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lui, et aux deux côtés de la rue, quelques personnes, sur lesquelles il avait sans doute produit le même effet qu'à moi, étaient sorties de leurs maisons et le regardaient avec un étonnement pareil à celui que j'éprouvais moi-même.
A l'appel de la sonnette qui avait résonné violemment, une petite porte percée près de la grande s'ouvrit, et une femme de quarante à quarante-cinq ans apparut.—Ah! c'est vous, Jacquemin, dit-elle, que faites-vous donc là?
—M. le maire est-il chez lui? demanda d'une voix sourde l'homme auquel elle adressait la parole.
—Oui.
—Eh bien! mère Antoine, allez lui dire que j'ai tué ma femme, et que je viens me constituer prisonnier.
La mère Antoine poussa un cri auquel répondirent deux ou trois exclamations arrachées par la terreur à des personnes qui se trouvaient assez près pour entendre ce terrible aveu.
Je fis moi-même un pas en arrière, et rencontrai le tronc d'un tilleul, auquel je m'appuyai.
Au reste, tous ceux qui se trouvaient à la portée de la voix étaient restés immobiles.
Quant au meurtrier, il avait glissé de la borne à terre, comme si, après avoir prononcé les fatales paroles, la force l'eût abandonné.
Cependant la mère Antoine avait disparu, laissant la petite porte ouverte. Il était évident qu'elle était allée accomplir près de son maître la commission dont Jacquemin l'avait chargée.
Au bout de cinq minutes, celui qu'on était allé chercher parut sur le seuil de la porte.
Deux autres hommes le suivaient.
Je vois encore l'aspect de la rue.
Jacquemin avait glissé à terre comme je l'ai dit Le maire de Fontenay-aux-Roses. que venait d'aller chercher la mère Antoine, se trouvait debout près de lui, le dominant de toute la hauteur de sa taille, qui était grande. Dans l'ouverture de la porte se pressaient les deux autres personnes dont nous parlerons plus longuement tout à l'heure. J'étais appuyé contre le tronc d'un tilleul planté dans la Grande-Rue, mais d'où mon regard plongeait dans la rue de Diane. A ma gauche était un groupe composé d'un homme, d'une femme et d'un enfant, l'enfant pleurant pour que sa mère le prît dans ses bras. Derrière ce groupe un boulanger passait sa tête par une fenêtre du premier, causant avec son garçon qui était en bas, et lui demandant si ce n'était pas Jacquemin, le carrier, qui venait de passer en courant; puis enfin apparaissait, sur le seuil de sa porte, un maréchal ferrant, noir par devant, mais le dos éclairé par la lumière de sa forge dont un apprenti continuait de tirer le soufflet.
Voilà pour la Grande-Rue.
Quant à la rue de Diane,—à part le groupe principal que nous avons décrit,—elle était déserte. Seulement à son extrémité l'on voyait poindre deux gendarmes qui venaient de faire leur tournée dans la plaine pour demander les ports d'armes, et qui, sans se douter de la besogne qui les attendait, se rapprochaient de nous en marchant tranquillement au pas. Une heure un quart sonnait.
II
L'IMPASSE DES SERGENTS.
—C'est la vérité pure, monsieur le maire, répondit Jacquemin. Il faudrait me faire conduire en prison et juger bien vite.
Et, en disant ces mots, il essaya de se relever, s'accrochant au haut de la borne avec son coude; mais, après un effort, il retomba, comme si les os de ses jambes eussent été brisés.
—Allons donc! tu es fou! dit le maire.
—Regardez mes mains, répondit-il.
Et il leva deux mains sanglantes, auxquelles leurs doigts crispés donnaient la forme de deux serres.
En effet, la gauche était rouge jusqu'au-dessus du poignet, la droite jusqu'au coude.
En outre, à la main droite, un filet de sang frais coulait tout le long du pouce, provenant d'une morsure que la victime, en se débattant, avait, selon toute probabilité, faite à son assassin.
Pendant ce temps, les deux gendarmes s'étaient rapprochés, avaient fait halte à dix pas du principal acteur de cette scène et regardaient du haut de leurs chevaux.
Le maire leur fit un signe; ils descendirent, jetant la bride de leur monture à un gamin coiffé d'un bonnet de police et qui paraissait être un enfant de troupe.
Après quoi ils s'approchèrent de Jacquemin et le soulevèrent par-dessous les bras.
Il se laissa faire sans résistance aucune, et avec l'atonie d'un homme dont l'esprit est absorbé par une unique pensée.
Au même instant, le commissaire de police et le médecin arrivèrent; ils venaient d'être prévenus de ce qui se passait.
—Ah! venez, monsieur Robert!—Ah! venez, monsieur Cousin! dit le maire.
M. Robert était le médecin, M. Cousin était le commissaire de police.
—Venez; j'allais vous envoyer chercher.
—Eh bien! voyons, qu'y a-t-il? demanda le médecin de l'air le plus jovial du monde; un petit assassinat, à ce qu'on dit.
Jacquemin ne répondit rien.
—Dites donc, père Jacquemin, continua le docteur, est-ce que c'est vrai que c'est vous qui avez tué votre femme?
Jacquemin ne souffla pas le mot.
—Il vient au moins de s'en accuser lui-même, dit le maire; cependant, j'espère encore que c'est un moment d'hallucination et non pas un crime réel qui le fait parler.
—Jacquemin, dit le commissaire de police, répondez. Est-il vrai que vous ayez tué votre femme?
Même silence.
—En tout cas, nous allons bien voir, dit le docteur Robert; ne demeure-t-il pas impasse des Sergents?
—Oui, répondirent les deux gendarmes.
—Eh bien! monsieur Ledru, dit le docteur en s'adressant au maire, allons impasse des Sergents.
—Je n'y vais pas!—je n'y vais pas! s'écria Jacquemin en s'arrachant des mains des gendarmes avec un mouvement si violent, que, s'il eût voulu fuir, il eût été, certes, à cent pas avant que personne songeât à le poursuivre.
—Mais pourquoi n'y veux-tu pas venir? demanda le maire.
—Qu'ai-je besoin d'y aller, puisque j'avoue tout,—puisque je vous dis que je l'ai tuée, tuée avec cette grande épée à deux mains que j'ai prise au Musée d'artillerie l'année dernière? Conduisez-moi en prison; je n'ai rien à faire là-bas, conduisez-moi en prison!
Le docteur et M. Ledru se regardèrent.
—Mon ami, dit le commissaire de police, qui, comme M. Ledru, espérait encore que Jacquemin était sous le poids de quelque dérangement d'esprit momentané,—mon ami, la confrontation est d'urgence; d'ailleurs il faut que vous soyez là pour guider la justice.
—En