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Le dernier chevalier. Paul FevalЧитать онлайн книгу.

Le dernier chevalier - Paul  Feval


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      —-Vraiment tout à fait!... En voulez-vous?

      Madeleine avait auprès d'elle sur son petit bureau un verre profond et large, avec une bouteille entamée qui contenait le vermillon de ses grosses joues, sous forme de vin d'Arbois. Elle emplit le verre et l'offrit à M. Marais, en ajoutant, non sans coquetterie:

      —-Si toutefois ça ne vous arrête pas de boire après moi, M. l'inspecteur.

      —-M'arrêter! s'écria galamment M. Marais. Vous êtes fraîche comme la pêche, ma commère, et quoique je n'aie pas soif du tout, j'accepte avec plaisir, rien que pour mettre mon nez dans votre verre... À votre santé... Et pourquoi songiez-vous à moi, je vous prie?

      La veuve le regarda boire d'un air espiègle qui ne lui allait point encore trop mal. Au lieu de répondre, elle dit:

      —C'est comme moi, je n'aime pas le vin, non, mais ça m'est recommandé pour mon estomac.

      —Je vous demandais pourquoi vous pensiez à moi.

      Elle emplit le verre et le vida d'un trait, comme si elle en eût versé le contenu dans une cuvette.

      —Parce qu'il y a ici M. Joseph, répondit-elle enfin.

      —Ah! fit Marais: Joseph qui?

      —Je ne sais pas.

      —Et après?

      La femme Homayras hésita.

      —Est-ce tout? reprit Marais.

      —Non... Je ne voudrais pas lui faire du mal, voyez-vous...

      —À M. Joseph? Il vous est donc suspect?

      —Non... Mais il a l'air d'un prince des fois qu'il y a, ce bonhomme-là!

      —Il est riche?

      —Ah! mais non!

      —Que fait-il?

      —Rien... C'est-à-dire... il rage!

      —Oh! oh! contre qui?

      —Contre les Anglais.

      —Eh bien! ma commère, je n'y vois point d'inconvénient.

      —Et contre la compagnie...

      —Bravo! Les Pères ne sont pas bien dans nos papiers, depuis M. de Choiseul.

      —Ce n'est pas contre la compagnie de Jésus. Il parle de Madras, de Pondichéry, de Bombay...

      —La Compagnie des Indes alors? Depuis M. de Choiseul, nous nous en moquons comme du Canada, Madeleine! Qui fréquente-t-il?

      —Personne.

      —En ce cas-là, il ne peut pas être bien dangereux.

      —Savoir!

      La femme Homayras hésita encore. L'inspecteur, prenant la bouteille à son tour, emplit le verre lui-même.

      —Une gorgée pour votre estomac, Madeleine dit-il.

      Madeleine repoussa le verre et pensa tout haut pour la seconde fois:

      —Je ne voudrais pas lui faire du mal, c'est bien sûr. J'ai dit qu'il ne recevait personne, mais ce n'est pas le mot tout à fait. Il vient quelqu'un le voir.

      —Qui ça?

      —Un jeune homme.

      —Souvent?

      —Tous les jours.

      —À quelle heure?

      —Dès le matin.

      —Il reste longtemps?

      —Jusqu'au soir.

      —Que font-ils, tous les deux?

      —L'un dicte, l'autre écrit.

      —C'est le jeune homme qui écrit?

      —Et c'est M. Joseph qui dicte.

      —Comment s'appelle-t-il, le jeune homme?

      —M. Nicolas.

      —Nicolas tout court aussi?

      —Aussi, oui, Nicolas tout court.

      —Tiens! tiens! fit Marais: c'est drôle... M. Joseph! M. Nicolas! M. Joseph qui a l'air d'un prince et qui loge aux Trois-Marchands!...

      —Eh bien! eh bien! s'écria Madeleine. La maison n'est-elle pas tenue sur un assez bon pied pour cela!

      Il y avait une pointe d'aigreur là-dedans. M. Marais s'empressa de s'excuser, disant:

      —Si fait, peste! si fait!... Mais le Nicolas, de quoi a-t-il l'air?

      —Ah! c'est différent, répondit Madeleine, celui-là a l'air d'un roi.

       Table des matières

       Table des matières

      M. Marais était un petit homme de 40 ans, frais, propre, grassouillet: un joli inspecteur, bien peigné, bien couvert et que vous auriez presque pris pour un financier, tant il avait d'agréables manières. Aussi Mme la marquise de Pompadour avait-elle la bonté de l'admettre assez fréquemment à son petit lever, chacun savait cela, pour renouveler sa provision d'anecdotes.

      Les journaux «bien informés» n'existaient pas encore, puisque c'est à peine si Beaumarchais, leur père, commençait, tout au fond de ses tracasseries, la première esquisse de son arlequin-perruquier, maraud joyeux, mais sinistre, mêlant un peu de bien avec beaucoup de mal, beaucoup d'esprit avec énormément de corruption, faisant mousser du même coup de blaireau, son courage, sa lâcheté, ses convoitises, son bon cœur, ses cruautés, son orgueil et sa bassesse, qui devait ravaler si étrangement le niveau de nos mœurs, assassiner la vie privée et crotter jusqu'à l'échine la robe nuptiale de la classe moyenne en France.

      Les journaux bien informés n'existant pas, ce pauvre beau roi Louis XV, qui en eût été le plus fidèle abonné, se fournissait où il pouvait: chez la marquise et chez M. de Sartines, qui se fournissaient tous les deux chez Marais.

      Marais, en définitive, était donc un luron de qualité. Il jouissait de la considération sui generis dévolue à ceux qui regardent dans les maisons par les trous de serrure. Les curieux d'un côté, de l'autre les poltrons de scandale se cotisaient pour lui faire une aisance. Il portait des bagues aux doigts, et prenait du tabac d'Espagne dans une boîte d'or.

      Avec cela, pas méchant. Il avait bien tué, çà et là, quelques familles, mais c'était pour gagner sa vie.

      La veuve du sergent Homayras ne s'était pas approchée impunément d'un si attrayant personnage, et, quoique rien dans la conduite de M. Marais n'eût dépassé jamais les bornes de la cordialité permise entre gens de bonne humeur, elle nourrissait le secret espoir de s'élever, un jour venant, jusqu'à la dignité d'observatrice.

      —D'un roi, répéta-t-elle, oui, M. Marais, je ne m'en dédis pas, il a l'air d'un roi, et, soit dit sans perdre le respect, le nôtre, de roi, donnerait gros, puisque notre argent


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