Aventures de Monsieur Pickwick, Vol. I. Чарльз ДиккенсЧитать онлайн книгу.
les dames horriblement alarmées par cette précaution.
– IL est arrivé un petit accident à M. Tupman; voilà tout.»
La tante demoiselle poussa un cri perçant, ferma les yeux et se laissa tomber à la renverse dans les bras des deux jeunes personnes.
«Jetez-lui de l'eau froide au visage, s'écria le vieux gentleman.
– Non! Non! murmura la tante demoiselle. Je suis mieux maintenant, Bella… Émily… Un chirurgien… Est-il blessé? est-il mort? est-il… Ah! ah! ah!..» Et la tante demoiselle, poussant de nouveaux cris, eut une attaque de nerfs n° 2.
«Calmez-vous, dit M. Tupman affecté presque jusqu'aux larmes de cette expression de sympathie pour ses souffrances. Chère demoiselle, calmez-vous!
– C'est sa voix! s'écria la tante demoiselle; et de violents symptômes d'une attaque n° 3 se manifestèrent aussitôt.
– Ne vous tourmentez pas, je vous en supplie, très-chère demoiselle, reprit M. Tupman d'une voix consolante. Je suis fort peu blessé, je vous assure.
– Vous n'êtes donc pas mort? s'écria la nerveuse personne. Oh! dites que vous n'êtes pas mort.
– Ne faites pas la folle, Rachel, interrompit M. Wardle, d'une manière plus brusque que ne semblait le comporter la nature poétique de cette scène. Quelle diable de nécessité y a-t-il, qu'il vous dise lui-même qu'il n'est pas mort?
– Non! je ne le suis pas, reprit M. Tupman; je n'ai pas besoin d'autres secours que les vôtres. Laissez-moi m'appuyer sur votre bras…» Et il ajouta à son oreille: «O miss Rachel!» Pleine d'agitation, la dame de ses pensées s'avança et lui offrit son bras. Ils entrèrent ensemble dans le salon. M. Tracy Tupman pressa doucement sur ses lèvres une main qu'on lui abandonna, et se laissa tomber ensuite sur un canapé.
«Vous trouvez-vous mal? demanda Rachel avec anxiété.
– Non, ce n'est rien; je serai mieux dans un instant, répondit M. Tupman en fermant les yeux.
– Il dort! murmura la tante demoiselle (il avait clos ses paupières depuis près de vingt secondes). Il dort! cher M. Tupman!»
M. Tupman sauta sur ses pieds. Oh! répétez ces paroles! s'écria-t-il.
La dame tressaillit. «Sûrement vous ne les avez pas entendues, dit-elle avec pudeur.
– Oh! si, je les ai entendues, répliqua chaleureusement M. Tupman. Répétez ces paroles, si vous voulez que je guérisse! répétez-les.
– Silence! dit la dame! voilà mon frère!»
M. Tracy Tupman reprit sa première position, et M. Wardle entra dans la chambre, accompagné d'un chirurgien.
Le bras fut examiné; la blessure pansée, et déclarée fort légère; et l'esprit des assistants se trouvant ainsi rassuré ils procédèrent à satisfaire leur appétit. La gaieté brillait de nouveau sur leurs visages. M. Pickwick seul restait silencieux et réservé; la doute et la méfiance se peignaient sur sa physionomie expressive, car sa confiance en M. Winkle avait été ébranlée, grandement ébranlée par les aventures du matin.
«Jouez-vous à la crosse? demanda M. Wardle au chasseur.
Dans tout autre temps M. Winkle aurait répondu d'une manière affirmative, mais il sentit la délicatesse de sa position, et répliqua modestement: «Non monsieur.
– Et vous, monsieur? demanda M. Snodgrass au joyeux vieillard.
– J'y jouais autrefois, répliqua celui-ci; mais j'y ai renoncé désormais. Cependant je souscris au club, quoique je ne joue plus.
– N'est-ce pas aujourd'hui qu'a lieu la grande partie entre les camps opposés de Muggleton et de Dingley-Dell? demanda M. Pickwick.
– Oui, répliqua leur hôte: vous y viendrez, n'est-ce pas?
– Oui, monsieur, répondit M. Pickwick: j'ai grand plaisir à voir des exercices auxquels on peut se livrer sans danger, et dans lesquels la maladresse des gens ne met pas en péril la vie de leurs semblables.» En prononçant ces mots M. Pickwick fit une pause expressive, et regarda fixement M. Winkle, qui ne put soutenir sans frémir le coup d'œil pénétrant de son mentor. Celui-ci ajouta alors: «Ne serait-il pas convenable de confier notre ami blessé aux soins de ces dames?
– Vous ne pouvez pas me placer dans de meilleures mains, murmura M Tupman.
– Ce serait impossible,» ajouta M. Snodgrass.
Il fut donc convenu que M. Tupman resterait à la maison sous la surveillance des dames, et que la portion masculine de la société, conduite par M. Wardle, irait juger des coups dans ce combat d'habileté qui avait tiré Muggleton de sa torpeur, et inoculé à Dingley-Dell une excitation fébrile.
Il n'y avait guère qu'une demi-lieue de distance à parcourir, et le sentier couvert de mousse passait par des allées ombragées. La conversation roula principalement sur les délicieux paysages qui se découvraient tour à tour, et M. Pickwick regretta presque d'avoir été si vite, lorsqu'il se trouva dans la grande rue de Muggleton.
Toutes les personnes dont le génie est doué de la moindre propension géographique savent, nécessairement, que la ville de Muggleton jouit d'une corporation, qu'elle possède un maire, des bourgeois, des électeurs: et quiconque consultera les Adresses du maire aux freemen, ou celles des freemen au maire, ou celles du maire et des freemen à la corporation, ou celles du maire, des freemen et de la corporation au Parlement, apprendra par là ce qu'il aurait dû connaître auparavant: à savoir, que Muggleton est un bourg ancien et loyal, unissant une ferveur zélée pour les principes du christianisme à un attachement solide aux droits commerciaux. En preuve de quoi, le maire, la corporation et divers habitants, ont présenté à différentes reprises soixante-huit pétitions pour qu'on permit la vente des bénéfices dans l'église, quatre-vingt-six pétitions pour qu'on défendît la vente dans les rues le dimanche, mille quatre cent vingt pétitions contre la traite des noirs en Amérique, avec un nombre égal de pétitions contre toute espèce d'intervention législative, au sujet du travail exagéré des enfants, dans les manufactures anglaises.
Lorsque M. Pickwick se trouva dans la grande rue de cet illustre bourg, il contempla la scène qui s'offrit à ses yeux avec une curiosité mélangée d'intérêt.
La place du marché avait la forme d'un carré au centre duquel s'était érigée une vaste auberge. Son enseigne énorme étalait un objet fort commun dans les arts, mais qu'on rencontre rarement dans la nature, c'est-à-dire un lion bleu, ayant trois pattes en l'air et se balançant sur l'extrémité de l'ongle central de la quatrième. On voyait aux environs un bureau d'assurance contre l'incendie et celui d'un commissaire-priseur, les magasins d'un marchand de blé et d'un marchand de toile, les boutiques d'un sellier, d'un distillateur, d'un épicier et d'un cordonnier, lequel cordonnier faisait également servir son local à la diffusion des chapeaux, des bonnets, des hardes de toute espèce, des parapluies et des connaissances utiles. Il y avait en outre une petite maison de briques rouges, précédée d'une sorte de cour pavée, et que tout le monde, à la première vue, reconnaissait pour appartenir à un avoué. Il y avait encore une autre maison en briques rouges sur la porte de laquelle s'étalait une large plaque de cuivre annonçant, en caractères très-lisibles, que cette maison appartenait à un chirurgien. Quelques jeunes gens se dirigeaient vers le jeu de crosse, et deux ou trois boutiquiers, se tenant debout sur le pavé de leur porte, avaient l'air fort désireux de se rendre au même endroit, comme ils auraient pu le faire, selon toutes les apparences, sans perdre un grand nombre de chalands.
M. Pickwick s'était déjà arrêté pour faire ces observations qu'il se proposait de noter à son aise, mais comme ses amis avaient quitté la grande rue, il se hâta de les rejoindre et les retrouva en vue du champ de bataille.
Les barres que les joueurs doivent conquérir ou défendre étaient déjà placées, aussi bien qu'une couple de tentes pour servir au repos et au rafraîchissement des parties belligérantes. Mais le jeu n'était pas encore commencé. Deux ou trois Dingley-Dellois ou Muggletoniens s'amusaient d'un air majestueux