Napoléon Le Petit. Виктор Мари ГюгоЧитать онлайн книгу.
des efforts qu'elle a faits pour transmettre le pouvoir intact, pour maintenir la tranquillité publique2.
«La conduite de l'honorable général Cavaignac a été digne de la loyauté de son caractère et de ce sentiment du devoir qui est la première qualité du chef de l'état3.»
L'assemblée applaudit à ces paroles; mais ce qui frappa tous les esprits, et ce qui se grava profondément dans toutes les mémoires, ce qui eut un écho dans toutes les consciences loyales, ce fut cette déclaration toute spontanée, nous le répétons, par laquelle il commença:
«Les suffrages de la nation et le serment que je viens de prêter commandent ma conduite future.
«Mon devoir est tracé. Je le remplirai en homme d'honneur.
«Je verrai des ennemis de la patrie dans tous ceux qui tenteraient de changer, par des voies illégales, ce que la France entière a établi.»
Quand il eut fini de parler, l'assemblée constituante se leva et poussa d'une seule voix ce grand cri: Vive la république!
Louis-Napoléon Bonaparte descendit de la tribune, alla droit au général Cavaignac, et lui tendit la main. Le général hésita quelques instants à accepter ce serrement de main. Tous ceux qui venaient d'entendre les paroles de Louis Bonaparte, prononcées avec un accent si profond de loyauté, blâmèrent le général.
La constitution à laquelle Louis-Napoléon Bonaparte prêta serment le 20 décembre 1848 «à la face de Dieu et des hommes» contenait, entre autres articles, ceux-ci:
«ART. 36. Les représentants du peuple sont inviolables.
«ART. 37. Ils ne peuvent être arrêtés en matière criminelle, sauf le cas de flagrant délit, ni poursuivis qu'après que l'assemblée a permis la poursuite.
«ART. 68. Toute mesure par laquelle le président de la république dissout l'assemblée nationale, la proroge, ou met obstacle à l'exercice de son mandat, est un crime de haute trahison.
«Par ce seul fait, le président est déchu de ses fonctions, les citoyens sont tenus de lui refuser obéissance; le pouvoir exécutif passe de plein droit à l'assemblée nationale. Les juges de la haute cour se réunissent immédiatement à peine de forfaiture; ils convoquent les jurés dans le lieu qu'ils désignent pour procéder au jugement du président et de ses complices; ils nomment eux-mêmes les magistrats chargés de remplir les fonctions du ministère public.»
Moins de trois ans après cette journée mémorable, le 2 décembre 1851, au lever du jour, on put lire, à tous les coins des rues de Paris, l'affiche que voici:
«Décrète:
«ART. 1er. L'assemblée nationale est dissoute.
«ART. 2. Le suffrage universel est rétabli. La loi du 31 mai est abrogée.
«ART. 3. Le peuple français est convoqué dans ses comices.
«ART. 4. L'état de siège est décrété dans toute l'étendue de la première division militaire.
«ART. 5. Le conseil d'état est dissous.
«ART. 6. Le ministre de l'intérieur est chargé de l'exécution du présent décret.
«Fait au palais de l'Élysée, le 2 décembre 1851.
En même temps Paris apprit que quinze représentants du peuple, inviolables, avaient été arrêtés chez eux, dans la nuit, par ordre de Louis-Napoléon Bonaparte.
II
Ceux qui ont reçu en dépôt pour le peuple, comme représentants du peuple, le serment du 20 décembre 1848, ceux surtout qui, deux fois investis de la confiance de la nation, le virent jurer comme constituants et le virent violer comme législateurs, avaient assumé en même temps que leur mandat deux devoirs. Le premier, c'était: le jour où ce serment serait violé, de se lever, d'offrir leurs poitrines, de ne calculer ni le nombre ni la force de l'ennemi, de couvrir de leurs corps la souveraineté du peuple, et de saisir, pour combattre et pour jeter bas l'usurpateur, toutes les armes, depuis la loi qu'on trouve dans le code jusqu'au pavé qu'on prend dans la rue. Le second devoir, c'était, après avoir accepté le combat et toutes ses chances, d'accepter la proscription et toutes ses misères; de se dresser éternellement debout devant le traître, son serment à la main; d'oublier leurs souffrances intimes, leurs douleurs privées, leurs familles dispersées et mutilées, leurs fortunes détruites, leurs affections brisées, leur coeur saignant, de s'oublier eux-mêmes, et de n'avoir plus désormais qu'une plaie, la plaie de la France; de crier justice! de ne se laisser jamais apaiser ni fléchir, d'être implacables; de saisir l'abominable parjure couronné, sinon avec la main de la loi, du moins avec les tenailles de la vérité, et de faire rougir au feu de l'histoire toutes les lettres de son serment et de les lui imprimer sur la face!
Celui qui écrit ces lignes est de ceux qui n'ont reculé devant rien, le 2 décembre, pour accomplir le premier de ces deux grands devoirs; en publiant ce livre, il remplit le second.
III
Il est temps que la conscience humaine se réveille.
Depuis le 2 décembre 1851, un guet-apens réussi, un crime odieux, repoussant, infâme, inouï, si l'on songe au siècle où il a été commis, triomphe et domine, s'érige en théorie, s'épanouit à la face du soleil, fait des lois, rend des décrets, prend la société, la religion et la famille sous sa protection, tend la main aux rois de l'Europe, qui l'acceptent, et leur dit: mon frère ou mon cousin. Ce crime, personne ne le conteste, pas même ceux qui en profitent et qui en vivent, ils disent seulement qu'il a été «nécessaire»; pas même celui qui l'a commis, il dit seulement, que, lui criminel, il a été «absous». Ce crime contient tous les crimes, la trahison dans la conception, le parjure dans l'exécution, le meurtre et l'assassinat dans la lutte, la spoliation, l'escroquerie et le vol dans le triomphe; ce crime traîne après lui, comme parties intégrantes de lui-même, la suppression des lois, la violation des inviolabilités constitutionnelles, la séquestration arbitraire, la confiscation des biens, les massacres nocturnes, les fusillades secrètes, les commissions remplaçant les tribunaux, dix mille citoyens déportés, quarante mille citoyens proscrits, soixante mille familles ruinées et désespérées. Ces choses sont patentes. Eh bien! ceci est poignant à dire, le silence se fait sur ce crime; il est là, on le touche, on le voit, on passe outre et l'on va à ses affaires; la boutique ouvre, la Bourse agiote, le commerce, assis sur son ballot, se frotte les mains, et nous touchons presque au moment où l'on va trouver cela tout simple. Celui qui aune de l'étoffe n'entend pas que le mètre qu'il a dans la main lui parle et lui dit: «C'est une fausse mesure qui gouverne.» Celui qui pèse une denrée n'entend pas que sa balance élève la voix et lui dit: «C'est un faux poids qui règne.» Ordre étrange que celui-là, ayant pour base le désordre suprême, la négation de tout droit! l'équilibre fondé sur l'iniquité!
Ajoutons, ce qui, du reste, va de soi, que l'auteur de ce crime est un malfaiteur de la plus cynique et de la plus basse espèce.
À l'heure qu'il est, que tous ceux qui portent une robe, une écharpe ou un uniforme, que tous ceux qui servent cet homme le sachent, s'ils se croient les agents d'un pouvoir, qu'ils se détrompent. Ils sont les camarades d'un pirate. Depuis le 2 décembre, il n'y a plus en France de fonctionnaires, il n'y a que des complices. Le moment est venu que chacun se rende bien compte de ce qu'il a fait et de ce qu'il continue de faire. Le gendarme qui a arrêté ceux que l'homme de Strasbourg et de Boulogne appelle des «insurgés», a arrêté les gardiens de la constitution. Le juge qui a jugé, les combattants de Paris ou des provinces, a mis sur la sellette les soutiens de la loi. L'officier qui a gardé à fond de cale les «condamnés», a détenu les défenseurs de la république et de l'état. Le général d'Afrique qui emprisonne à Lambessa les déportés courbés sous le soleil, frissonnants de fièvre, creusant dans la terre brûlée un sillon qui sera leur fosse, ce général-là
2
(Marques d'adhésion.)
3
(Nouvelles marques d'assentiment.)