Dictionnaire raisonné des onomatopées françaises. Charles NodierЧитать онлайн книгу.
chez les Latins, et sur-tout dans ce dernier poëte. Il n'est personne qui n'ait entendu citer ces vers d'une si riche harmonie:
Tum ferri rigor atque argutæ lamina serræ.
Quadrupedante putrem sonitu quatit ungula campum.
Necdum etiam audierant inflari classica, necdum
Impositos duris crepitare incudibus enses.
Luctantes ventos, tempestatesque sonoras.
Continuò ventis surgentibus, aut freta ponti.
Incipiunt agitata tumescere, et aridus altis
Montibus audiri fragor, aut resonantia longè
Littora misceri, et nemorum increbrescere murmur.
On est même parvenu à exprimer les différentes passions de l'ame, au moyen de la seule prosodie.
Ses gardes affligés
Imitaient son silence autour de lui rangés:
Il suivait tout pensif le chemin de Mycènes,
Sa main sur ses chevaux laissait flotter les rênes;
Ces superbes coursiers qu'on voyait autrefois
Pleins d'une ardeur si noble obéir à sa voix,
L'œil morne maintenant et la tête baissée
Semblaient se conformer à sa triste pensée.
Et dans Virgile:
Extinctum Nymphæ crudeli funere Daphnim
Flebant.
Mais autant ces belles combinaisons sont agréables et ingénieuses, autant est misérable l'abus qu'on en a fait quelquefois, et principalement de nos jours. Puisqu'on a osé reprocher à Racine un emploi trop recherché de l'Onomatopée dans certains vers d'Andromaque et de Phèdre, que doit-on penser, en effet, de ces poëmes descriptifs devenus si communs, et qui ne sont, à dire vrai, qu'un entassement laborieux d'expressions étudiées? Cette affectation est tout-à-fait indigne d'un vrai poëte, et le résultat de tant d'efforts minutieux n'est bon qu'à augmenter le nombre de ces nugæ difficiles si méprisées des gens de goût. Il me serait trop aisé de montrer à quel point on a porté récemment ce travers d'esprit, et ce que j'en dirais ne serait peut-être pas sans utilité; mais qu'il me suffise de rappeler la description de l'alouette, par Dubartas, qui est le prototype de toutes les sottises qu'on a faites dès-lors en ce genre.
Je ferai la même observation sur les mots purement factices que des auteurs peu délicats dans le choix des termes, ont cru pouvoir créer pour exprimer des sons qu'ils ne savaient pas imiter autrement. Si une pareille fantaisie était de nature à devenir contagieuse, la langue serait bientôt inondée d'onomatopées barbares, et n'offrirait plus qu'une suite de cacophonies intolérables. Le vers macaronique, qui peint les éclats de l'escopette, et le taratantara d'Ennius sont de cette espèce; mais il n'y a rien de comparable, parmi les abus de l'harmonie imitative et du langage factice, au breke ke koax de J.-B. Rousseau. Il est d'ailleurs important de remarquer qu'il n'est donné qu'aux poëtes d'un grand talent d'employer heureusement les effets d'une harmonie rauque et pénible. On ne choque impunément l'oreille, qu'autant qu'il le fallait pour ajouter à la force et à l'éclat de la pensée. Ce sont de ces licences qui veulent être justifiées par le succès, et qu'on ne pardonne qu'en faveur de l'impression qu'elles produisent.
Je parlerai maintenant du plan que je me suis tracé pour la composition de ce Dictionnaire. Mon premier projet était de recueillir les Onomatopées de tous les peuples, et de faire ainsi un espèce de lexicon polyglote de tous les sons naturels qui restent dans les langues, de manière à remonter, en quelque sorte, à une langue commune et primitive, indépendante des conventions particulières, et universellement intelligible. Mais, sans compter les difficultés essentielles que mon impuissance aurait opposées à l'exécution de cet ouvrage, ainsi conçu, et les circonstances qui ont restreint mes recherches, il m'a semblé qu'une énumération raisonnée des Onomatopées françaises remplirait assez bien le dessein le plus important que je me sois proposé, qui est d'épargner un soin incommode et futile, et de présenter, sous un cadre étroit, une série de rapprochemens curieux à ceux que ce genre d'observations intéresse, et qui peuvent en tirer parti pour leurs études.
J'ai cru cependant ne pas devoir négliger les principales Onomatopées que les langues mortes ou étrangères ont consacrées; mais je ne les ai recueillies qu'autant qu'elles avaient rapport à des Onomatopées françaises, et qu'il résultait de leur analogie une comparaison instructive et piquante.
Je ne me suis point attaché à rassembler tous les mots dont un son naturel a pu être la racine. Je crois ces mots très-nombreux, mais inutiles à mon plan. Je crois même qu'il n'y en a presque point qu'on ne dérive au besoin de cette espèce d'origine, soit immédiatement, soit par extension. On pourra voir quelques-unes de leurs immenses générations, dans le systême de M. Court de Gébelin, systême spirituel et séduisant, mais encore un peu conjectural, comme tous les systêmes, et dans l'ouvrage non moins docte et non moins ingénieux que prépare un écrivain de l'amitié duquel j'aime à m'honorer, M. David de Saint-Georges. Je répète que si l'avenir me laisse quelques loisirs, et que ce faible essai m'obtienne un seul encouragement de l'indulgence, j'entreprendrai sans doute un jour de jeter quelque lumière sur cette partie importante de la grammaire générale, et d'appliquer d'une manière plus complète ma théorie des étymologies naturelles. En attendant, il n'y aura ici que des Onomatopées incontestables et frappantes, et qu'il sera aisé de ramener à leur racine, sans le secours d'une analyse laborieuse.
Je n'ai pas cherché non plus à rapporter à chaque Onomatopée spécifique toutes les expressions qui en sont composées dans notre langue, et tous les modes qu'elle a subis, si ce n'est quand il a pu sortir de cette aride énumération des observations de quelque intérêt. Ceux à qui ces dérivations ne paraîtraient pas si superflues, les retrouveront sans peine en partant du mot typique.
Enfin, j'ai rangé sous le même titre, et à leur rang alphabétique, un certain nombre d'Onomatopées que notre langue n'a point encore admises, mais qui sont comme naturalisées par l'usage que d'excellens écrivains en ont fait. Les Onomatopées anciennes qui sont tombées en désuétude avec une partie de notre langue, trouveront place dans cet ouvrage toutes les fois qu'elles me sembleront bonnes à conserver, et que je n'en verrai pas l'équivalent dans les vocabulaires modernes; mais pour éviter les méprises qui proviendraient d'une telle confusion, je distinguerai ces deux familles de mots inusités, par l'astérisque en tête de l'article.
Qu'on me permette d'ajouter à ce propos que si la manie du néologisme est extrêmement déplorable pour les lettres, et tend insensiblement à dénaturer les idiomes dans lesquels elle se glisse, il n'en serait pas moins injuste de repousser sous ce prétexte, un grand nombre de ces expressions vives, caractéristiques, indispensables, dont le génie fait de temps en temps présent aux langues. Il n'appartient à personne d'arrêter irrévocablement les limites d'une langue, et de marquer le point où il devient impossible de rien ajouter à ses richesses. Voltaire, pour qui la nôtre était si opulente et si féconde, l'accuse d'être une gueuse fière à qui il faut faire l'aumône malgré elle. J'avoue que je me suis souvent étonné de la voir exclure tel mot qu'elle ne peut remplacer que par une périphrase languissante, et le dictionnaire que je soumets au public en renferme quelques-uns de ce genre. C'est une témérité qui avait besoin d'apologie.
Au reste, on insistera moins sur le reproche qu'elle devrait me mériter, si on daigne se rappeler que la classe de littérature de l'Institut fait espérer un dictionnaire qui ne laissera plus de doute sur la valeur des mots que notre langue a acquis ou qu'elle a tenté de ressusciter dans ces derniers temps. En attendant le monument que cette savante compagnie se propose d'élever, l'homme de lettres peut lui apporter des matériaux, et le Lexicographe peut essayer d'en réunir quelques-uns, en subordonnant son jugement prématuré à celui de ses maîtres.
Je ne finirai point cette préface sans payer de justes tributs de reconnaissance