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Sous la neige. Edith WhartonЧитать онлайн книгу.

Sous la neige - Edith Wharton


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de sa femme, qui était encore couchée:

      – Le médecin trouve qu'on ne devrait pas me laisser ainsi, sans personne pour m'aider, – disait-elle.

      Ethan l'avait crue endormie. Ces mots le surprirent, bien qu'il fût habitué à un flot de paroles succédant brusquement à de longs silences mystérieux.

      Il se tourna vers le lit et la regarda, enfouie dans l'ombre, sous la courtepointe de calicot foncé. Son visage osseux avait sur la blancheur de l'oreiller une teinte terreuse.

      – Personne pour vous aider?…

      – Évidemment, si vous prétendez que nous ne pouvons pas engager une servante, lorsque Mattie sera partie!

      Frome se détourna. Le rasoir en main, la joue tendue, il faisait effort pour se voir dans la mauvaise glace accrochée au-dessus de la toilette.

      – Pourquoi diable partirait-elle?

      – Eh bien! elle se mariera, sans doute! – fit d'une voix traînante sa femme derrière lui.

      Tout en grattant son menton, Frome répliqua:

      – Oh! je ne crois pas qu'elle nous quitte tant que vous aurez besoin d'elle.

      – Je ne voudrais pourtant pas qu'on m'accusât d'empêcher une pauvre fille comme Mattie d'accepter un beau parti comme Denis Eady, – riposta l'autre, sur un ton de désintéressement dolent.

      Ethan continuait à regarder son visage dans le miroir. Il rejeta sa tête en arrière et, d'une main assurée, passa lentement le rasoir de son oreille à son menton. La posture était une suffisante excuse pour ne pas répondre aussitôt.

      – Du reste, le docteur ne comprend pas qu'on me laisse ainsi sans aucune aide, – continua Zeena. – Il m'a conseillé de vous proposer une fille dont quelqu'un lui a parlé, et qui pourrait venir…

      Ethan posa le rasoir et se prit à rire:

      – Denis Eady!… S'il ne se présente que lui comme épouseur, je ne crois pas qu'il soit nécessaire de nous enquérir d'une servante.

      – Peut-être! mais je voulais vous en parler, – insista Zeena.

      Ethan mettait ses habits en tâtonnant.

      – Soit, mais je n'ai pas le temps de parler de cela maintenant. Je suis déjà bien assez en retard, – répondit-il, en consultant sous la chandelle sa vieille montre d'argent.

      Zeena eut l'air d'accepter cette défaite. Elle retomba dans le silence, pendant qu'il jetait ses bretelles sur ses épaules et endossait sa veste. Mais, comme il se dirigeait vers la porte, elle lâcha sournoisement:

      – Je ne m'étonne pas si vous êtes en retard!… vous vous rasez tous les matins…

      Cette boutade le déconcerta plus que toutes les vagues insinuations au sujet de Denis Eady. C'était un fait que depuis l'arrivée de Mattie Silver il avait pris l'habitude de se faire la barbe chaque jour. Mais Zeena semblait si bien dormir quand il se levait, dans l'obscurité des matins d'hiver! Il en était venu à s'imaginer, en toute naïveté, qu'elle n'observait pas ce changement. Cependant il aurait dû se méfier… Une fois ou deux, déjà, il avait été surpris de voir sa femme, après des de semaines de silence, faire allusion à certains faits que sur le moment elle n'avait pas paru remarquer.

      Ces derniers temps, néanmoins, il n'y avait pas eu place dans sa pensée pour de pareilles appréhensions: Zenna était devenue pour lui une ombre impalpable; toute sa vie était concentrée dans les yeux et les paroles de Mattie Silver, et il ne concevait pas qu'il pût en être autrement…

      Maintenant, debout dans les ténèbres, à la porte de l'église, il voyait Mattie qui dansait avec Eady, – et soudain une nuée de présages funestes et négligés s'abattait sur son bonheur…

      II

      Les danseurs sortaient de la salle, Frome se rejeta en arrière de la double porte.

      De sa cachette il assista à la séparation des groupes, emmitouflés de façon grotesque. De-ci, de-là, le reflet sautillant d'une lanterne éclairait un visage congestionné par la bonne chère et la danse. Les gens de Starkfield, venus à pied, étaient les premiers à gravir le raidillon qui menait à la Grande Rue, pendant que les fermiers des environs s'installaient dans leurs traîneaux.

      – Vous ne voulez pas monter avec nous, Mattie? – cria une voix de femme dans la foule, sous le hangar.

      Le cœur d'Ethan sursauta dans sa poitrine.

      De l'endroit qu'il occupait, il ne pouvait voir ceux qui sortaient de la salle avant qu'ils eussent un peu dépassé le tambour de la porte. Il entendit répondre une voix claire:

      – Eh! non, pas par une nuit pareille!…

      Mattie était donc là, tout à côté de lui: une planche mince les séparait. Dans un instant elle allait paraître, elle aussi, et les yeux de Frome, accoutumés à l'obscurité, la discerneraient entre toutes, aussi aisément qu'en plein jour. Un mouvement de timidité le fit reculer, encore, dans l'ombre. Il demeura là en silence, invisible.

      Il était lui-même tout surpris de cette gêne subite. Généralement, au contraire, bien qu'elle fût la plus vive, la plus fine, la plus «en dehors», elle lui avait communiqué un peu de son naturel et de son aisance. Mais ce soir il se sentait aussi gauche, aussi emprunté qu'au temps de ses études, lorsqu'il hasardait quelques plaisanteries timides avec les jeunes filles de Worcester, au bal.

      Il hésita; Mattie sortit seule, puis s'arrêta à quelques pas de lui. Elle avait été à peu près la dernière à quitter la salle. Elle regardait autour d'elle avec inquiétude, étonnée qu'Ethan ne se montrât pas. Un homme se rapprocha d'elle, si près que sous leurs manteaux informes le groupe ne faisait plus qu'une lourde et noire silhouette.

      – Est-ce que monsieur votre ami est parti sans vous? Dites, Mattie, ce serait un peu fort… Mais soyez tranquille, je ne le dirai pas à vos petites camarades: je ne suis pas assez méchant pour cela… Et puis, tenez, j'ai eu la bonne idée d'amener le cutter2 de mon vieux: il nous attend.

      Frome était exaspéré par ce ton goguenard, mais la voix de la jeune fille répondit, incrédule et gaie:

      – Bonté du ciel! qu'est-ce que vient faire ici le cutter de votre père?

      – Mais il m'attend pour faire un tour. J'ai sorti le poulain rouan. Je me doutais bien que nous aurions à nous promener ce soir, – fit Eady, essayant de mettre une note sentimentale dans sa voix de jeune coq.

      Mattie semblait balancer. Frome vit qu'elle roulait le bout de son écharpe autour de ses doigts. Pour rien qu monde il n'eût bougé, mais il sentait toute son existence suspendue au prochain geste de la jeune fille.

      – Attendez une minute: je vais détacher le poulain, – lui dit Denis, se dirigeant vers le traîneau.

      Elle demeura immobile, le regardant s'éloigner, dans une attitude si calme que Frome, dans sa cachette, en souffrait profondément. Il observa que pas une seule fois elle ne tournait la tête, pour découvrir dans la nuit noire une autre silhouette. Elle laissa Denis Eady sortir le cheval, monter sur le traîneau et relever la peau d'ours pour lui faire place. Puis, brusquement, elle fit volte-face et courut vers la montée, dans la direction du portail de l'église.

      – Au revoir! bonne promenade! – cria-t-elle.

      Denis se mit à rire. Il fouetta son cheval et rejoignit la jeune fille, qui avait pris de l'avance.

      – Allons, voyons, grimpez vite! Ce coin glisse bigrement! fit-il, se penchant pour lui saisir la main.

      Le rire de la jeune fille fusa de nouveau dans les ténèbres.

      – Non, non, décidément!… Bonne nuit!

      Pendant ce dialogue, ils avaient dépassé Frome, et celui-ci, ne pouvant plus entendre leurs propos, en était réduit à suivre la pantomime que jouaient leurs ombres sur la crête. Il vit Eady sauter de son cutter


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<p>2</p>

Petit traîneau rapide à deux places.

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