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Le legs de Caïn. Леопольд фон Захер-МазохЧитать онлайн книгу.

Le legs de Caïn - Леопольд фон Захер-Мазох


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s'inclina respectueusement et prit place en face d'elle, ce qui lui fit tourner le dos au vieux Bromirski, puis, répondant à la première question de Warwara, tendit vers elle une belle main très-soignée:

      —Voyez mes chaînes.

      —Oh! ces chaînes-là sont faciles à rompre, dit en riant la jeune fille, surtout chez nous, où les plus fidèles vivent séparés de leur seconde femme...

      Elle retira cependant de son doigt l'anneau nuptial avec un soupir à demi moqueur, le fit glisser sur le sien, puis le rendit lentement au jeune homme, qui rougit de nouveau. Ils causèrent comme causent des gens qui ne se connaissent pas. Peu leur importaient les paroles sorties de leurs lèvres; la musique de leurs voix confondues suffisait à les enivrer. L'étranger s'amusait à faire danser la flamme bleue du punch; Warwara broyait dans sa main des sucreries dont elle répandait les miettes sur la nappe; bientôt elle s'aperçut qu'il ramassait ces miettes pour les porter à ses lèvres, et une secrète joie l'envahit, car elle avait compris qu'elle produisait sur lui quelque impression. Interrompant ce jeu, elle passa tout à coup à un autre, qui consistait à pétrir des boulettes de mie de pain et à les lancer dans toutes les directions. Elle toucha le front du juif, qui secoua ses boucles noires en regardant autour de lui d'un air étonné; elle tira sur le chien qui dormait sous le buffet; elle fit sonner les vitres et inquiéta une multitude de mouches collées sur le chandelier comme des grains de raisin sec.

      —Pourquoi ne me prenez-vous pas pour cible? demanda en riant l'étranger.

      Elle ne se le fit pas dire deux fois; mais lui, se dérobant à la grêle qui l'atteignait, vint saisir ses deux mains agressives. Warwara parut offensée.

      —Si j'ai manqué au respect que je vous dois, dit-il en reculant d'un pas, punissez votre esclave.

      Elle éclata de rire et le frappa au visage d'une de ses tresses qui s'était détachée.

      —Les magnifiques cheveux! s'écria le jeune homme.

      —Vous ne devez pas faire de ces remarques-là, monsieur... un homme marié...!

      —J'ai cependant le droit de baiser la verge, dit-il.

      Et avant qu'elle eût compris, il avait pressé la tresse blonde contre ses lèvres.

      Rien n'irrite davantage un homme que de passer inaperçu aux yeux d'une femme qui en même temps reçoit et encourage les hommages d'un autre. Si Warwara avait eu l'intention d'ensorceler le baron, elle n'eût pu s'y prendre mieux.

      Bromirski souffla quelques bouffées formidables de sa pipe turque, se leva, se promena de long en large, s'approchant de plus en plus de la table où les deux jeunes gens étaient assis, puis s'éloignant avec effroi. Enfin il se sentit assez maître de lui pour dire à Warwara:

      —Mademoiselle, vous semblez ne plus me reconnaître.

      —Vraiment, monsieur, répondit-elle avec un calme écrasant, je ne sais à qui j'ai l'honneur...

      —Rappelez vos souvenirs, un vieil ami de votre pauvre père...

      —Vous vous servez d'une bien mauvaise recommandation, interrompit Warwara; tous nos amis ne valent pas cela!—et elle fit claquer ses doigts;—nous avons pu les apprécier dans le malheur.

      —Je ne mérite pas d'être confondu avec les autres, puisque j'étais à l'étranger...

      —Oui, oui, je vous reconnais maintenant, dit Warwara.

      Et elle eut la malice de présenter les deux hommes l'un à l'autre.

      —Monsieur?...

      —Maryan Janowski, dit le plus jeune.

      —Monsieur Maryan Janowski, je vous recommande M. Baruch-Pintschew, qui vendait à feu mon père du sucre et du café au plus juste prix.

      —Quelle folie! bégaya le baron, devenu tout pâle; je suis le baron Bromirski, Lucien Bromirski.

      —Mon Dieu! qu'ai-je dit? s'écria mademoiselle Gondola; je me suis trompée... mais c'est votre faute, baron...

      Maryan Janowski s'en alla vaquer, comme il l'avait dit, à l'arrangement de la chambre de sa nouvelle amie, et Warwara profita de son absence pour interroger le juif sur lui. Elle ne se gênait nullement devant Bromirski, de plus en plus irrité. Elle apprit donc par le juif—qu'est-ce que les juifs ne savent pas?—que Maryan Janowski était le fils d'un propriétaire du cercle de Przemysl, que son père ne lui avait laissé que beaucoup de dettes, que son village venait d'être vendu par autorité de justice et qu'il s'en allait à Lemberg chercher un emploi.—«Quel malheur!» pensait cette fille pratique, tandis que le baron s'efforçait d'engager la conversation.

      Maryan lui plaisait plus qu'aucun homme qu'elle eût encore rencontré; elle se sentait le pouvoir de le rendre amoureux quand bon lui semblerait; mais qu'en adviendrait-il? Un homme marié! Elle serait donc sa maîtresse; la maîtresse d'un gueux?... fi donc! L'obstacle était là. Une fois mariée elle-même, elle n'aurait certes pas d'autre galant; mais où trouver le mari? Son regard tomba sur Bromirski, et ce regard décida du sort du vieux roué. Une pensée en fait naître une autre. La fantaisie de Warwara se transformait en projet, projet romanesque peut-être, mais sans mélange d'imprudence, et le projet devait être exécuté sur-le-champ; il n'y avait pas de temps à perdre.

      Maryan vint avertir Warwara que tout était prêt chez elle; en effet, il avait ajouté aux matelas les coussins de sa voiture et jeté sur le plancher son propre manteau en guise de tapis.—Le baron offrit son bras à mademoiselle Gondola, mais elle refusa froidement, en alléguant que Maryan Janowski avait été le premier à se mettre à ses ordres, ce qui n'empêcha pas Bromirski de monter l'escalier derrière elle en sautillant. Il fallut pour le forcer à se retirer que Warwara lui fermât la porte au nez d'un mouvement si brusque qu'il porta instinctivement la main à cette partie de son visage. S'étant assuré qu'elle était saine et sauve, Bromirski soupira, se frappa trois fois le front et retourna dans la salle pour charger de nouveau sa pipe. Warwara regardait autour d'elle.

      —Êtes-vous contente? demanda Maryan.

      —Vous vous êtes privé de tout pour me donner le superflu, dit-elle avec vivacité; laissez-moi voir s'il vous reste le nécessaire.

      Elle saisit la lumière et se fit montrer la chambre du jeune homme, située plus loin dans le même corridor, mais donnant sur la route.

      —Qu'est-ce que je disais? vous n'avez plus d'oreiller!

      —Une bonne conscience suffit, mademoiselle.

      —Plus de couvertures!

      —Je m'envelopperai dans mes espérances.

      —Qu'espérez vous donc?

      —Une place pour ne pas mourir de faim.

      —Oui, dans l'avenir, mais tout de suite?

      Maryan baissa les yeux en souriant.

      —Que voulez-vous? un pauvre diable de ma sorte doit se contenter du pain quotidien.

      —Vous m'avez paru cependant à table aimer assez les sucreries?

      —Elles ne sont pas faites pour moi; il y a tant de choses plus douces auxquelles je ne puis aspirer!

      —C'est que vous manquez de courage.

      —Le courage risque parfois de ressembler à de l'insolence.

      —Votre langage est celui d'un homme d'honneur, mais si je vous disais...

      Elle avait éteint la lumière, et Maryan sentit deux lèvres brûlantes contre les siennes, dans ses bras un corps frémissant.

      Warwara sortit de la chambre de Maryan, en marchant avec précaution sur la pointe des pieds.

      Arrivée devant sa propre chambre, elle respira, déposa sur le seuil la chandelle éteinte qu'elle tenait et descendit dans la cour pour demander des allumettes au juif. Comme


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