Le Ciel De Nadira. Giovanni MongiovìЧитать онлайн книгу.
hurler en délirant:
“Umar, sors de là! Sors de là et affronte-moi!”
Mais une voix derrière lui, qui provenait de l’entrée de la cour, le sup-plia:
“Je t’en prie, arrête ! ”
Et lui:
“ Nadira, lâche… c’est cela ta pitié ? ”
Alors, la voix derrière lui s’identifia en s’approchant du poteau. Un homme du collecteur d’impôts responsable de la garde s’approcha égale-ment, mais il le fit d’un air menaçant en lui faisant comprendre qu’il lui ferait payer l’insulte envers sa maîtresse.
“Non, je t’en prie ! Il est fiévreux… il ne sait pas ce qu’il dit. Il croît même que je suis la promise du Qā’id . ”
Malgré les implorations d’Apollonia, le garde menaça :
“ encore un mot et je lui coupe la tête ! ”
Apollonia pleurait tandis qu’à quelques pas, elle le fixait d’un air préoccupé.
“ Je suis ta sœur. Regarde-moi, Corrado, regarde-moi ! ”
Mais lui tournait sa tête nerveusement et continuait à grommeler un son indéfini.
Apollonia se rua donc sur lui en l’embrassant avec passion.
Corrado était l’homme le plus grand du Rabaḍ et elle, une des filles les plus menues, la tête de sa sœur se perdait donc sur sa poitrine découverte par sa tunique déchirée, et par sa couverture sur l’épaule.
“ Courage… courage… ça ne durera pas tellement . ”
“ Ma sœur… ” répondit-il d’une voix très basse. ” Finalement tu me reconnais ! ”
“ Depuis quand es-tu là ? ”
Depuis toujours… depuis toujours, cher frère. Je serais restée même après t’avoir amené cette couverture la nuit passée, mais notre mère m’a forcé de rentrer . ”
“ Et eux où sont-ils ? ”
“ Notre père et notre mère ont peur de l’homme du Qā’id, et ils empêchent même à Michele de venir jusqu’ici . ”
“ Et toi, chère sœur ? ”
“ Moi je ne suis rien, juste la consistance d’une goutte de rosée… qui se soucie de moi ? ”
Corrado ferma les yeux et eut sur le visage une sorte de spasme, donc il lui dit :
“ Rentre à la maison. Tu ne sens pas comment frappe le soleil à cette heure-ci ? ”
Entre temps le garde s’était de nouveau rapproché pour empêcher que la jeune fille ne puisse l’aider.
“ Éloigne- toi de lui ! ”
“ Mais ne vois-tu pas qu’il est en train de délirer ? La leçon n’a pas été suffisante ? ”
“ Vas parler avec Umar… si cela ne tenait qu’à moi je l’aurais déjà libéré et je serais rentré chez moi bien au chaud . ”
Apollonia courut alors vers l’entrée de la maison des maîtres. Lorsque Umar fut prévenu et arriva à la porte, elle se jeta à ses pieds et le supplia :
“ Je t’en prie, mon Seigneur, demande-moi n’importe quoi… mais li-bère mon frère ! ”
“ Je lui ai promis trois jours, je ne peux retirer ma parole . ”
“ Il ne survivra pas à cette nuit ; il a une forte fièvre ! Je t’en prie, mon Seigneur, lie-moi à ce poteau, mais laisse-le partir ou il mourra . ”
“ il mourra s’il a été écrit qu’il doit mourir et il vivra s’il a été écrit qu’il doit vivre… si tu veux, lance-lui une autre couverture . Et ne t’humilies pas de cette façon pour quelqu’un qui ne le mérite pas . ”
Il ordonna donc à quelqu’un qui se trouvait là de donner de la nourriture à cette fille prosternée à ses pieds et puis de la renvoyer. A ce point, Apollonia se redressa et répondit tellement en colère que toute la maison l’entendit :
“ Je ne veux pas de ta nourriture, j’ai qui me nourrit ! ”
Donc, on lui claqua la porte au nez sans qu’aucune possibilité de contester cette décision ne lui fut permise. Dès lors ses jambes cédèrent et elle glissa sur la porte en pleurant plus fort qu’avant.
Quand le muezzin rappela les fidèles pour le ṣalāt26 du coucher du soleil, elle vérifia si le garde se préparait à se pencher vers La Mecque derrière le condamné, et en profita pour violer l’interdiction selon laquelle elle ne pouvait pas s’approcher.
“ Corrado, ma vie mon souffle… Corrado ! ”
Mais il émanait une espèce de rugissement, doucement et les yeux fermés.
Apollonia pris alors son visage entre ses mains et lui dit :
“ Rappelle-toi qui tu es, Corrado, rappelle-toi qui est ton père . ” ” Alfeo… du Rabaḍ ” répondit-il avec difficulté.
“ Corrado, mon frère, rappelle-toi qui est ton père. ” répétait Apollonia désespérément, insatisfaite par sa réponse.
“ Alfeo… notre père . ” répéta-t’il, en ayant toujours les yeux fermés.
“ Ne te rappelle pas de qui t’as aimé comme un fils, rappelle-toi au contraire de celui qui t’a engendré.
Ces histoires que tu me racontais le soir devant le feu, celles que ton père t’as transmises… ton vrai père. Souviens-toi quand tu me parlais des landes du nord, faites de glace et de neige, et de comment les gens de ta lignée sont habitués au froid le plus extrême. Rappelle-toi, Corrado, peut-être que ton sang d’homme du nord pourra te réchauffer et te faire sur-vivre . ”
“ La compagnie normande… ”
“ C’est exact, Corrado, la compagnie normande… continue de te souve-nir ! ”
“ Mon père, Rabel… Rabel de Rougeville . ”
“ Oui, Corrado, ce fut durant l’été d’il y a vingt ans la derrière fois que tu le vis ; tu me l’as raconté tant de fois . ”
“ Je vis les remparts de Syracuse… ” murmura-t’il enfin, avant de perdre connaissance dans un profond sommeil fiévreux.
Chapitre 5
Début de l’été 1040 (431 de l’hégire), devant les remparts de Syracuse
Elle était la ” porte de l’orient ” de la Sicile, la ville qui avait été la plus glorieuse de toute la Méditerranée centrale avant l’avènement de Rome, la patrie des tyrans et du grand Archimède, une perle sortie du fond de la mer par des dauphins divins ; Syracuse était cela ! Et en effet cette ville était un objectif trop prestigieux pour être ignoré, une étape que le général de l’Empire d’Orient, Georges Maniakès, ne pouvait délaisser durant sa mission.
La reconquête complète de la Sicile en faveur de Constantinople n’était pas quelque chose de facile, et donc, si l’on voulait réussir l’entreprise, il fallait prendre Syracuse aux sarrasins, pour faire en sorte qu’elle ne de-vienne une solide tête de pont pour l’arrivée des renforts venus de l’est. La ville, entre autre était bien fournie, alimentée par des sources d’eau in-ternes et défendue par des soldats tenaces, qui s’étaient retirés au delà des remparts après les premières batailles. Le rappel des muezzins sur les minarets rappelaient aux assiégeants que la conquérir aurait été une longue et épuisante entreprise.
Georges Maniakès était un homme rude et despotique, avec ses troupes et les officiers qu’il commandait il était souvent violent… pour tout dire, un parfait guerrier. Même son aspect laissait transparaître son caractère brut : aveugle d’un œil, il était
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Ṣalāt: la prière canonique islamique, récitée obligatoirement par les musulmans observants cinq fois par jour et qui anticipe l’adhān.