La confession d'un enfant du siècle. Альфред де МюссеЧитать онлайн книгу.
t’ai-je fait?
Elle se jeta à mon cou, me dit qu’elle avait été séduite, entraînée; que mon rival l’avait enivrée dans ce fatal souper, mais qu’elle n’avait jamais été à lui; qu’elle s’était abandonnée à un moment d’oubli, qu’elle avait commis une faute, mais non pas un crime; enfin, qu’elle voyait bien tout le mal qu’elle m’avait fait, mais que si je ne la reprenais, elle en mourrait aussi. Tout ce que le repentir sincère a de larmes, tout ce que la douleur a d’éloquence, elle l’épuisa pour me consoler; pâle et égarée, sa robe entrouverte, ses cheveux épars sur ses épaules, à genoux au milieu de la chambre, jamais je ne l’avais vue si belle, et je frémissais d’horreur pendant que, tous mes sens se soulevaient à ce spectacle.
Je sortis brisé, n’y voyant plus et pouvant à peine me soutenir. Je ne voulais jamais la revoir; mais au bout d’un quart d’heure j’y retournai. Je ne sais quelle force désespérée m’y poussait; j’avais comme une sourde envie de la posséder encore une fois, de boire sur son corps magnifique toutes ces larmes amères et de nous tuer après tous les deux. Enfin, je l’abhorrais et je l’idolâtrais; je sentais que son amour était ma perte, mais que vivre sans elle était impossible. Je montai chez elle comme un éclair; je ne parlai à aucun domestique, j’entrai tout droit, connaissant la maison, et je poussai la porte de sa chambre.
Je la trouvai assise devant sa toilette, immobile et couverte de pierreries. Sa femme de chambre la coiffait; elle tenait à la main un morceau de crêpe rouge qu’elle passait légèrement sur ses joues. Je crus faire un rêve; il me paraissait impossible que ce fût là cette femme que je venais de voir, il y avait un quart d’heure, noyée de douleur et étendue sur le carreau. Je restai comme une statue. Elle, entendant sa porte s’ouvrir, tourna la tête en souriant. Est-ce vous? dit-elle. Elle allait au bal et attendait mon rival qui devait l’y conduire. Elle me reconnut, serra ses lèvres et fronça le sourcil.
Je fis un pas pour sortir; je regardais sa nuque, lisse et parfumée, où ses cheveux étaient noués et sur laquelle étincelait un peigne de diamant. Cette nuque, siège de la force vitale, était plus noire que l’enfer; deux tresses luisantes y étaient tordues, et de légers épis d’argent se balançaient au-dessus. Ses épaules et son cou, plus blancs que le lait, en faisaient ressortir le duvet rude et abondant.
Il y avait dans cette crinière retroussée je ne sais quoi d’impudemment beau qui semblait me railler du désordre où je l’avais vue un instant auparavant. J’avançai tout d’un coup et frappai cette nuque d’un revers de mon poing fermé. Ma maîtresse ne poussa pas un cri; elle tomba sur ses mains. Après quoi je sortis précipitamment.
Rentré chez moi, la fièvre me reprit avec une telle violence que je fus obligé de me remettre au lit. Ma blessure s’était rouverte et j’en souffrais beaucoup. Desgemais vint me voir; je lui racontai tout ce qui s’était passé. Il m’écouta dans un grand silence, puis se promena quelque temps par la chambre comme un homme irrésolu. Enfin il s’arrêta devant moi, et partit d’un éclat de rire.
Est-ce que c’est votre première maîtresse? me dit-il.
Non! lui dis-je, c’est la dernière.
Vers le milieu de la nuit, comme je dormais d’un sommeil agité, il me sembla dans un rêve entendre un profond soupir. J’ouvris les yeux et vis ma maîtresse debout près de mon lit, les bras croisés, pareille à un spectre. Je ne pus retenir uncri d’épouvante, croyant à une apparition sortie de mon cerveau malade. Je me lançai hors du lit et m’enfuis à l’autre bout de la chambre; mais elle vint à moi.
C’est moi, dit-elle; et, me prenant à bras-le-corps, elle m’entraîna.
Que me veux-tu? criai-je; lâche-moi! je suis capable de te tuer tout à l’heure.
Eh bien! tue-moi, dit-elle. Je t’ai trahi, je t’ai menti, je suis infâme et misérable; mais je t’aime, et ne puis me passer de toi.
Je la regardai; qu’elle était belle! Tout son corps frémissait; ses yeux, perdus d’amour, répandaient des torrents de volupté; sa gorge était nue, ses lèvres brûlaient.
Je la soulevai dans mes bras. Soit, lui dis-je; mais, devant Dieu qui nous voit, par l’âme de mon père, je te jure que je te tue tout à l’heure et moi aussi. Je pris un couteau de table qui était sur ma cheminée et le posai sous l’oreiller.
Allons, Octave, me dit-elle en souriant et en m’embrassant, ne fais pas de folie. Viens, mon enfant; toutes ces horreurs te font mal; tu as la fièvre. Donne-moi ce couteau.
Je vis qu’elle voulait le prendre. Ecoutez-moi, lui dis-je alors; je ne sais qui vous êtes et quelle comédie vous jouez, mais, quant à moi, je ne la joue pas. Je vous ai aimée autant qu’un homme peut aimer sur terre, et, pour mon malheur et ma mort, sachez que je vous aime encore éperdument. Vous venez me dire que vous m’aimez aussi, je le veux bien; mais par tout ce qu’il y a de sacré au monde, si je suis votre amant ce soir, un autre ne le sera pas demain. Devant Dieu, devant Dieu, répétai-je, je ne vous reprendrai pas pour maîtresse, car je vous hais autant que je vous aime. Devant Dieu, si vous voulez de moi, je vous tue demain matin. En parlant ainsi, je me renversai dans un complet délire.
Elle jeta son manteau sur ses épaules et sortit en courant.
Lorsque Desgenais sut cette histoire, il me dit: Pourquoi n’avez-vous pas voulu d’elle? vous êtes bien dégoûté; c’est une jolie femme.
Plaisantez-vous? lui dis-je. Croyez-vous qu’une pareille femme puisse être ma maîtresse? croyez-vous que je consente jamais à partager avec un autre? songezvous qu’elle-même avoue qu’un autre la possède, et voulez-vous que j’oublie que je l’aime, afin de la posséder aussi? Si ce sont là vos amours, vous me faites pitié.
Desgenais me répondit qu’il n’aimait que les filles, et qu’il n’y regardait pas de si près. Mon cher Octave, ajouta-t-il, vous êtes bien jeune; vous voudriez avoir bien des choses, et de belles choses, mais qui n’existent pas.
Vous croyez à une singulière sorte d’amour; peut-être en êtes-vous capable; je le crois, mais ne le souhaite pas pour vous. Vous aurez d’autres maîtresses, mon ami, et vous regretterez un jour à venir ce qui vous est arrivé cette nuit.
Quand cette femme est venue vous trouver, il est certain qu’elle vous aimait; elle ne vous aime peut-être pas à l’heure qu’il est, elle est peut-être dans les bras d’un autre; mais elle vous aimait cette nuit-là, dans cette chambre; et que vous importe le reste? Vous aviez là une belle nuit; et vous la regretterez, soyez-en sûr, car elle ne reviendra plus.
Une femme pardonne tout, excepté qu’on ne veuille pas d’elle. Il fallait que son amour pour vous fût terrible, pour qu’elle vînt vous trouver, se sachant et s’avouant coupable, se doutant peut-être qu’elle serait refusée. Croyez-moi, vous regretterez une nuit pareille, car c’est moi qui vous dis que vous n’en aurez guère.
Il y avait dans tout ce que disait Desgenais un air de conviction si simple et si profond, une si désespérante tranquillité d’expérience, que je frissonnais en l’écoutant.
Pendant qu’il parlait, j’éprouvai une tentation violente d’aller encore chez ma maîtresse, ou de lui écrire pour la faire venir. J’étais incapable de me lever; cela me sauva de la honte de m’exposer de nouveau à la trouver ou attendant mon rival, ou enfermée avec lui. Mais j’avais toujours la facilité de lui écrire; je me demandais malgré moi, dans le cas où je lui écrirais, si elle viendrait.
Lorsque Desgenais fut parti, je sentis une agitation si affreuse, que je résolus d’y mettre un terme, de quelque manière que ce fût. Après une lutte terrible, l’horreur surmonta enfin l’amour. J’écrivis à ma maîtresse que je ne la reverrais jamais, et que je la priais de ne plus revenir, si elle ne voulait s’exposer à être refusée à ma porte. Je sonnai violemment, et ordonnai qu’on portât ma lettre le plus vite possible. A peine mon domestique eut-il fermé la porte, que je le rappelai. Il ne m’entendit pas; je n’osai le rappeler une seconde fois; et, mettant mes deux mains sur mon visage, je demeurai enseveli dans le plus profond