Le Naturalisme au théâtre, les théories et les exemples. Emile ZolaЧитать онлайн книгу.
exacte. Ce serait bien peu comprendre la liberté conquise que de vouloir nous enfermer dans une nouvelle tradition. Le terrain est libre, nous pouvons revenir à l'homme et à la nature.
Dernièrement, on faisait de grands efforts pour ressusciter le drame historique. Rien de mieux. Un critique ne peut condamner d'un mot le choix des sujets historiques, malgré toutes ses préférences personnelles pour les sujets modernes. Je suis simplement plein de méfiance. Le patron sur lequel on taille chez nous ces sortes de pièces me fait peur à l'avance. Il faut voir comme on y traite l'histoire, quels singuliers personnages on y présente sous des noms de rois, de grands capitaines ou de grands artistes, enfin à quelle effroyable sauce on y accommode nos annales. Dès que les auteurs de ces machines-là sont dans le passé, ils se croient tout permis, les invraisemblances, les poupées de carton, les sottises énormes, les barbouillages criards d'une fausse couleur locale. Et quelle étrange langue, François 1er parlant comme un mercier de la rue Saint-Denis, Richelieu ayant des mots de traître du boulevard du Crime, Charlotte Corday pleurant avec des sentimentalités de petite ouvrière!
Ce qui me stupéfie, c'est que nos auteurs dramatiques ne paraissent pas se douter un instant que le genre historique est forcément le plus ingrat, celui où les recherches, la conscience, le talent profond d'intuition et de résurrection sont le plus nécessaires. Je comprends ce drame, lorsqu'il est traité par des poètes de génie ou par des hommes d'une science immense, capables de mettre devant les spectateurs toute une époque debout, avec son air particulier, ses moeurs, sa civilisation; c'est là alors une oeuvre de divination ou de critique d'un intérêt profond.
Mais je sais malheureusement ce que les partisans du drame historique veulent ressusciter: c'est uniquement le drame à panaches et à ferraille, la pièce à grand spectacle et à grands mots, la pièce menteuse faisant la parade devant la foule, une parade grossière qui attriste les esprits justes. Et je me méfie. Je crois que toute cette antiquaille est bonne à laisser dans notre musée dramatique, sous une pieuse couche de poussière.
Sans doute, il y a de grands obstacles aux tentatives originales. On se heurte contre les hypocrisies de la critique et contre la longue éducation de sottise faite à la foule. Cette foule, qui commence à rire des enfantillages de certains mélodrames, se laisse toujours prendre aux tirades sur les beaux sentiments. Mais les publics changent; le public de Shakespeare, le public de Molière ne sont plus les nôtres. Il faut compter sur le mouvement des esprits, sur le besoin de réalité qui grandit partout. Les derniers romantiques ont beau répéter que le public veut ceci, que le public ne veut pas cela: il viendra un jour où le public voudra la vérité.
IV
Toutes les formules anciennes, la formule classique, la formule romantique, sont basées sur l'arrangement et sur l'amputation systématiques du vrai. On a posé en principe que le vrai est indigne; et on essaye d'en tirer une essence, une poésie, sous le prétexte qu'il faut expurger et agrandir la nature. Jusqu'à présent, les différentes écoles littéraires ne se sont battues que sur la question de savoir de quel déguisement on devait habiller la vérité, pour qu'elle n'eût pas l'air d'une dévergondée en public. Les classiques avaient adopté le peplum, les romantiques ont fait une révolution pour imposer la cotte de maille et le pourpoint. Au fond, ce changement de toilette importe peu, le carnaval de la nature continue. Mais, aujourd'hui, les naturalistes arrivent et déclarent que le vrai n'a pas besoin de draperies; il doit marcher dans sa nudité. Là, je le répète, est la querelle.
Certes, les écrivains de quelque jugement comprennent parfaitement que la tragédie et le drame romantique sont morts. Seulement, le plus grand nombre sont très troublés en songeant à la formule encore vague de demain. Est-ce que sérieusement la vérité leur demande de faire le sacrifice de la grandeur, de la poésie, du souffle épique qu'ils ont l'ambition de mettre dans leurs pièces? Est-ce que le naturalisme exige d'eux qu'ils rapetissent de toutes parts leur horizon et qu'ils ne risquent plus un seul coup d'aile dans le ciel de la fantaisie?
Je vais tâcher de répondre. Mais, auparavant, il faut déterminer les procédés que les idéalistes emploient pour hausser leurs oeuvres à la poésie. Ils commencent par reculer au fond des âges le sujet qu'ils ont choisi. Cela leur fournit des costumes et rend le cadre assez vague pour leur permettre tous les mensonges. Ensuite, ils généralisent au lieu d'individualiser; leurs personnages ne sont plus des êtres vivants, mais des sentiments, des arguments, des passions déduites et raisonnées. Le cadre faux veut des héros de marbre ou de carton. Un homme en chair et en os, avec son originalité propre, détonnerait d'une façon criarde au milieu d'une époque légendaire. Aussi voit-on les personnages d'une tragédie ou d'un drame romantique se promener, raidis dans une altitude, l'un représentant le devoir, l'autre le patriotisme, un troisième la superstition, un quatrième l'amour maternel; et ainsi de suite, toutes les idées abstraites y passent à la file. Jamais l'analyse complète d'un organisme, jamais un personnage dont les muscles et le cerveau travaillent comme dans la nature.
Ce sont donc là les procédés auxquels les écrivains tournés vers l'épopée ne veulent pas renoncer. Toute la poésie, pour eux, est dans le passé et dans l'abstraction, dans l'idéalisation des faits et des personnages. Dès qu'on les met en face de la vie quotidienne, dès qu'ils ont devant eux le peuple qui emplit nos rues, ils battent des paupières, ils balbutient, effarés, ne voyant plus clair, trouvant tout très laid et indigne de l'art. A les entendre, il faut que les sujets entrent dans les mensonges de la légende, il faut que les hommes se pétrifient et tournent à l'état de statue, pour que l'artiste puisse enfin les accepter et les accommoder à sa guise.
Or, c'est à ce moment que les naturalistes arrivent et disent très carrément que la poésie est partout, en tout, plus encore dans le présent et le réel que dans le passé et l'abstraction. Chaque fait, à chaque heure, a son côté poétique et superbe. Nous coudoyons des héros autrement grands et puissants que les marionnettes des faiseurs d'épopée. Pas un dramaturge, dans ce siècle, n'a mis debout des figures aussi hautes que le baron Hulot, le vieux Grandet, César Birotteau, et tous les autres personnages de Balzac, si individuels et si vivants. Auprès de ces créations géantes et vraies, les héros grecs ou romains grelottent, les héros du moyen âge tombent sur le nez comme des soldats de plomb.
Certes, à cette heure, devant les oeuvres supérieures produites par l'école naturaliste, des oeuvres de haut vol, toutes vibrantes de vie, il est ridicule et faux de parquer la poésie dans je ne sais quel temple d'antiquailles, parmi les toiles d'araignée. La poésie coule à plein bord dans tout ce qui existe, d'autant plus large qu'elle est plus vivante. Et j'entends donner à ce mot de poésie toute sa valeur, ne pas en enfermer le sens entre la cadence de deux rimes, ni au fond d'une chapelle étroite de rêveurs, lui restituer son vrai sens humain, qui est de signifier l'agrandissement et l'épanouissement de toutes les vérités.
Prenez donc le milieu contemporain, et tâchez d'y faire vivre des hommes: vous écrirez de belles oeuvres. Sans doute, il faut un effort, il faut dégager du pêle-mêle de la vie la formule simple du naturalisme. Là est la difficulté, faire grand avec des sujets et des personnages que nos yeux, accoutumés au spectacle de chaque jour, ont fini par voir petits. Il est plus commode, je le sais, de présenter une marionnette au public, d'appeler la marionnette Charlemagne et de la gonfler à un tel point de tirades, que le public s'imagine avoir vu un colosse; cela est plus commode que de prendre un bourgeois de notre époque, un homme grotesque et mal mis et d'en tirer une poésie sublime, d'en faire, par exemple, le père Goriot, le père qui donne ses entrailles à ses filles, une figure si énorme de vérité et d'amour, qu'aucune littérature ne peut en offrir une pareille.
Rien n'est aisé comme de travailler sur des patrons, avec des formules connues; et les héros, dans le goût classique ou romantique, coûtent si peu de besogne, qu'on les fabrique à la douzaine. C'est un article courant dont notre littérature est encombrée. Au contraire, l'effort devient très dur, lorsqu'on veut un héros réel, savamment analysé, debout et agissant. Voilà sans doute pourquoi le naturalisme terrifie