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L'Argent. Emile ZolaЧитать онлайн книгу.

L'Argent - Emile Zola


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se remettant à sourire:

      «Vous savez que je me suis marié… Oui, avec une petite amie d'enfance. On nous avait fiancés aux jours où j'étais riche, et elle s'est entêtée à vouloir quand même du pauvre diable que je suis devenu.

      – Parfaitement, j'ai reçu la lettre de faire part, dit Saccard. Et imaginez-vous que j'ai été en rapport, autrefois, avec votre beau-père, M. Maugendre, lorsqu'il avait sa manufacture de bâches, à la Villette. Il a dû y gagner une jolie fortune.»

      Cette conversation avait lieu prés d'un banc, et Jordan l'interrompit, pour présenter un monsieur gros et court, à l'aspect militaire, qui se trouvait assis, et avec lequel il causait, lors de la rencontre.

      «Monsieur le capitaine Chave, un oncle de ma femme… Mme Maugendre, ma belle-mère, est une Chave, de Marseille.»

      Le capitaine s'était levé, et Saccard salua. Celui-ci connaissait de vue cette figure apoplectique, au cou raidi par l'usage du col de crin, un de ces types d'infimes joueurs au comptant, qu'on était certain de rencontrer tous les jours là, d'une heure à trois. C'est un jeu de gagne-petit, un gain presque assuré de quinze à vingt francs, qu'il faut réaliser dans la même Bourse.

      Jordan avait ajouté avec son bon rire expliquant sa présence:

      «Un boursier féroce, mon oncle, dont je ne fais, parfois, que serrer la main en passant.

      – Dame! dit simplement le capitaine, il faut bien jouer, puisque le gouvernement, avec sa pension, me laisse crever de faim.»

      Ensuite, Saccard, que le jeune homme intéressait par sa bravoure à vivre, lui demanda si les choses de la littérature marchaient. Et Jordan, s'égayant encore, raconta l'installation de son pauvre ménage à un cinquième de l'avenue de Clichy; car les Maugendre, qui se défiaient d'un poète, croyant avoir beaucoup fait en consentant au mariage, n'avaient rien donné, sous le prétexte que leur fille, après eux, aurait leur fortune intacte, engraissée d'économies. Non, la littérature ne nourrit pas son homme, il avait en projet un roman qu'il ne trouvait pas le temps d'écrire, et il était entré forcément dans le journalisme, où il bâclait tout ce qui concernait son état, depuis des chroniques, jusqu'à des comptes rendus de tribunaux et même des faits divers.

      «Eh bien, dit Saccard, si je monte ma grande affaire, j'aurai peut-être besoin de vous. Venez donc me voir.»

      Après avoir salué, il tourna derrière la Bourse. Là, enfin, la clameur lointaine, les abois du jeu cessèrent, ne furent qu'une rumeur vague, perdue dans le grondement de la place. De ce côté, les marches étaient également envahies de monde; mais le cabinet des agents de change, dont on voyait les tentures rouges par les hautes fenêtres, isolait du vacarme de la grande salle la colonnade, où des spéculateurs, les délicats, les riches, s'étaient assis commodément à l'ombre, quelques-uns seuls, d'autres par petits groupes, transformant en une sorte de club ce vaste péristyle ouvert au plein ciel. C'était un peu, ce derrière du monument, comme l'envers d'un théâtre, l'entrée des artistes, avec la rue louche et relativement tranquille, cette rue Notre-Dame-des-Victoires, occupée toute par des marchands de vin, des cafés, des brasseries, des tavernes, grouillant d'une clientèle spéciale, étrangement mêlée. Les enseignes indiquaient aussi la végétation mauvaise, poussée au bord d'un grand cloaque voisin des compagnies d'assurances mal famées, des journaux financiers de brigandage, des sociétés, des banques, des agences, des comptoirs, la série entière des modestes coupe-gorge, installés dans des boutiques ou à des entresols, larges comme la main. Sur les trottoirs, au milieu de la chaussée partout, des hommes rôdaient, attendaient, ainsi qu'à la corne d'un bois.

      Saccard s'était arrêté à l'intérieur des grilles, levant les yeux sur la porte qui conduit au cabinet des agents de d'ange, avec le regard aigu d'un chef d'armée examinant sous toutes ses faces la place dont il veut tenter l'assaut, lorsqu'un grand gaillard, qui sortait d'une taverne, traversa la rue et vint s'incliner très bas.

      «Ah! monsieur Saccard, n'avez-vous rien pour moi? J'ai quitté définitivement le Crédit mobilier, je cherche une situation.»

      Jantrou était un ancien professeur, venu de Bordeaux à Paris, à la suite d'une histoire restée louche. Obligé de quitter l'Université, déclassé, mais beau garçon avec sa barbe noire en éventail et sa calvitie précoce, d'ailleurs lettré, intelligent et aimable, il était débarqué à la Bourse vers vingt-huit ans, s'y était traîné et sali pendant dix années comme remisier, en n'y gagnant guère que l'argent nécessaire a ses vices. Et, aujourd'hui, tout à fait chauve, se désolant ainsi qu'une fille dont les rides menacent le gagne-pain, il attendait toujours l'occasion qui devait le lancer au succès, à la fortune.

      Saccard, à le voir si humble, se rappela avec amertume, le salut de Sabatani, chez Champeaux: décidément, les tarés et les ratés seuls lui restaient. Mais il n'était pas sans estime pour l'intelligence vive de celui-ci, et il savait bien qu'on fait les troupes les plus braves avec les désespérés, ceux qui osent tout, ayant tout à gagner. Il se montra bonhomme.

      «Une situation, répéta-t-il. Eh! ça peut se trouver. Venez me voir.

      – Rue Saint-Lazare, maintenant, n'est-ce pas?

      – Oui, rue Saint-Lazare. Le matin.»

      Ils causèrent. Jantrou était très animé contre la Bourse, répétant qu'il fallait être un coquin pour y réussir, avec la rancune d'un homme qui n'avait pas eu la coquinerie chanceuse. C'était fini, il voulait tenter autre chose, il lui semblait que, grâce à sa culture universitaire, à sa connaissance du monde, il pouvait se faire une belle place dans l'administration. Saccard l'approuvait d'un hochement de tête. Et, comme ils étaient sortis des grilles, longeant le trottoir jusqu'à la rue Brongniart, tous deux s'intéressèrent à un coupé sombre, d'un attelage très correct, qui était arrêté dans cette rue, le cheval tourné vers la rue Montmartre. Tandis que le dos du cocher, haut perché, demeurait d'une immobilité de pierre, ils avaient remarqué qu'une tête de femme, à deux reprises, paraissait a la portière et disparaissait, vivement. Tout d'un coup, la tête se pencha, s'oublia, avec un long regard d'impatience en arrière, du côté de la Bourse.

      «La baronne Sandorff», murmura Saccard.

      C'était une tête brune très étrange, des yeux noirs brûlants sous des paupières meurtries, un visage de passion à la bouche saignante, et que gâtait seulement un nez trop long. Elle semblait fort jolie, d'une maturité précoce, pour ses vingt-cinq ans, avec son air de bacchante habillée par les grands couturiers du règne.

      «Oui, la baronne, répéta Jantrou. Je l'ai connue, quand elle était jeune fille, chez son père, le comte de Ladricourt. Oh! un enragé joueur, et d'une brutalité révoltante. J'allais prendre ses ordres chaque matin, il a failli me battre un jour. Je ne l'ai pas pleuré, celui-là, quand il est mort d'un coup de sang, ruiné, à la suite d'une série de liquidations lamentables… La petite alors à dû se résoudre à épouser le baron Sandorff, conseiller à l'ambassade d'Autriche, qui avait trente-cinq ans de plus qu'elle, et qu'elle avait positivement rendu fou, avec ses regards de feu.

      – Je sais», dit simplement Saccard.

      De nouveau, la tête de la baronne avait replongé dans le coupé. Mais, presque aussitôt, elle reparut, plus ardente, le cou tordu pour voir au loin, sur la place.

      «Elle joue, n'est-ce pas?

      – Oh! comme une perdue! Tous les jours de crise, on peut la voir la, dans sa voiture, guettant les cours, prenant fiévreusement des notes sur son carnet, donnant des ordres… Et, tenez! c'était Massias qu'elle attendait le voici qui la rejoint.»

      En effet, Massias courait de toute la vitesse de ses jambes courtes, sa cote a la main, et ils le virent qui s'accoudait a la portière du coupé, y plongeant la tête a son tour, en grande conférence avec la baronne. Puis, comme ils s'écartaient un peu, pour ne pas être surpris dans leur espionnage, et comme le remisier revenait, toujours courant, ils l'appelèrent. Lui, d'abord, jeta un regard de côté, s'assurant que le coin de la rue le cachait; ensuite, il s'arrêta net, essoufflé, son visage fleuri congestionné, gai quand même, avec ses gros yeux bleus d'une limpidité enfantine.

      «Mais


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