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Le Journal d'une Femme de Chambre. Octave MirbeauЧитать онлайн книгу.

Le Journal d'une Femme de Chambre - Octave  Mirbeau


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femme de chambre du Prieuré...

      L'épicière m'observe avec attention et je remarque que son regard s'attache à ma taille, à mon ventre, avec une obstination gênante... Elle dit d'une voix blanche:

      —Mademoiselle est chez elle, ici... Mademoiselle est une belle fille... Mademoiselle est parisienne, sans doute?...

      —En effet, madame Gouin, j'arrive de Paris...

      —Ça se voit... ça se voit, tout de suite... il n'y a pas besoin de vous regarder à deux fois... J'aime beaucoup les Parisiennes... elles savent ce que c'est que de vivre... Moi aussi j'ai servi à Paris, quand j'étais jeune... j'ai servi chez une sage-femme de la rue Guénégaud, Mme Tripier... Vous la connaissez peut-être?...

      —Non...

      —Ça ne fait rien... Ah! dame, il y a longtemps... Mais entrez donc, mademoiselle Célestine...

      Elle nous fait passer, cérémonieusement, dans l'arrière-boutique où se trouvent déjà réunies, autour d'une table ronde, quatre domestiques...

      —Ah! vous en aurez du tintouin, ma pauvre demoiselle... gémit l'épicière en m'offrant un siège... Ce n'est pas parce que l'on ne me prend plus rien, au château... mais je puis bien dire que c'est une maison infernale... infernale... N'est-ce pas, Mesdemoiselles?...

      —Pour sûr!... répondent, unanimement, avec des gestes pareils et de pareilles grimaces, les quatre domestiques interpellées...

      Mme Gouin poursuit:

      —Merci!... je ne voudrais pas fournir des gens qui marchandent tout le temps et crient, comme des putois, qu'on les vole, qu'on leur fait du tort... Ils peuvent bien aller où ils veulent...

      Le choeur des domestiques reprend:

      —Bien sûr qu'ils peuvent aller où ils veulent.

      A quoi Mme Gouin, s'adressant plus particulièrement à Rose, ajoute d'un ton ferme:

      —On ne court pas après, dites, mam'zelle Rose?... Dieu merci, on n'a pas besoin d'eux, n'est-ce pas?

      Rose se contente de hausser les épaules et de mettre dans ce geste tout ce qu'il y a en elle de fiel concentré, de rancunes et de mépris... Et l'énorme chapeau mousquetaire, par le mouvement désordonné des plumes noires, accentue l'énergie de ces sentiments violents.

      Puis, après un silence:

      —Tenez!... Parlons point de ces gens-là... Chaque fois que j'en parle, j'ai mal au ventre...

      Une petite noiraude, maigre, avec un museau de rat, un front fleuri de boutons et des yeux qui suintent, s'écrie au milieu des rires:

      —Pour sûr, qu'on les a quelque part...

      Là-dessus, les histoires, les potins recommencent... C'est un flot ininterrompu d'ordures vomies par ces tristes bouches, comme d'un égout... Il semble que l'arrière-boutique en est empestée... Je ressens une impression d'autant plus pénible que la pièce où nous sommes est sombre et que les figures y prennent des déformations fantastiques... Elle n'est éclairée, cette pièce, que par une étroite fenêtre qui s'ouvre sur une cour crasseuse, humide, une sorte de puits formé par des murs que ronge la lèpre des mousses... Une odeur de saumure, de légumes fermentés, de harengs saurs, persiste autour de nous, imprègne nos vêtements... C'est intolérable... Alors, chacune de ces créatures, tassées sur leur chaise comme des paquets de linge sale, s'acharne à raconter une vilenie, un scandale, un crime... Lâchement, j'essaie de sourire avec elles, d'applaudir avec elles, mais j'éprouve quelque chose d'insurmontable, quelque chose comme un affreux dégoût... Une nausée me retourne le coeur, me monte à la gorge impérieusement, m'affadit la bouche, me serre les tempes... Je voudrais m'en aller... Je ne le puis, et je reste là, idiote, tassée comme elles sur ma chaise, ayant les mêmes gestes qu'elles, je reste là à écouter stupidement ces voix aigres qui me font l'effet d'eaux de vaisselle; glougoutant et s'égouttant par les éviers et par les plombs...

      Je sais bien qu'il faut se défendre contre ses maîtres... et je ne suis pas la dernière à le faire, je vous assure... Mais non... là... tout de même, cela passe l'imagination... Ces femmes me sont odieuses; je les déteste, et je me dis tout bas que je n'ai rien de commun avec elles... L'éducation, le frottement avec les gens chics, l'habitude des belles choses, la lecture des romans de Paul Bourget m'ont sauvée de ces turpitudes... Ah! les jolies et amusantes rosseries des offices parisiens, elles sont loin!...

      C'est Rose qui décidément obtient le plus grand succès... Elle raconte avec des yeux papillotants et des lèvres mouillées de plaisir:

      —Tout cela n'est rien auprès de Mme Rodeau... la femme du notaire... Ah! il s'en passe des choses chez elle...

      —Je m'en doutais... dit l'une.

      Une autre énonce, en même temps:

      —Elle a beau être dans les curés... je l'ai toujours pensé que c'est une rude cochonne...

      Tous les regards sont émérillonnés, tous les cous tendus vers Rose, qui commence son récit:

      —Avant hier, M. Rodeau était parti, soi-disant à la campagne, pour toute la journée...

      Afin de m'édifier sur le compte de M. Rodeau, elle ouvre, en mon honneur, cette parenthèse:

      —Un homme louche... un notaire guères catholique, que ce M. Rodeau... Ah! il y en a des mic-macs dans son étude... à preuve que j'ai fait retirer par le capitaine des fonds qu'il y avait déposés... Oui, dame!... Mais ce n'est pas de M. Rodeau qu'il s'agit pour l'instant...

      La parenthèse fermée, elle redonne à son récit un tour plus général:

      —M. Rodeau était donc à la campagne... Qu'est-ce qu'il va faire si souvent à la campagne?... Ça, par exemple... on ne le sait pas... Il était donc parti à la campagne... Mme Rodeau fait aussitôt monter le petit clerc... le petit gars Justin... dans sa chambre... sous prétexte de la balayer... Un drôle de balayage, mes enfants!... Elle était quasiment toute nue, avec des yeux drôles, comme une chienne en chasse. Elle le fait venir près d'elle... l'embrasse... le caresse... et, disant qu'elle va lui chercher ses puces, voilà qu'elle le déshabille... Et alors, savez-vous ce qu'elle a fait?... Eh bien, tout à coup, elle s'est jetée dessus, cette goule-là, et elle l'a pris de force... de force, oui, Mesdemoiselles... Et si vous saviez de quelle manière elle l'a pris?...

      —Comment qu'elle l'a pris?... interroge vivement la petite noiraude, dont le museau de rat s'allonge et remue...

      Toutes sont anxieuses... Mais, devenant sévère, pudique, Rose déclare:

      —Ça ne peut pas se dire à des demoiselles!...

      Des «ah!» de désappointement suivent cette réponse. Rose continue, tour à tour indignée et émue:

      —Un enfant de quinze ans... si c'est possible!... Et joli... joli comme un amour... et innocent, le pauvre petit martyr!... Ne pas respecter l'enfance... faut-il en avoir du vice dans le sang!... Paraît qu'en rentrant chez lui... il tremblait... tremblait... pleurait... pleurait... le chérubin... que c'était à vous fendre l'âme... Qu'est-ce que vous dites de ça?...

      C'est une explosion d'indignations, une avalanche de mots orduriers... Rose attend que le calme soit revenu... Elle poursuit:

      —La mère est venue me conter la chose... Moi, je lui ai conseillé, vous pensez bien, d'actionner le notaire et sa femme.

      —Pour sûr... ah! pour sûr...

      —Eh bien, la Justine hésite... parce que et parce qu'est-ce... Finalement, elle ne veut pas... J'ai idée que M. le curé, qui dîne toutes les semaines chez les Rodeau, est intervenu... Enfin, elle a peur... quoi!... Ah! si c'était moi... Certes, j'ai de la religion... mais il n'y a pas de curé qui tienne... Je leur en ferais cracher de l'argent... des cents et des mille... et des dix mille francs...

      —Pour sûr... ah! pour sûr...

      —Manquer


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