Aventures de Monsieur Pickwick, Vol. I. Чарльз ДиккенсЧитать онлайн книгу.
mais d'un esprit de civilisation; leurs yeux n'étincellent pas du feu sauvage de la rapine et de la vengeance, mais de la douce lumière de l'intelligence et de l'humanité!»
M. Pickwick s'unissait entièrement à ces éloges, quant à l'esprit qui les dictait, mais il ne pouvait pas en approuver aussi complétement les termes. En effet, la douce lumière de l'intelligence brillait assez faiblement, attendu que le commandement de «yeux, front!» avait été donné, et que les spectateurs n'apercevaient pas autre chose que plusieurs milliers de prunelles, regardant directement devant elles, et entièrement dénuées de toute expression quelconque.
Cependant la foule s'était écoulée peu à peu, et nos voyageurs se trouvaient presque seuls dans cet endroit.
«Nous sommes maintenant dans une excellente position, dit M. Pickwick, en regardant autour de lui.
– Excellente: repartirent à la fois MM. Winkle et Snodgrass.
– Que font-ils maintenant? reprit M. Pickwick, en ajustant ses lunettes.
– Il me… Il me semble… balbutia M. Winkle en changeant de couleur, il me semble qu'ils vont faire feu!
– Allons donc! s'écria M. Pickwick avec précipitation.
– Je crois… je crois qu'il a raison, observa M. Snodgrass avec quelque alarme.
– Impossible! répéta M. Pickwick.» Mais à peine avait-il prononcé ces mots, que les six régiments, agissant comme un seul homme, et comme s'ils n'avaient eu qu'un seul point de mire, couchèrent en joue les malheureux pickwickiens, et firent la plus effroyable décharge qui ait jamais ébranlé le centre de la terre ou le courage d'un gentleman un peu mûr.
Dans cette situation critique, exposé à un feu continuel de cartouches blanches, harrassé par les opérations des troupes, auxquelles un nouveau renfort venait d'arriver, se développant derrière M. Pickwick, il montra cet admirable sang-froid, compagnon nécessaire d'un esprit supérieur. Saisissant M. Winkle par le bras, et se plaçant entre lui et M. Snodgrass, il les engagea instamment a remarquer qu'excepté le danger d'être assourdi par le bruit, il n'y avait aucun péril à redouter.
«Mais… mais… dit M. Winkle, en pâlissant, supposez que les soldats aient quelques cartouches à balles, par erreur? Je viens d'entendre un sifflement aigu, juste à mon oreille.
– Ne ferions-nous pas mieux de nous jeter à plat-ventre? demanda M. Snodgrass?
– Non, non, tout est fini maintenant, répondit M. Pickwick.» Et en disant ces mots, ses lèvres pouvaient trembler, ses joues pouvaient blanchir, mais aucune expression de crainte ou d'inquiétude ne s'échappa de la bouche de cet homme immortel.
M. Pickwick ne s'était pas trompé; la fusillade était terminée. Il ne songeait donc plus qu'à se féliciter de la justesse de son hypothèse, quand il aperçut sur toute la ligne un mouvement rapide. Les cris de commandement retentirent, et avant que nos voyageurs eussent en le temps de former une conjecture relativement à cette nouvelle manœuvre, les six régiments tout entiers firent une charge à la baïonnette au pas de course sur le lieu même où M. Pickwick et ses amis étaient stationnés.
Tout homme est mortel, et le courage humain a des bornes. Pendant un instant M. Pickwick regarda à travers ses lunettes la masse compacte qui s'avançait; puis il lui tourna le dos, et se mit… nous ne dirons pas à fuir, premièrement, parce que c'est une expression déshonorante; secondement, parce que la personne de M. Pickwick n'était nullement appropriée à ce genre de retraite. Il se mit à trotter aussi vite que le lui permettaient le peu de longueur de ses jambes et la pesanteur de son corps; si vite, en effet, qu'il s'aperçut trop tard de tous les dangers de sa situation.
Les troupes, dont l'apparition sur ses derrières avait déjà inquiété M. Pickwick quelques secondes auparavant, s'étaient déployées en bataille pour repousser la feinte attaque des assiégeants fictifs de la citadelle; de sorte que les trois amis se trouvèrent enfermés entre deux longues murailles de baïonnettes, dont l'une s'avançait rapidement, tandis que l'autre attendait avec fermeté le choc épouvantable.
«Hohé! hohé! crièrent les officiers de la colonne mouvante.
– Otez-vous de là! beuglèrent les officiers de la colonne stationnaire.
– Où pouvons-nous aller? s'écrièrent les pickwickiens pleins de trouble.
– Hohé! hohé!» telle fut la seule réponse; puis il y eut un moment d'égarement inouï, un bruit lourd de pas cadencés, un choc violent, une confusion de rires étouffés, et les troupes se retrouvèrent à cinq cents toises de distance, et les semelles des bottes de M. Pickwick furent aperçues en l'air.
M. Snodgrass et M. Winkle venaient d'exécuter, avec beaucoup de prestesse, une culbute obligée. M. Winkle, assis par terre, étanchait, avec un mouchoir de soie jaune, le sang qui s'écoulait de son nez, quand ils virent leur vénérable chef courant, à quelque distance, après son chapeau, lequel s'éloignait en caracolant avec malice.
Il y a peu d'instants dans l'existence d'un homme où il éprouve plus de détresse visible, où il excite moins de commisération que lorsqu'il donne la chasse à son propre chapeau. Il faut avoir une grande dose de sang-froid, un jugement bien sûr pour le pouvoir rattraper. Si l'on court trop vite, on passe par-dessus; si l'on se baisse trop lentement, au moment où l'on croit le saisir, il est déjà bien loin. La meilleure méthode est de trotter parallèlement à l'objet de votre poursuite, d'être prudent et attentif, de bien guetter l'occasion, de gagner les devants par degrés, puis de plonger rapidement, de prendre votre chapeau par la forme, et de le planter solidement sur votre tête, en souriant gracieusement pendant tout ce temps, comme si vous trouviez la plaisanterie aussi bonne que tout le monde.
Il faisait un petit vent frais, et le chapeau de M. Pickwick roulait comme en se jouant devant lui. Le vent soufflait et M. Pickwick s'essoufflait; et le chapeau roulait, et roulait aussi gaiement qu'un marsouin en belle humeur dans un courant rapide; il roulerait encore, bien au delà de la portée de M. Pickwick, s'il n'eût été arrêté par un obstacle providentiel, au moment où notre voyageur allait l'abandonner à son malheureux sort.
M. Pickwick, complétement épuisé, allait donc abandonner sa poursuite, quand le chapeau s'aplatit contre la roue d'un carrosse qui se trouvait rangé en ligne avec une douzaine d'autres véhicules. Le philosophe, apercevant son avantage, s'élança vivement, s'empara de son couvre-chef, le plaça sur sa tête, et s'arrêta pour reprendre haleine. Il y avait une demi-minute environ qu'il était là, lorsqu'il entendit son nom chaleureusement prononcé par une voix amie; il leva les yeux et découvrit un spectacle qui le remplit à la fois de surprise et de plaisir.
Dans une calèche découverte, dont les chevaux avaient été retirés à cause de la foule, se tenaient debout les personnes ci-après désignées: un vieux gentleman, gros et vigoureux, vêtu d'un habit bleu à boutons d'or, d'une culotte de velours et de bottes à revers; deux jeunes demoiselles, avec des écharpes et des plumes; un jeune homme, apparemment amoureux d'une des jeunes demoiselles; une dame, d'un âge douteux, probablement tante desdites demoiselles; et enfin M. Tupman, aussi tranquille, aussi à son aise que s'il avait fait partie de la famille depuis son enfance. Derrière la voiture était attachée une bourriche d'une vaste dimension, une de ces bourriches qui, par association d'idées, éveillent toujours, dans un esprit contemplatif, des pensées de volailles froides, de langues fourrées et de bouteilles de bon vin. Enfin, sur le siége de la calèche, dans un état heureux de somnolence, était assis un jeune garçon, gros, rougeaud et joufflu, qu'un observateur spéculatif ne pouvait regarder pendant quelques secondes sans conclure qu'il devait être le dispensateur officiel des trésors de la bourriche, lorsque le temps convenable pour leur consommation serait arrivé.
M. Pickwick avait à peine jeté un coup d'œil rapide sur ces intéressants objets, quand il fut hélé de nouveau par son fidèle disciple.
«Pickwick! Pickwick! lui disait-il! montez! montez vite!
– Venez, monsieur, venez, je vous en prie, ajouta le vieux gentleman. Joe! Que le diable emporte ce garçon! Il est encore à dormir! Joe! abaissez le marchepied.»
La