Le Cabinet des Fées. AnonymeЧитать онлайн книгу.
--Eh bien, madame, dit-il, puisqu'il faut vous déclarer ma pensée, je vais vous obéir: je me ferais un crime de mettre en danger deux êtres qui me sont si chers. Oui, ma mère, je désire que Peau d'Ane me fasse un gâteau, et que, dès qu'il sera fait, on me l'apporte.
La reine, étonnée de ce nom bizarre, demanda qui était cette Peau d'Ane.
--C'est, madame, reprit un de ses officiers qui avait par hasard vu cette fille, c'est la plus vilaine bête après le loup: une noire peau, une crasseuse qui loge dans votre métairie, et qui garde vos dindons.
--N'importe, dit la reine; mon fils, au retour de la chasse, a peut-être mangé de sa pâtisserie; c'est une fantaisie de malade; en un mot, je veux que Peau d'Ane lui fasse promptement un gâteau.
On courut à la métairie, et l'on fit venir Peau d'Ane pour lui ordonner de faire de son mieux un gâteau pour le prince.
Quelques auteurs ont assuré qu'au moment que le prince avait mis l'oeil à la serrure les yeux de Peau d'Ane l'avaient aperçu; et puis que, regardant par sa petite fenêtre, elle avait vu ce prince si jeune, si beau et si bien fait, que l'idée lui en était restée, et que souvent ce souvenir lui avait coûté quelques soupirs.
Quoi qu'il en soit, Peau d'Ane, l'ayant vu ou en ayant beaucoup entendu parler avec éloge, ravie de pouvoir trouver un moyen d'être connue, s'enferma dans sa chambrette, jeta sa vilaine peau, se décrassa le visage et les mains, se coiffa de ses blonds cheveux, mit un beau corset d'argent brillant, un jupon pareil, et se mit à faire le gâteau tant désiré: elle prit de la plus pure farine, des oeufs et du beurre bien frais. En travaillant, soit de dessein ou autrement, une bague qu'elle avait au doigt tomba dans la pâte, s'y mêla; et dès que le gâteau fut cuit, s'affublant de son horrible peau, elle donna le gâteau à l'officier, à qui elle demanda des nouvelles du prince: mais cet homme, ne daignant pas lui répondre, courut chez le prince lui porter ce gâteau.
Le prince le prit avidement des mains de cet homme, et le mangea avec une telle vivacité, que les médecins qui étaient présents ne manquèrent pas de dire que cette fureur n'était pas un si bon signe. Effectivement, le prince pensa s'étrangler par la bague qu'il trouva dans un des morceaux du gâteau; mais il la retira adroitement de sa bouche, et son ardeur à dévorer ce gâteau se ralentit en examinant cette fine émeraude montée sur un jonc d'or, dont le cercle était si étroit, qu'il jugea ne pouvoir servir qu'au plus joli doigt du monde.
Il baisa mille fois cette bague, la mit sous son chevet, et l'en tirait à tout moment quand il croyait n'être vu de personne. Le tourment qu'il se donna pour imaginer comment il pourrait voir celle à qui cette bague pouvait aller, et n'osant croire, s'il demandait Peau d'Ane qui avait fait ce gâteau qu'il avait demandé, qu'on lui accordât de la faire venir; n'osant non plus dire ce qu'il avait vu par le trou de cette serrure, de crainte qu'on ne se moquât de lui et qu'on ne le prît pour un visionnaire; toutes ces idées le tourmentant à la fois, la fièvre le reprit fortement; et les médecins, ne sachant plus que faire, déclarèrent à la reine que le prince était malade d'amour. La reine accourut chez son fils, avec le roi qui se désolait:
--Mon fils, mon cher fils, s'écria le monarque affligé, nomme-nous celle que tu veux: nous jurons que nous te la donnerons, fût-elle la plus vile des esclaves.
La reine, en l'embrassant, lui confirma le serment du roi. Le prince, attendri par les larmes et les caresses des auteurs de ses jours:
--Mon père et ma mère, leur dit-il, je n'ai point dessein de faire une alliance qui vous déplaise; et pour preuve de cette vérité, dit-il en tirant l'émeraude de dessous son chevet, c'est que j'épouserai celle à qui cette bague ira, telle qu'elle soit; et il n'y a pas apparence que celle qui aura ce joli doigt soit une rustaude ou une paysanne.
Le roi et la reine prirent la bague, l'examinèrent curieusement, et jugèrent, ainsi que le prince, que cette bague ne pouvait aller qu'à quelque fille de bonne maison. Alors le roi, ayant embrassé son fils, en le conjurant de guérir, sortit, fit sonner les tambours, les fifres et les trompettes par toute la ville, et crier par ses hérauts que l'on n'avait qu'à venir au palais essayer une bague, et que celle à qui elle irait juste épouserait l'héritier du trône.
Les princesses d'abord arrivèrent, puis les duchesses, les marquises et les baronnes; mais elles eurent beau toutes s'amenuiser les doigts, 12 aucune ne put mettre la bague. Il en fallut venir aux grisettes, qui, toutes jolies qu'elles étaient, avaient toutes les doigts trop gros. Le prince, qui se portait mieux, faisait lui-même l'essai. Enfin, on en vint aux filles de chambre: elles ne réussirent pas mieux. Il n'y avait plus personne qui n'eût essayé cette bague sans succès, lorsque le prince demanda les cuisinières, les marmitonnes, les gardeuses de moutons: on amena tout cela; mais leurs gros doigts rouges et courts ne purent seulement aller par delà l'ongle.
--A-t-on fait venir cette Peau d'Ane qui m'a fait un gâteau ces jours derniers? dit le prince.
Chacun se prit à rire, et lui dit que non, tant elle était sale et crasseuse.
--Qu'on l'aille chercher tout à l'heure, dit le roi; il ne sera pas dit que j'ai excepté quelqu'un.
On courut, en riant et se moquant, chercher la dindonnière.
L'infante, qui avait entendu les tambours et le cri des hérauts d'armes, s'était bien doutée que sa bague faisait ce tintamarre: elle aimait le prince; et comme le véritable amour est craintif et n'a point de vanité, elle était dans la crainte continuelle que quelque dame n'eût le doigt aussi menu que le sien. Elle eut donc une grande joie quand on vint la chercher et qu'on heurta à sa porte. Depuis qu'elle avait su qu'on cherchait un doigt propre à mettre sa bague, je ne sais quel espoir l'avait portée à se coiffer plus soigneusement, et à mettre son beau corps d'argent, avec le jupon plein de falbalas, de dentelles d'argent, semé d'émeraudes. Sitôt qu'elle entendit qu'on heurtait à la porte et qu'on l'appelait pour aller chez le prince, elle remit promptement sa peau d'âne, ouvrit sa porte; et ces gens, en se moquant d'elle, lui dirent que le roi la demandait pour lui faire épouser son fils; puis, avec de longs éclats de rire, ils la menèrent chez le prince, qui, lui-même étonné de l'accoutrement de cette fille, n'osa croire que ce fût celle qu'il avait vue si pompeuse et si belle. Triste et confus de s'être si lourdement trompé:
--Est-ce vous, lui dit-il, qui logez au fond de cette allée obscure, dans la troisième basse-cour de la métairie?
--Oui, seigneur, répondit-elle.
--Montrez-moi votre main, dit-il en tremblant et poussant un profond soupir.
Dame! qui fut bien surpris? Ce furent le roi et la reine, ainsi que tous les chambellans et les grands de la cour, lorsque de dessous cette peau noire et crasseuse sortit une petite main délicate, blanche et couleur de rose, où la bague s'ajusta sans peine au plus joli petit doigt du monde; et, par un petit mouvement que l'infante se donna, la peau tomba: elle parut d'une beauté si ravissante, que le prince, tout faible qu'il était, se mit à ses genoux et les serra avec une ardeur qui la fit rougir; mais on ne s'en aperçut presque pas, parce que le roi et la reine vinrent l'embrasser de toute leur force, et lui demander si elle voulait bien épouser leur fils.
La princesse, confuse de tant de caresses et de l'amour que lui marquait ce beau jeune prince, allait cependant les en remercier, lorsque le plafond du salon s'ouvrit, et que la fée des Lilas, descendant dans un char fait de branches et de fleurs de son nom, conta, avec une grâce infinie, l'histoire de l'infante. Le roi et la reine, charmés de voir que Peau d'Ane était une grande princesse, redoublèrent leurs caresses; mais le prince fut encore plus sensible à la vertu de la princesse; et son amour s'accrut par cette connaissance.
L'impatience du prince pour épouser la princesse fut telle, qu'à peine donna-t-il le temps 13 de faire les préparatifs convenables pour cet auguste hyménée. Le roi et la reine, qui étaient affolés 14