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Au bonheur des dames. Emile ZolaЧитать онлайн книгу.

Au bonheur des dames - Emile Zola


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Non, pas celle-ci… Pas encore, du moins… Le malheur est que son service l'appelle aux quatre coins de la France, dans les dépôts d'étalons, et qu'il a de la sorte de continuels prétextes pour disparaître. Le mois passé, tandis que sa femme le croyait à Perpignan, il vivait à l'hôtel, en compagnie d'une maîtresse de piano, au fond d'un quartier perdu.

      Il y eut un silence. Puis, le jeune homme, qui surveillait à son tour les galanteries du comte auprès de Mme Guibal, reprit tout bas:

      — Ma foi, tu as raison… D'autant plus que la chère dame n'est guère farouche, à ce qu'on raconte. Il y a sur elle une histoire d'officier bien drôle… Mais regarde-le donc! est-il comique, à la magnétiser du coin de l'oeil! La vieille France, mon cher!… Moi, je l'adore, cet homme-là, et il pourra bien dire que c'est pour lui, si j'épouse sa fille!

      Mouret riait, très amusé. Il questionna de nouveau Vallagnosc, et quand il sut que la première idée d'un mariage, entre celui-ci et Blanche, venait de Mme Desforges, il trouva l'histoire meilleure encore. Cette bonne Henriette goûtait un plaisir de veuve à marier les gens; si bien que, lorsqu'elle avait pourvu les filles, il lui arrivait de laisser les pères, choisir des amies dans sa société; mais cela naturellement, en toute bonne grâce, sans que le monde y trouvât jamais matière à scandale. Et Mouret, qui l'aimait en homme actif et pressé, habitué à chiffrer ses tendresses, oubliait alors tout calcul de séduction et se sentait pour elle une amitié de camarade.

      Justement, elle parut à la porte du petit salon, suivie d'un vieillard, âgé d'environ soixante ans, dont les deux amis n'avaient pas remarqué l'entrée. Ces dames prenaient par moments des voix aiguës, que le léger tintement des cuillers dans les tasses de Chine accompagnait; et l'on entendait de temps à autre, au milieu d'un court silence, le bruit d'une soucoupe trop vivement reposée sur le marbre du guéridon. Un brusque rayon du soleil couchant, qui venait de paraître au bord d'un grand nuage, dorait les cimes des marronniers du jardin, entrait par les fenêtres en une poussière d'or rouge, dont l'incendie allumait la brocatelle et les cuivres des meubles.

      — Par ici, mon cher baron, disait Mme Desforges. Je vous présente M. Octave Mouret, qui a le plus vif désir de vous témoigner sa grande admiration.

      Et, se tournant vers Octave, elle ajouta:

      — M. le baron Hartmann.

      Un sourire pinçait finement les lèvres du vieillard. C'était un homme petit et vigoureux, à grosse tête alsacienne, et dont la face épaisse s'éclairait d'une flamme d'intelligence, au moindre pli de la bouche, au plus léger clignement des paupières. Depuis quinze jours, il résistait au désir d'Henriette, qui lui demandait cette entrevue; non pas qu'il éprouvât une jalousie exagérée, résigné en homme d'esprit à son rôle de père; mais parce que c'était le troisième ami dont Henriette lui faisait faire la connaissance, et qu'à la longue, il craignait un peu le ridicule. Aussi, en abordant Octave, avait-il le rire discret d'un protecteur riche, qui, s'il veut bien se montrer charmant, ne consent pas à être dupe.

      — Oh! monsieur, disait Mouret avec son enthousiasme de Provençal, la dernière opération du Crédit Immobilier a été si étonnante! Vous ne sauriez croire combien je suis heureux et fier de vous serrer la main.

      — Trop aimable, monsieur, trop aimable, répétait le baron toujours souriant.

      Henriette les regardait de ses yeux clairs, sans un embarras. Elle restait entre les deux, levait sa jolie tête, allait de l'un à l'autre; et, dans sa robe de dentelle qui découvrait ses poignets et son cou délicats, elle avait un air ravi, à les voir si bien d'accord.

      — Messieurs, finit-elle par dire, je vous laisse causer.

      Puis, se tournant vers Paul, qui s'était mis debout, elle ajouta:

      — Voulez-vous une tasse de thé, monsieur de Vallagnosc?

      — Volontiers, madame.

      Et tous deux rentrèrent dans le salon.

      Lorsque Mouret eut repris sa place sur le canapé, près du baron Hartmann, il se répandit en nouveaux éloges à propos des opérations du Crédit Immobilier. Puis, il attaqua le sujet, qui lui tenait au coeur, il parla de la nouvelle voie, du prolongement de la rue Réaumur, dont on allait ouvrir une section, sous le nom de rue du Dix-Décembre, entre la place de la Bourse et la place de l'Opéra. L'utilité publique était déclarée depuis dix-huit mois, le jury d'expropriation venait d'être nommé, tout le quartier se passionnait pour cette trouée énorme, s'inquiétant de l'époque des travaux, s'intéressant aux maisons condamnées. Il y avait près de trois ans que Mouret attendait ces travaux, d'abord dans la prévision d'un mouvement plus actif des affaires, ensuite avec des ambitions d'agrandissement, qu'il n'osait avouer tout haut, tant son rêve s'élargissait. Comme la rue du Dix-Décembre devait couper la rue de Choiseul et la rue de la Michodière, il voyait le Bonheur des Dames envahir tout le pâté entouré par ces rues et la rue Neuve-Saint-Augustin, il l'imaginait déjà avec une façade de palais sur la voie nouvelle, dominateur, maître de la ville conquise. Et de là était né son vif désir de connaître le baron Hartmann, lorsqu'il avait appris que le Crédit Immobilier, par un traité passé avec l'administration, prenait l'engagement de percer et d'établir la rue du Dix-Décembre, à la condition qu'on lui abandonnerait la propriété des terrains en bordure.

      — Vraiment, répétait-il en tâchant de montrer un air naïf, vous leur livrerez la rue toute faite, avec les égouts, les trottoirs, les becs de gaz? Et les terrains en bordure suffiront pour vous indemniser? Oh! c'est curieux, très curieux!

      Enfin, il arriva au point délicat. Il avait su que le Crédit Immobilier faisait, secrètement, acheter les maisons du pâté où se trouvait le Bonheur des Dames, non seulement celles qui devaient tomber sous la pioche des démolisseurs, mais encore les autres, celles qui allaient rester debout. Et il flairait là le projet de quelque établissement futur, il était très inquiet pour les agrandissements dont il élargissait le rêve, pris de peur à l'idée de se heurter un jour contre une société puissante, propriétaire d'immeubles qu'elle ne lâcherait certainement pas. C'était même cette peur qui l'avait décidé à mettre au plus tôt un lien entre le baron et lui, le lien aimable d'une femme, si étroit entre les hommes de nature galante. Sans doute, il aurait pu voir le financier dans son cabinet, pour causer à l'aise de la grosse affaire qu'il voulait lui proposer. Mais il se sentait plus fort chez Henriette, il savait combien la possession commune d'une maîtresse rapproche et attendrit. Être tous les deux chez elle, dans son parfum aimé, l'avoir là prête à les convaincre d'un sourire, lui semblait une certitude de succès.

      — N'avez-vous pas acheté l'ancien hôtel Duvillard, cette vieille bâtisse qui me touche? finit-il par demander brusquement.

      Le baron Hartmann eut une courte hésitation, puis il nia. Mais, le regardant en face, Mouret se mit à rire; et il joua dès lors le rôle d'un bon jeune homme, le coeur sur la main, rond en affaires.

      — Tenez! monsieur le baron, puisque j'ai l'honneur inespéré de vous rencontrer, il faut que je me confesse… Oh! je ne vous demande pas vos secrets. Seulement, je vais vous confier les miens, persuadé que je ne saurais les placer en des mains plus sages… D'ailleurs, j'ai besoin de vos conseils, il y a longtemps que je n'osais vous aller voir.

      Il se confessa en effet, il raconta ses débuts, il ne cacha même pas la crise financière qu'il traversait, au milieu de son triomphe. Tout défila, les agrandissements successifs, les gains remis continuellement dans l'affaire, les sommes apportées par ses employés, la maison risquant son existence à chaque mise en vente nouvelle, où le capital entier était joué comme sur un coup de cartes. Pourtant, ce n'était pas de l'argent qu'il demandait, car il avait en sa clientèle une foi de fanatique. Son ambition devenait plus haute, il proposait au baron une association, dans laquelle le Crédit Immobilier apporterait le palais colossal qu'il voyait en rêve, tandis que lui, pour sa part, donnerait son génie et le fonds de commerce déjà créé. On estimerait les apports, rien ne lui paraissait d'une réalisation plus facile.

      — Qu'allez-vous faire de vos terrains et de vos immeubles? demandait-il avec


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