Cyrano de Bergerac. Edmond RostandЧитать онлайн книгу.
cette mortadelle d'Italie !
MONTFLEURY (rassemblant toute sa dignité): En m'insultant, Monsieur, vous insultez Thalie !
CYRANO (très poli): Si cette Muse, à qui, Monsieur, vous n'êtes rien, Avait l'honneur de vous connaître, croyez bien Qu'en vous voyant si gros et bête comme une urne, Elle vous flanquerait quelque part son cothurne.
LE PARTERRE:
Montfleury ! Montfleury !—La pièce de Baro !—
CYRANO (à ceux qui crient autour de lui): Je vous en prie, ayez pitié de mon fourreau: Si vous continuez, il va rendre sa lame ! (Le cercle s'élargit.)
LA FOULE (reculant): Hé ! là !. . .
CYRANO (à Montfleury): Sortez de scène !
LA FOULE (se rapprochant et grondant): Oh ! oh !
CYRANO (se retournant vivement): Quelqu'un réclame ? (Nouveau recul.)
UNE VOIX (chantant au fond): Monsieur de Cyrano Vraiment nous tyrannise, Malgré ce tyranneau On jouera la Clorise.
TOUTE LA SALLE (chantant): La Clorise, la Clorise !. . .
CYRANO:
Si j'entends une fois encor cette chanson,
Je vous assomme tous.
UN BOURGEOIS:
Vous n'êtes pas Samson !
CYRANO:
Voulez-vous me prêter, Monsieur, votre mâchoire ?
UNE DAME (dans les loges): C'est inouï !
UN SEIGNEUR:
C'est scandaleux !
UN BOURGEOIS:
C'est vexatoire !
UN PAGE:
Ce qu'on s'amuse !
LE PARTERRE:
Kss !—Montfleury !—Cyrano !
CYRANO:
Silence !
LE PARTERRE (en délire): Hi han ! Bêê ! Ouah, ouah ! Cocorico !
CYRANO:
Je vous. . .
UN PAGE:
Miâou !
CYRANO:
Je vous ordonne de vous taire !
Et j'adresse un défi collectif au parterre !
—J'inscris les noms !—Approchez-vous, jeunes héros !
Chacun son tour ! Je vais donner des numéros !—
Allons, quel est celui qui veut ouvrir la liste ?
Vous, Monsieur ? Non ! Vous ? Non ! Le premier duelliste,
Je l'expédie avec les honneurs qu'on lui doit !
—Que tous ceux qui veulent mourir lèvent le doigt.
(Silence): La pudeur vous défend de voir ma lame nue ? Pas un nom ?—Pas un doigt ?—C'est bien. Je continue. (Se retournant vers la scène où Montfleury attend avec angoisse): Donc, je désire voir le théâtre guéri De cette fluxion. Sinon. . . (La main à son épée): le bistouri !
MONTFLEURY:
Je. . .
CYRANO (descend de sa chaise, s'assied au milieu du rond qui s'est formé, s'installe comme chez lui): Mes mains vont frapper trois claques, pleine lune ! Vous vous éclipserez à la troisième.
LE PARTERRE (amusé): Ah ?. . .
CYRANO (frappant dans ses mains): Une !
MONTFLEURY:
Je. . .
UNE VOIX (des loges): Restez !
LE PARTERRE:
Restera. . .restera pas. . .
MONTFLEURY:
Je crois,
Messieurs. . .
CYRANO:
Deux !
MONTFLEURY:
Je suis sûr qu'il vaudrait mieux que. . .
CYRANO:
Trois !
(Montfleury disparaît comme dans une trappe. Tempête de rires, de sifflets et de huées.)
LA SALLE:
Hu !. . .hu !. . .Lâche !. . .Reviens !. . .
CYRANO (épanoui, se renverse sur sa chaise, et croise ses jambes): Qu'il revienne, s'il l'ose !
UN BOURGEOIS:
L'orateur de la troupe !
(Bellerose s'avance et salue.)
LES LOGES:
Ah !. . .Voilà Bellerose !
BELLEROSE (avec élégance): Nobles seigneurs. . .
LE PARTERRE:
Non ! Non ! Jodelet !
JODELET (s'avance, et, nasillard): Tas de veaux !
LE PARTERRE:
Ah ! Ah ! Bravo ! très bien ! bravo !
JODELET:
Pas de bravos !
Le gros tragédien dont vous aimez le ventre
S'est senti. . .
LE PARTERRE:
C'est un lâche !
JODELET:
Il dut sortir !
LE PARTERRE:
Qu'il rentre !
LES UNS:
Non !
LES AUTRES:
Si !
UN JEUNE HOMME (à Cyrano): Mais à la fin, monsieur, quelle raison Avez-vous de haïr Montfleury ?
CYRANO (gracieux, toujours assis): Jeune oison, J'ai deux raisons, dont chaque est suffisante seule. Primo: c'est un acteur déplorable, qui gueule, Et qui soulève avec des han ! de porteur d'eau, Le vers qu'il faut laisser s'envoler !—Secundo: Est mon secret. . .
LE VIEUX BOURGEOIS (derrière lui): Mais vous nous privez sans scrupule De la Clorise ! Je m'entête. . .
CYRANO (tournant sa chaise vers le bourgeois, respecteusement): Vieille mule ! Les vers du vieux Baro valant moins que zéro, J'interromps sans remords !
LES PRÉCIEUSES (dans les loges): Ha !—Ho !—Notre Baro ! Ma chère !—Peut-on dire ?. . .Ah ! Dieu !. . .
CYRANO (tournant sa chaise vers les loges, galant): Belles personnes, Rayonnez, fleurissez, soyez des échansonnes De rêve, d'un sourire enchantez un trépas, Inspirez-nous des vers. . .mais ne les jugez pas !
BELLEROSE:
Et l'argent qu'il va falloir rendre !
CYRANO (tournant sa chaise vers la scène): Bellerose, Vous avez dit la seule intelligente chose ! Au manteau de Thespis je ne fais pas de trous: (Il se lève, et lançant un sac sur la scène): Attrapez cette bourse au vol, et taisez-vous !
LA SALLE (éblouie): Ah !. . .Oh !. . .
JODELET (ramassant prestement la bourse et la soupesant): A ce prix-là, monsieur, je t'autorise A venir chaque jour empêcher la Clorise