongeait un morceau de lard.

      La jeune fille s'était assise. Avec des précautions infinies, elle tira de dessous sa jupe un nid de merles, où dormaient trois petits. Elle le posa sur son assiette. Dès que les petits aperçurent la lumière, ils allongèrent des cous frêles, ouvrant leurs becs saignants, demandant à manger. Désirée tapa les mains, charmée, prise d'une émotion extraordinaire, en face de ces bêtes qu'elle ne connaissait pas.

      – C'est cette fille du Paradou! s'écria l'abbé, se souvenant brusquement.

      Le Teuse s'était approchée de la fenêtre.

      – C'est vrai, dit-elle. J'aurais dû la reconnaître à sa voix de cigale… Ah! la bohémienne! Tenez, elle est restée là-bas, à nous espionner.

      L'abbé Mouret s'avança. Il crut voir, en effet, derrière un genévrier, la jupe orange d'Albine. Mais Frère Archangias se haussa violemment derrière lui, allongeant le poing, branlant sa tête rude, tonnant:

      – Que le diable te prenne, fille de bandit! Je te traînerai par les cheveux autour de l'église, si je t'attrape à venir ici tes maléfices!

      Un éclat de rire, frais comme une haleine de la nuit, monta du sentier. Puis, il y eut une course légère, un murmure de robe coulant sur l'herbe, pareil à un frôlement de couleuvre. L'abbé Mouret, debout devant la fenêtre, suivait au loin une tache blonde glissant entre les bois de pins, ainsi qu'un reflet de lune. Les souffles qui lui arrivaient de la campagne, avaient ce puissant parfum de verdure, cette odeur de fleurs sauvages qu'Albine secouait de ses bras nus, de sa taille libre, de ses cheveux dénoués.

      – Une damnée, une fille de perdition! gronda sourdement Frère Archangias, en se remettant à table.

      Il mangea gloutonnement son lard, avalant des pommes de terre entières en guise de pain. Jamais la Teuse ne put décider Désirée à finir de dîner. La grande enfant restait en extase devant le nid de merles, questionnant, demandant ce que ça mangeait, si ça faisait des oeufs, à quoi on reconnaissait les coqs, chez ces bêtes-là.

      Mais la vieille servante eut comme un soupçon. Elle se posa sur sa bonne jambe, regardant le jeune curé dans les yeux.

      – Vous connaissez donc les gens du Paradou? dit-elle.

      Alors, simplement, il dit la vérité, il raconta la visite qu'il avait faite au vieux Jeanbernat. La Teuse échangeait des regards scandalisés avec Frère Archangias. Elle ne répondit d'abord rien. Elle tournait autour de la table, boitant furieusement, donnant des coups de talon à fendre le plancher.

      – Vous auriez bien pu me parler de ces gens, depuis trois mois, finit par dire le prêtre. J'aurais su au moins chez qui je me présentais.

      La Teuse s'arrêta net, les jambes comme cassées.

      – Ne mentez pas, monsieur le curé, bégaya-t-elle; ne mentez pas, ça augmenterait encore votre péché… Comment osez-vous dire que je ne vous ai pas parlé du Philosophe, de ce païen qui est le scandale de toute la contrée! La vérité est que vous ne m'écoutez jamais, quand je cause. Ça vous entre par une oreille, ça sort par l'autre… Ah! si vous m'écoutiez, vous vous éviteriez bien des regrets!

      – Je vous ai dit aussi un mot de ces abominations, affirma le Frère.

      L'abbé Mouret eut un léger haussement d'épaules.

      – Enfin, je ne me suis plus souvenu, reprit-il. C'est au Paradou seulement que j'ai cru me rappeler certaines histoires… D'ailleurs, je me serais rendu quand même auprès de ce malheureux, que je croyais en danger de mort.

      Frère Archangias, la bouche pleine, donna un violent coup de couteau sur la table, criant:

      – Jeanbernat est un chien. Il doit crever comme un chien.

      Puis, voyant le prêtre protester de la tête, lui coupant la parole:

      – Non, non, il n'y a pas de Dieu pour lui, pas de pénitence, pas de miséricorde… Il vaudrait mieux jeter l'hostie aux cochons que de la porter à ce gredin.

      Il reprit des pommes de terre, les coudes sur la table, le menton dans son assiette, mâchant d'une façon furibonde. La Teuse, les lèvres pincées, toute blanche de colère, se contenta de dire sèchement:

      – Laissez, monsieur le curé n'en veut faire qu'à sa tête, monsieur le curé a des secrets pour nous, maintenant.

      Un gros silence régna. Pendant un instant, on n'entendit que le bruit des mâchoires du Frère, accompagné de


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