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Correspondance, 1812-1876. Tome 4. Жорж СандЧитать онлайн книгу.

Correspondance, 1812-1876. Tome 4 - Жорж Санд


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24 février 4855.

      Cher enfant,

      Je commence par te dire que, puisque tu n'es, pas enrhumé, tout va bien pour moi. Aie soin de ta petite personne comme j'ai soin de la mienne, puisqu'il ne s'agit pas de nous regarder comme de simples mortels, mais comme de très précieux voyageurs allant à la découverte de la Méditerranée.

      Quant à Montigny, je vois bien qu'il veut refaire toutes mes pièces. Il y a pourtant une observation à faire, c'est que toutes les pièces qu'on ne m'a pas fait changer: le Champi, Claudie, Victorine, _le Démon du foyer, le Pressoir, ont eu un vrai succès, tandis que les autres sont tombées ou ont eu un court succès. Je n'ai jamais vu que les idées des autres m'aient amené le public, tandis que mes hardiesses ont passé malgré tout.

      Et quelles hardiesses! Trop d'idéal, voilà mon grand vice devant les directeurs de théâtre.

      J'écouterai sans discussion ce que me dira Montigny, j'écouterai ses projets d'amélioration, et, si je vois qu'il faille changer le fond de la pièce, je la reprendrai; cette fois, j'y suis bien, décidée. Je suis lasse du théâtre d'abord, et puis encore plus lasse des hésitations où l'on me jette sur moi-même. Je suis ce que je suis. Yo soy quien soy. Ma manière et mon sentiment sont à moi. Si le public des théâtres n'en veut pas, soit, il est le maître; mais je suis maître aussi de mes propres tendances, et de les publier sous la forme qu'il sera forcé d'avaler au coin de son feu.

      Rien de nouveau ici: temps assez doux, Trianon devenu lac, ordres donnés pour le jardin en notre absence, comptes de cuisine, rangement de papiers, correction d'épreuves. Tout cela n'est pas fort intéressant, surtout quand je ne te vois pas aller et venir, entrer et sortir, et jeter, à travers tout cela, les profondes réflexions et les lumineux aperçus de tes sciences.

      Bonsoir donc, cher mignon; je me replonge dans les paperasses et t'embrasse de toute mon âme. Le capitaine d'Arpentigny te colle ses amitiés. Émile se paye de copier le Diable aux champs.

      CCCLXXXVIII

      A MADEMOISELLE LEMOYER DE CHANTEPIE, A ANGERS

      Nohant, 27 février 1855.

      Mademoiselle,

      Je vous conseille et vous prie, même, puisque vous avez la bonté de compter sur ma vive sympathie pour vous, de quitter le milieu où vous souffrez tant, et d'aller vivre à Paris; vous y trouverez les nobles distractions dont une âme comme la vôtre a besoin, la musique, les arts et des relations que votre intelligence élevée et votre coeur généreux sauront vite créer.

      Si le catholicisme vous est nécessaire, vous rencontrerez certainement un directeur de conscience assez éclairé pour vous guérir de cette maladie des scrupules, que je connais bien, et que j'ai subie dans ma jeunesse assez cruellement pour vous comprendre et vous plaindre. Non, il ne faut pas qu'une âme comme la vôtre succombé à ces vaines terreurs. Il faut vous relever par de fortes et saines lectures. Je suis trop ignorante pour vous les indiquer; mais écrivez à M. Jean Reynaud, envoyez-lui ma lettre, si vous voulez. Il saura par là que je vous connais et que votre besoin de secours intellectuel n'est pas une frivole inquiétude.

      Oui, je vous connais sans vous avoir vue; mais n'y a-t-il pas bientôt dix ans que vous m'écrivez ces grandes lettres où, au milieu des contradictions et des troubles d'une pensée ardente, j'ai toujours trouvé, votre bonté si entière, si spontanée, si naïve, et votre jugement si généreux et si droit en tout ce qui est essentiel!

      Demandez-lui de vous indiquer des livres qui vous sauvent, et, faites mieux, quittez cette solitude où vous vous consumez, où ce qui vous entoure vous laisse et vous rend encore plus seule, je le vois bien. Je ne connais pas assez M. Jean Reynaud pour vous adresser à lui, sans qu'il vous connaisse. Mais faites-vous connaître à lui; son livre m'a fait un grand bien, à moi aussi, et j'avais grand besoin de trouver, dans la haute science d'un esprit de premier ordre, la confirmation raisonnée de tous mes instincts; car mon courage a été bien éprouvé dernièrement!

      J'ai perdu une enfant adorable et adorée, la fille de ma pauvre fille. Je viens d'être malade, ce qui m'a empêchée de vous répondre, et, maintenant, je suis encore si délabrée, que mon fils, mon cher fils, m'emmène voyager un peu. Je pars dans deux jours. Dans deux mois, je serai de retour à Nohant, où vous m'en verrez, j'espère, de meilleures nouvelles de vous. Avant de rentrer ici, je passerai quelque jours probablement à Paris. Si vous réalisez votre tentation d'y aller demeurer, faites-le-moi savoir à Paris, dans les premiers jours de mai.

      Pardonnez-moi de vous répondre si peu, je suis brisée encore, mais je crois. Je suis sûre de retrouver mon enfant dans un meilleur monde; et, vous dont le coeur est si pur, vous devez être sûre aussi de votre avenir. Douter de la bonté de Dieu est une faiblesse de notre nature. Mettez toutes les forces de votre esprit à croire à cette bonté, et vous sentirez qu'elle a son reflet en vous-même.

      N'ayez pas peur de la mort: c'est un bien bon refuge, allez, et, quand on le comprend, le courage consiste à ne pas la désirer trop.

      À vous de coeur toujours, chère âme en peine.

      GEORGE SAND.

      CCCLXXXIX

      A M. EUGÈNE LAMBERT, A PARIS

      Frascati, mars 1855.

      Mon cher Lambruche,

      Tout va bien, Maurice nous a donné quelque inquiétude, non pas à cause de la maladie qu'il a eue, mais à cause de celle qu'il aurait pu avoir. Heureusement, il a passé à côté, grâce à un bien bon médecin, excellent homme par-dessus le marché. Il y a eu nécessairement pour nous un peu de spleen à Rome. Cinq ou six jours dans une chambre d'auberge, c'est triste.

      D'ailleurs, Rome, à bien des égards, est une vraie balançoire; il faut être ingriste pour aimer et admirer tout, et pour ne pas se dire, au bout de trois jours, que ce qu'on a à voir est absolument pareil à ce qu'on a déjà vu sous le rapport de l'aspect, du caractère, de la couleur et du sentiment des choses. Ensuite, on peut entrer dans le détail des ruines, des palais, des musées, etc., et, là, c'est l'infini; car il y en a tant, tant, tant, que la vie d'un amateur peut bien n'y pas suffire. Mais, quand on n'est qu'artiste, c'est-à-dire voulant vivre de sa propre vie, après s'être un peu imprégné des choses extérieures, on ne trouve pas son compte dans cette ville du passé, où tout est mort; même ce que l'on suppose encore vivant.

      C'est curieux, c'est beau, c'est intéressant, c'est étonnant; mais c'est trop mort, et il faudrait savoir sur le bout des doigts, non seulement ce fameux livre de Rome au siècle d'Auguste, mais encore l'histoire de Rome à toutes les époques de son existence; il faudrait vivre là-dedans, l'esprit tendu, la mémoire mirobolante et l'imagination éteinte.

      Il fut un temps, sous l'Empire, où l'on s'asseyait sur le tronçon d'une colonne, pour méditer sur les ruines de Palmyre; c'était la mode, tout le monde méditait. On a tant médité, que c'est devenu fort embêtant et que l'on aime mieux vivre. Or, quand on a passé plusieurs journées à regarder des urnes, des tombeaux, des cryptes, des colombarium, on voudrait bien sortir un peu de là et voir la nature. Mais, à Rome, la nature se traduit en torrents de pluie jusqu'à ce que, tout d'un coup, viennent la chaleur écrasante et le mauvais air. La ville est immonde de laideur et de saleté! c'est la Châtre centuplée en grandeur; car c'est immense et orné de monuments anciens et nouveaux qui vous cassent le nez et les yeux à chaque pas, sans vous réjouir, parce qu'ils sont étouffés et gâtés par des amas de bâtisses informes et misérables. On dit qu'il faut voir cela au soleil; je ne dis pas non, mais il me semble que le soleil ne peut pas raccommoder ce qui est hideux.

      La campagne de Rome si vantée est, en effet, d'une immensité singulière, mais si nue, si plate, si déserte, si monotone, si triste, des lieues de pays en prairies, dans tous les sens, qu'il y a de quoi se brûler le peu de cervelle qu'on a conservé après avoir vu la ville. MAIS! mais, quand on est sorti de cette immensité plate, quand on arrive au pied des montagnes, c'est autre chose. On entre dans le paradis, dans le troisième ciel. C'est là que nous sommes. Nous


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