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Le legs de Caïn. Леопольд фон Захер-МазохЧитать онлайн книгу.

Le legs de Caïn - Леопольд фон Захер-Мазох


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entre les romans français et anglais à laquelle Maryan ne s'attendait guère; il s'y jeta cependant à corps perdu pour sortir d'embarras. Tous deux parlaient avec tant de feu qu'ils ne remarquèrent pas ce qui se passait au ciel. De grosses gouttes de pluie les avertirent de gagner le village. Warwara cherchait en vain à s'abriter sous son ombrelle; une forte grêle se mêlait à des torrents d'eau.

      —Nous serons lapidés! criait-elle.

      Maryan l'entraîna, éperdue, jusqu'à la plus proche chaumière qui se cachait sous les pommiers et les buissons de syringa. Il en poussa la porte, et aussitôt une grosse poule mouchetée, effrayée de cette irruption, sauta sur la table avec des gloussements de détresse, puis de la table sur le poêle où elle continua de s'agiter.

      —Les gens de la maison doivent être aux champs, dit la baronne, et moi je suis trempée; si l'on pouvait faire un peu de feu pour se sécher!

      Maryan eut vite trouvé du bois résineux et quelques brins de fagot qui remplirent le poêle de pétillements pareils aux coups de fusils d'une bataille.

      —La paysanne a sûrement des robes, dit-il ensuite, il faut que vous changiez de vêtements sous peine de prendre la fièvre.

      Ouvrant une armoire, il en tira quelques hardes. Warwara, assise sur une caisse peinte, s'efforçait en vain d'ôter ses bottines; le cuir était gonflé par l'humidité.

      —Permettez-moi de vous aider, murmura Maryan.—Et, pliant le genou, il défit les bottines, tira les bas, puis enveloppa les pieds nus, d'une beauté marmoréenne, dans les mouchoirs de la paysanne. Il n'y avait point de bas, bien entendu, mais les lourdes bottes du dimanche pouvaient servir, faute de mieux. Après s'être acquitté avec une réserve imperturbable de son office de femme de chambre, Maryan sortit, laissant la baronne se déshabiller. Elle apparut bientôt sur le seuil vêtue d'un jupon bleu très-court, d'une chemise chamarrée de broderies en laine rouge et d'un corset de drap noir comme une belle de village de la Petite Russie. Les femmes pensent à la parure dans toutes les situations, elle avait donc entouré son cou de grains de corail et noué autour de sa tête un mouchoir jaune qui, cachant le front à demi, grandissait encore ses yeux.

      —Est-ce que je vous plais ainsi? demanda-t-elle à Maryan.

      Perdu dans une muette admiration, il oublia de répondre.

      —Mais vous aussi, ajouta-t-elle, vous tremblez de froid. Allez changer d'habits. Ne m'entendez-vous pas?

      —J'écoute.

      —Cela ne suffit pas; il faut obéir.

      —Comme vous voudrez.

      Après s'être déguisé en paysan gallicien Maryan fouilla toute la chaumière.

      —Il n'y a de thé nulle part, dit-il enfin. Je ne trouve que de l'eau-de-vie.

      —Donnez-m'en donc un peu, ordonna la baronne. Maryan versa de l'eau-de-vie: elle y trempa ses lèvres, puis lui rendit le verre, qu'il vida d'un trait.

      Tous deux tendirent une corde devant le poêle pour y sécher leurs habits.

      La tempête avait cessé; il ne pleuvait plus. Les gouttes d'eau qui tremblaient sur les feuilles ressemblaient à des diamants; la lumière dorée du soleil ruisselait de nouveau sur toute la campagne, au-dessus de laquelle s'arrondissait l'arc-en-ciel.

      —Nous pouvons partir, dit Maryan.

      —Affublés comme nous le sommes?...

      Un sourire effleura ses lèvres, tandis qu'il regardait, pensif, le sol à ses pieds.

      —A quoi pensez-vous?

      —Qu'il vaudrait mieux pour moi que vous fussiez toujours vêtue ainsi.

      —Et pourquoi?

      —Parce que je pourrais dire à une paysanne bien des choses que je dois cacher à la baronne.

      —Qu'est-ce que ce devoir-là? qui vous l'impose? s'écria Warwara avec un regard étincelant de colère charmante. Je ne vous ai pas condamné à rester muet; c'est vous qui me gardez rancune. Vous dites des absurdités... Si j'étais paysanne, vous ne m'aimeriez pas. Allons-nous-en.

      Elle sortit de la chaumière d'un pas dégagé. Maryan suivait à quelque distance; brusquement elle s'arrêta et l'attendit:

      —Mais parlez donc, dit-elle, je vous le permets, ou plutôt je le veux. Avez-vous tout oublié? Vous paraissiez m'aimer autrefois; comment vous suis-je devenue indifférente?

      —Si je l'expliquais, vous me comprendriez mal peut-être. Je ne veux pas avant toutes choses que vous me méprisiez.

      —Décidément, vous êtes fou! Je n'aurais jamais cru les hommes si romanesques. Où avez-vous pris tout cela? Dans Werther?

      Tout en faisant une moue de dédain, elle approchait ses lèvres du visage de Maryan qui sentit la fraîcheur de son haleine et recula.

      Là-dessus, elle le toisa fièrement de bas en haut et secoua la tête comme pour dire:

      —Attends! tu me demanderas à genoux ce que tu feins de dédaigner aujourd'hui.

      Cette femme, malgré toute sa perspicacité, n'entendait rien aux scrupules de la conscience.

      —Il m'aime pourtant, disait-elle rêveuse, il me désire et il me fuit!..

      Bromirski avait laissé une assez belle bibliothèque à laquelle Maryan empruntait parfois des livres. Un jour Warwara, feuilletant certain volume de Mickiewicz qu'il venait de rapporter, vit une marque autour de quatre vers qui peuvent se traduire ainsi:

      «Mon âme, le souvenir habite en toi, comme un vautour.—Il dort pendant la tempête du sort et tu es sauve.—Mais le repos et la confiance te sont-ils rendus,—Aussitôt, tu saignes sous des serres impitoyables.»

      —Pourquoi, demanda Warwara, pourquoi donc avoir marqué ce passage?

      Maryan s'en défendit.

      —C'est inutile de nier, s'écria-t-elle, vous l'avez marqué, vous dis-je! De quel souvenir êtes-vous tourmenté? Qu'avez-vous perdu? A quoi bon saigner et vous débattre?

      —Il est donné au poëte, répondit Maryan d'une manière évasive, de rendre dans la langue des anges la souffrance muette de l'homme...

      —Continuerez-vous à parler par énigmes? interrompit Warwara avec emportement. Prétendez-vous, monsieur, vous jouer de moi? Assez de phrases sentimentales! Si je vous plais comme autrefois... alors... ces vers sont superflus, je ne vous ai pas repoussé! Si vous ne tenez plus à moi, que signifient ces soupirs, ces allusions, ces aveux à demi étouffés qui agacent mes nerfs et qui commencent, entendez-vous... à m'ennuyer?

      Maryan éclata enfin:

      —Faut-il vous dire que je vous aime?

      —Vous ne pouvez pourtant vous attendre raisonnablement à ce que je le dise la première?

      —Où nous conduirait ma folie? Vous êtes libre, mais moi...

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