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Correspondance, 1812-1876. Tome 3. Жорж СандЧитать онлайн книгу.

Correspondance, 1812-1876. Tome 3 - Жорж Санд


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MÊME

      Nohant, mardi 7 août 1848.

      Mon ami,

      Quoique bien malade, je t'ai écrit hier pour te donner, vite, les explications que tu me demandais et que tu désirais peut-être, par amitié pour moi, pouvoir donner à quelques personnes. Il y a assez longtemps qu'on m'ennuie avec ce XVIe Bulletin. J'ai dédaigné de répondre à toutes les attaques indirectes des journaux de la réaction. Ma réponse, conforme à l'exacte vérité, est dans la lettre que je t'ai envoyée hier et dont je t'autorise à faire l'usage que tu jugeras convenable, soit en la communiquant, soit en la faisant imprimer dans un journal de notre opinion. J'aurais pu l'écrire plus tôt; mais je voulais laisser à M. Ledru-Rollin le soin de désavouer ce Bulletin comme il l'entendrait; les explications que le rapport prétend avoir reçues de hauts fonctionnaires ne sont pas conformes à la vérité, et tu comprendras qu'il me plaise peu de passer pour son rédacteur payé, apparemment, puisqu'on suppose que j'envoyais divers projets, parmi lesquels on choisissait la nuance, je tiens à garder l'attitude qui me convient comme écrivain, et à laquelle je n'ai jamais manqué, ni comme dignité, ni comme modestie, ni comme désintéressement.

      Avise donc de toi-même; car je prends ici conseil de toi, sur ce que tu dois faire de ma lettre. Je désire rétablir la vérité en ce qui me concerne, et c'est aussi défendre M. Ledru-Rollin que de me défendre moi-même. C'est la seule occasion convenable peut-être que j'aurai de le faire; car, le rapport oublié, il serait de mauvais goût de ramener sur moi l'attention pour un fait personnel, comme vous dites à l'Assemblée. Peut-être aussi faut-il attendre que M. Ledru-Rollin s'en explique lui-même? Confères-en avec lui, ce sera utile, et montre-lui mes lettres si tu veux.

      Je te remercie, mon vieux frère, d'avoir pensé à moi tout de suite; j'étais bien sûre que tu aurais ce soin-là.

      Je crois que tu dois blâmer, toi, l'homme de la douceur et de la prudence généreuse, la brutalité du XVIe Bulletin. Pardonne-moi ce péché, que je ne puis appeler un péché de jeunesse. Je ne reviendrai pas sur ce que je t'ai écrit hier du fait non accompli dans ma réflexion, et pourtant accompli par le vouloir d'un hasard singulier. Ma défense, la-dessus, n'est point trop métaphysique, elle est simple et même naïve, je crois. Mais, après tout, je ne me repens pas bien sincèrement, je le le confesse, de cette énormité. Je suis sincère en te disant que je n'ai jamais donné dans le 15 mai. L'Assemblée n'avait pas mérité d'être traitée si brutalement. Le peuple n'avait pas droit ce jour-là. Il ne s'agissait pas pour lui de sauver la République par ces moyens extrêmes qu'il n'a mission d'employer, que dans les cas désespérés. D'ailleurs, il n'était pas là, le peuple, puisqu'on ne s'est pas battu. Quelques groupes socialistes n'ont pas le droit d'imposer leur système à la France qui recule; mais, quand je disais, dans l'abominable XVI^{e} Bulletin, que le peuple a droit de sauver la République, j'avais si fort raison, que je remercie Dieu d'avoir eu cette inspiration si impolitique. Tout le monde l'avait aussi bien que moi; mais il n'y avait qu'une femme assez folle pour oser l'écrire. Aucun homme n'eût été assez bête et assez mauvaise tête pour faire tomber de si haut une vérité si banale. Le hasard, qui est quelquefois la Providence, s'est trouvé là pour que l'étincelle mît le feu. J'en rirais sur l'échafaud si cela devait m'y envoyer. Le bon Dieu est quelquefois si malin!

      Mais que M.-Ledru-Rollin s'en défende, je le veux de tout mon coeur, et je l'y aiderai tant qu'il voudra. Je l'eusse fait plus tôt s'il ne m'eût dit que cela n'en valait pas la peine. Pourtant, puisque l'accusation de ce fait prend place dans les choses officielles, hâtons-nous de dire la vérité. Ce que je n'accepte pas, c'est que M. Elias Regnault, ou quelque autre (je ne sais pas qui), arrange la vérité à sa manière.

      Je t'envoie une lettre que j'ai reçue le 8 ou le 10 juin d'un Anglais qui n'est pas précisément de mes amis, mais qui m'est sympathique. Remets-la à Louis Blanc, et qu'il juge si elle peut lui être utile. S'il veut des détails sur le caractère et la position de M. Milnes, M. de Lamennais lui en donnera d'excellents, et, s'il y avait lieu à l'appel en témoignage, je suis sûre qu'il le ferait de bon coeur. C'est un homme de vérité et de sincérité, quoique un peu sceptique. Au reste, sa lettre le peint tout entier.

      Bonsoir, ami et frère. Toujours à toi.

      GEORGE SAND.

      CCLXXXVI

      A M. EDMOND PLAUCHUT, A ANGOULÈME

      Nohant, 24 septembre 1848

      Monsieur,

      Je viens bien tard répondre à une lettre que vous m'avez écrite le 19 juillet dernier. Vous me l'aviez adressée à Paris, et, par un concours de circonstances trop long à vous expliquer ici, je ne l'ai reçue que depuis peu de jours avec un paquet d'autres lettres.

      Vous me demandez si le socialisme combattait en juin à Paris. Je le crois, bien qu'aucun de mes amis, parmi les ouvriers, n'ait cru devoir prendre part à cette lutte effroyable. J'étais déjà ici à cette époque et je n'ai rien vu par moi-même: je ne puis donc juger que par induction. Je crois que le socialisme a dû combattre dans toutes ses nuances, parce qu'il y a de tout dans ce grand peuple de Paris, et même des combinaisons d'idées et de doctrines que nous ne connaissons pas.

      Mais je ne crois pas que le socialisme ait suscité le mouvement ni qu'il l'ait dirigé. Je doute qu'il l'eût dominé et réglé si les insurgés eussent triomphé. Il y a eu, je crois, toute sorte de désespoirs dans cette mêlée, et, par conséquent, toute sorte de fantaisies; car le désespoir en a, vous le savez, comme les maladies extrêmes. L'élection de Louis Bonaparte à côté de celle de Raspail, doit nous expliquer un peu aujourd'hui la confusion de l'événement de juin.

      En somme, il y a un grand fait qui domine tout, et je vous l'explique assez par le mal de désespoir. Le désespoir ne peut pas raisonner, il ne peut pas attendre. Là est le malheur. Le peuple n'a pas eu confiance en l'Assemblée nationale, et, aujourd'hui, nous voyons bien que son instinct ne l'avait pas trompé; car l'Assemblée nationale, sauf une minorité républicaine méritante, et une infiniment petite minorité socialiste, enterre toutes les questions vitales de la démocratie.

      Mais ce n'est point par le combat que le peuple triomphera d'ici à longtemps. On a trop effrayé la bourgeoisie propriétaire. Elle croit qu'on veut tout lui ravir, l'argent et la vie, et elle trouve de l'appui dans la majorité du peuple, qui craint aussi pour l'ombre de propriété qu'elle possède ou qu'elle rêve. Je crois que la question est retardée parce qu'elle est mal posée de part et d'autre.

      Il y a, selon moi, deux espèces de propriétés: la propriété individuelle et la propriété sociale. Les bourgeois ne veulent reconnaître que la première; certains socialistes, poussés à l'extrême par cette monstrueuse négation de la propriété sociale, ne veulent reconnaître que la seconde.

      Cependant plus les sociétés se civilisent et se perfectionnent, plus elles étendent le fonds commun, pour faire contrepoids à l'abus et à l'excès de la propriété individuelle. Mais il doit aussi y avoir une borne à cette extension de la propriété commune; autrement, la liberté individuelle et la sécurité de la famille périraient.

      Aussi le ministre Duclerc avait une pensée vraiment sociale en voulant donner à l'État le monopole des chemins de fer et des assurances contre l'incendie. C'étaient des mesures parfaitement logiques et qui devaient s'étendre à mesure que la société en aurait recueilli le bénéfice. Ainsi tout ce qui concerne les voies de communication, les routes, les canaux et les richesses qui, de leur nature, sont communes à tous, les grandes mesures financières portant sur les hypothèques et qui peuvent mettre l'argent à bon marché, tout cela devra être socialisé avec le temps, pourvu que la bonne volonté y soit. Mais elle n'y est pas, la vérité ayant été outrepassée par les écoles socialistes qui vont jusqu'à ôter à l'individu, sa maison, son champ, son jardin, son vêtement et même sa femme.

      La peur, une peur pusillanime et furieuse en même temps, s'est emparée de la bourgeoisie. Et puis les spéculateurs qui, sous la dernière monarchie, se sont emparés de ces richesses communes (et c'est


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