Эротические рассказы

Le Rêve. Emile ZolaЧитать онлайн книгу.

Le Rêve - Emile Zola


Скачать книгу
courroie clouée, s'accrochaient des poinçons, des maillets, des marteaux, des fers à découper le vélin, des menne-lourd, ébauchoirs de buis pour modeler les fils, à mesure qu'on les emploie. Sous la table de tilleul où l'on découpait, il y avait un grand dévidoir, dont les deux tourrettes d'osier, mobiles, tendaient un écheveau de laine rouge. Des colliers de bobines aux soies vives, enfilés dans une corde, pendaient près du bahut. Par terre, une corbeille était pleine de bobines vides. Une pelote de ficelle venait de tomber d'une chaise, déroulée.

      – Ah! le beau temps, le beau temps! reprit Angélique. Cela fait plaisir de vivre.

      Et, avant de se pencher sur son travail, elle s'oubliait encore un instant, devant la fenêtre ouverte, par laquelle entrait la radieuse matinée de mai. Un coin de soleil glissait du comble de la cathédrale, une odeur fraîche de lilas montait du jardin de l'Évêché. Elle souriait, éblouie, baignée de printemps.

      Puis, dans un sursaut, comme si elle se fût rendormie:

      – Père, je n'ai pas d'or à passer.

      Hubert, qui achevait de piquer le décalque d'un dessin de chape, alla chercher au fond du bahut un écheveau, le coupa, effila les deux bouts en égratignant l'or qui recouvrait la soie; et il apporta l'écheveau, enfermé dans une torche de parchemin.

      – C'est bien tout?

      – Oui, oui. D'un coup d'œil, elle s'était assurée que rien ne manquait plus: les broches chargées des ors différents, le rouge, le vert, le bleu; les bobines de soies de tous les tons; les paillettes, les cannetilles, bouillon ou frisure, dans le pâté, un fond de chapeau servant de boire; les longues aiguillés fines, les pinces d'acier, les dés, les ciseaux, la pelote de cire. Tout cela trottait sur le métier même, sur l'étoffe tendue que protégeait un fort papier gris.

      Elle avait enfilé une aiguillée d'or à passer. Mais, dès le premier point, il cassa, et elle dut effiler de nouveau, en égratignant un peu de l'or, qu'elle jeta dans le bourriquet, le carton aux déchets, qui traînait également sur le métier.

      – Ah! enfin! dit-elle, quand elle eut piqué son aiguille.

      Un grand silence régna. Hubert s'était mis à tendre un métier. Il avait posé les deux ensubles sur la chanlatte et sur le tréteau, bien en face, de façon à placer de droit fil la soie cramoisie de la chape, qu'Hubertine venait de coudre aux coutisses. Et il introduisait les lattes dans les mortaises des ensubles, où il les fixait, à l'aide de quatre clous. Puis, après avoir trélissé à droite et à gauche, il acheva de tendre en reculant les clous. On l'entendit taper du bout des doigts sur l'étoffé, qui résonnait comme un tambour. Angélique était devenue une brodeuse rare, d'une adresse et d'un goût dont s'émerveillaient les Hubert. En dehors de ce qu'ils lui avaient appris, elle apportait sa passion, qui donnait de la vie aux fleurs, de la foi aux symboles. Sous ses mains, la soie et l'or s'animaient, une envolée mystique élançait. les moindres ornements, elle s'y livrait toute, avec son imagination en continuel éveil, sa croyance au monde de l'invisible.

      Certaines de ses broderies avaient tellement remué le diocèse de Beaumont, qu'un prêtre, archéologue, et un autre, amateur de tableaux, étaient venus la voir, en s'extasiant devant ses Vierges, qu'ils comparaient aux naïves figures des primitifs.

      C'était la même sincérité, le même sentiment de l'au-delà, comme cerclé dans une perfection minutieuse des détails.

      Elle avait le don du dessin, un vrai miracle qui, sans professeur, rien qu'avec ses études du soir, à la lampe, lui permettait souvent de corriger ses modèles, de s'en écarter, d'aller à sa fantaisie, créant de la pointe de son aiguille. Aussi les Hubert, qui déclaraient la science du dessin nécessaire à une bonne brodeuse, s'effaçaient-ils devant elle, malgré leur ancienneté dans la partie. Et il s'en arrivaient modestement à n'être plus que ses aides, à la charger de tous les travaux de grand luxe, dont ils lui préparaient les dessous.

      D'un bout de l'année à l'autre, que de merveilles, éclatantes et saintes, lui passaient par les mains! Elle n'était que dans la soie, le satin, le velours, les draps d'or et d'argent. Elle brodait des chasubles, des étoles, des manipules, des chapes, des dalmatiques, des mitres, des bannières, des voiles de calice et de ciboire. Mais, surtout, les chasubles revenaient, continuelles, avec leurs cinq couleurs: le blanc pour les confesseurs et les vierges, le rouge pour les apôtres et les martyrs, le noir pour les morts et les jours de jeûne, le violet pour les innocents, le vert pour toutes les fêtes; et l'or aussi, d'un fréquent usage, pouvant remplacer le blanc, le rouge et le vert. Au centre de la croix, c'étaient toujours les mêmes symboles, les chiffres de Jésus et de Marie, le triangle entouré de rayons, l'agneau, le pélican, la colombe, un calice, un ostensoir, un cœur saignant sous les épines; tandis que, dans le montant et dans les bras, couraient des ornements ou des fleurs, toute l'ornementation des vieux styles, toute la flore des fleurs larges, les anémones, les tulipes, les pivoines, les grenades, les hortensias. Il ne s'écoulait pas de saison qu'elle ne refit les épis et les raisins symboliques, en argent sur le noir, en or sur le rouge. Pour les chasubles très fiches, elle nuançait des tableaux, des têtes de saints, un cadre central, l'Annonciation, la Crèche, le Calvaire.

      Tantôt les orfrois étaient brodés sur le fond même, tantôt elle rapportait les bandes, soie ou satin, sur du brocart d'or ou du velours. Et cette floraison de splendeurs sacrées, une à une, naissait de ses doigts minces.

      En ce moment, la chasuble à laquelle travaillait Angélique était une chasuble de satin blanc, dont la croix se trouvait faite d'une gerbe de lis d'or, entrelacée de roses vives, en soie nuancée. Au centre, dans une couronne de petites roses d'or mat, le chiffre de Marie rayonnait, en or rouge et vert, d'une grande richesse d'ornements.

      Depuis une heure qu'elle achevait, au passé, les feuilles des petites roses d'or, pas une parole n'avait troublé le silence. Mais l'aiguillée cassa de nouveau, elle la renfila à tâtons, sous le métier, en ouvrière adroite. Puis, comme elle avait levé la tête, elle parut boire dans une longue aspiration tout le printemps qui entrait.

      – Ah! murmura-t-elle, faisait-il beau, hier!.. Que c'est bon, le soleil!

      Hubertine, en train de cirer son fil, hocha la tête.

      – Moi, je suis moulue, je ne sens plus mes bras: C'est que je n'ai pas tes seize ans, et lorsqu'on sort si peu! Tout de suite, pourtant, elle se remit au travail. Elle préparât les lis, en cousant des coupons de vélin, aux repères indiqués, pour donner du relief.

      – Et puis, ces premiers soleils vous cassent la tête, ajouta Hubert, qui, son métier tendu, s'apprêtait à poncer sur la soie la bande de la chape.

      Angélique était restée les yeux vagues, perdus dans le rayon qui tombait d'un arc-boutant de l'église. Et, doucement:

      – Non, non, moi, ça m'a rafraîchie, ça m'a délassée, toute cette journée de grand air.

      Elle avait terminé le petit feuillage d'or, elle se mit à une des larges roses, tenant prêtes autant d'aiguilles enfilées que de nuances de soie, brodant à points fendus et rentrants, dans le sens même du mouvement des pétales: Et, malgré la délicatesse de ce travail, les souvenirs de la veille qu'elle revivait, tout à l'heure, dans le silence, débordaient maintenant de ses lèvres, s'échappaient si nombreux, qu'elle ne tarissait plus. Elle disait le départ, la vaste campagne, le déjeuner là-bas, dans les ruines d'Hautecœur, sur le dallage d'une salle dont les murs écroulés dominaient le Ligneul, coulant en dessous parmi les saules, à cinquante mètres. Elle en était pleine, de ces ruines, de ces ossements épars sous les ronces, qui attestent l'énormité du colosse, lorsque, debout, il commandait les deux vallées. Le donjon restait, haut de soixante mètres, découronné, fendu, solide malgré tout sur ses fondations de quinze pieds d'épaisseur. Deux tours avaient également résisté, la tour de Charlemagne et la tour de David, reliées par une courtine presque intacte. À l'intérieur, on retrouvait une partie des bâtiments, la chapelle, la salle de justice, des chambres; et cela semblait avoir été bâti par des géants, les marches des escaliers, les allèges des fenêtres, les bancs des terrasses, à une échelle démesurée pour les générations d'aujourd'hui. C'était toute une ville forte, cinq cents hommes de guerre pouvaient y soutenir


Скачать книгу
Яндекс.Метрика