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De l'influence des passions sur le bonheur des individus et des nations. Madame de StaëlЧитать онлайн книгу.

De l'influence des passions sur le bonheur des individus et des nations - Madame de Staël


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enivrante que de remplir l'univers de son nom, d'exister tellement au delà de soi, qu'il soit possible de se faire illusion et sur l'espace et sur la durée de la vie, et de se croire quelques-uns des attributs métaphysiques de l'infini. L'âme se remplit d'un orgueilleux plaisir par le sentiment habituel que toutes les pensées d'un grand nombre d'hommes sont dirigées sur vous; que vous existez en présence de leur espoir; que chaque méditation de votre esprit peut influer sur beaucoup de destinées; que de grands événements se développent au dedans de vous, et commandent, au nom du peuple, qui compte sur vos lumières, la plus vive attention à vos propres pensées. Les acclamations de la foule remuent l'âme, et par les réflexions qu'elles font naître, et par les commotions qu'elles excitent: toutes ces formes animées, enfin, sous lesquelles la gloire se présente, doivent transporter la jeunesse d'espérance et l'enflammer d'émulation. Les routes qui conduisent à un si grand but sont remplies de charmes; les occupations que commande l'ardeur d'y parvenir sont elles-mêmes une jouissance; et, dans la carrière des succès, ce qu'il y a souvent de plus heureux, c'est la suite d'intérêts qui les précèdent et s'emparent activement de la vie. La gloire des écrits et celle des actions sont soumises à des combinaisons différentes; la première, empruntant quelque chose des plaisirs solitaires, peut participer à leurs bienfaits; mais ce n'est pas elle qui rend sensibles tous les signes de cette grande passion; ce n'est pas ce génie dominateur qui dans un instant sème, recueille et se couronne; dont l'éloquence entraînante, ou le courage vainqueur décident instantanément du sort des siècles et des empires; ce n'est pas cette émotion toute-puissante dans ses effets, qui commande en inspirant une volonté pareille, et saisit dans le présent toutes les jouissances de l'avenir. Le génie des actions est dispensé d'attendre la tardive justice que le temps traîne à sa suite; il fait marcher sa gloire en avant comme la colonne enflammée qui jadis éclairait la marche des Israélites. La célébrité qu'on peut acquérir par les écrits est rarement contemporaine; mais alors même qu'on obtient cet heureux avantage, comme il n'y a rien d'instantané dans ses effets, d'ardent dans son éclat, une telle carrière ne peut, comme la gloire active, donner le sentiment complet de sa force physique et morale, assurer l'exercice de toutes ses facultés, enivrer enfin par la certitude de la puissance de son être. C'est donc au plus haut point de bonheur que l'amour de la gloire puisse donner, qu'il faut s'attacher pour en mieux juger les obstacles et les malheurs.

      La première des difficultés, dans tous les gouvernements où les distinctions héréditaires sont établies, c'est la réunion des circonstances qui donnent de l'éclat à la vie; les efforts que l'on fait pour sortir d'une situation obscure, pour jouer un rôle sans y être appelé, déplaisent à la plupart des hommes. Ceux que leur destinée approche des premières places, croient voir une preuve de mépris pour eux dans l'espérance que l'on conçoit de franchir l'espace qui en sépare, et de se mettre, par ses talents, au niveau de leur destinée. Les individus de la même classe que soi, qui se sont résignés à n'en pas sortir, attribuant bien plutôt cette résolution à leur sagesse qu'à leur médiocrité, appellent folie une conduite différente, et sans juger la diversité des talents, se croient faits pour les mêmes circonstances. Dans les monarchies aristocratiquement constituées, la multitude se plaît quelquefois, par un esprit dominateur, à relever celui que le hasard a délaissé; mais ce même esprit ne lui permet pas d'abandonner ses droits sur l'existence qu'elle a créée; le peuple regarde cette existence comme l'oeuvre de ses mains; et si le sort, la superstition, la magie, une puissance, enfin, indépendante des hommes, n'entre pas dans la destinée de celui qui, dans un état monarchique, doit son élévation à l'opinion du peuple, il ne conservera pas longtemps une gloire que les suffrages seuls créent et récompensent, qui puise à la même source son existence et son éclat; le peuple ne soutiendra pas son ouvrage, et ne se prosternera pas devant une force dont il se sent le principal appui. Ceux qui, sous un tel ordre de choses, sont nés dans la classe privilégiée, ont à quelques égards beaucoup de données utiles; mais d'abord la chance des talents se resserre, et à proportion du nombre, et plus encore par l'espèce de négligence qu'inspirent de certains avantages: mais quand le génie élève celui que les rangs de la monarchie avaient déjà séparé du reste de ses concitoyens, indépendamment des obstacles communs à tous, il en est qui sont personnels à cette situation. Des rivaux en plus petit nombre, des rivaux qui se croient vos égaux à plusieurs égards, se pressent davantage autour de vous, et lorsqu'on veut les écarter, rien n'est plus difficile que de savoir jusqu'à quel point il faut se livrer à la popularité, en jouissant de distinctions impopulaires. Il est presque impossible de connaître toujours avec certitude le degré d'empressement qu'il faut montrer à l'opinion générale: certaine de sa toute-puissance, elle en a la pudeur, et veut du respect sans flatterie; la reconnaissance lui plaît, mais elle se dégoûte de la servitude, et rassasiée de souveraineté, elle aime le caractère indépendant et fier, qui la fait douter un moment de son autorité, pour lui en renouveler la jouissance. Ces difficultés générales redoublent pour le noble, qui dans une monarchie veut obtenir une gloire véritable; s'il dédaigne la popularité, il est haï: un plébéien dans un état démocratique peut obtenir l'admiration en bravant la popularité; mais si un noble adopte une telle conduite dans un état monarchique, au lieu de se donner l'éclat du courage, il ne fera croire qu'à son orgueil; et si cependant, pour éviter ce blâme, il recherche la popularité, il est sans cesse près du soupçon ou du ridicule. Les hommes ne veulent pas qu'on renonce totalement à ses intérêts personnels, et ce qui est, à un certain point, contre leur nature, est déjoué par eux: il n'y a que la vie qu'on puisse sacrifier avec éclat; l'abandon des autres avantages, quoique bien plus rare et plus estimable, est représenté comme une sorte de duperie; et quoique ce soit le plus haut degré du dévouement, dès qu'il est nommé duperie, il n'excite plus l'enthousiasme de ceux même qui sont l'objet du sacrifice. Les nobles donc, placés entre la nation et le monarque, entre leur existence politique et l'intérêt général, obtiennent difficilement de la gloire ailleurs que dans les armées. La plupart de ces considérations ne peuvent s'appliquer aux succès militaires; la guerre ne laisse à l'homme, de sa nature, que ses facultés physiques; pendant que cet état dure, il se soumet à la valeur, à l'audace, au talent qui fait vaincre, comme les corps les plus faibles suivent l'impulsion des plus forts. L'être moral n'est de rien dans la bataille, et voilà pourquoi les soldats ont plus de constance dans leur attachement pour leurs généraux, que les citoyens dans leur reconnaissance pour leurs administrateurs.

      Dans les républiques, si elles sont constituées sur la seule base de l'aristocratie, tous les membres d'une même classe sont un obstacle à la gloire de chacun d'eux; cet esprit de modération qu'avec tant de raison Montesquieu a désigné comme le principe des républiques aristocratiques, cet esprit de modération ne s'accorde pas avec les élans du génie: un grand homme, s'il voulait se montrer tel, précipiterait la marche égale et soutenue de ces gouvernements; et comme l'utilité est le principe de l'admiration, dans un état où les grands talents ne peuvent s'exercer d'une manière avantageuse à tous, ils ne se développent pas, ou sont étouffés, ou sont contenus dans une certaine limite qui ne leur permet pas d'atteindre à la célébrité. On ne sait pas au dehors un nom propre du gouvernement de Venise, du gouvernement sage et paternel de la république de Berne; un même esprit dirige, depuis plusieurs siècles, des individus différents; et si un homme lui donnait son impulsion particulière, il naîtrait des chocs dans une organisation dont l'unité fait tout à la fois le repos et la force.

      Pour les républiques populaires, il faut distinguer deux époques tout à fait différentes, celle qui a précédé l'imprimerie, et celle qui est contemporaine du plus grand développement possible de la liberté de la presse. Celle qui a précédé l'imprimerie devait être favorable à l'ascendant d'un homme sur les autres hommes. Les lumières n'étant point disséminées, celui qui avait reçu des talents supérieurs, une raison forte, avait de grands moyens d'agir sur la multitude; le secret des causes n'était pas connu, l'analyse n'avait pas changé en science positive la magie de tous les effets; enfin, l'on pouvait être étonné, par conséquent entraîné; et des hommes croyaient qu'un d'entre eux était nécessaire à tous. De là les grands dangers que courait la liberté; de là les factions toujours renaissantes; car les guerres d'opinions finissent avec les événements qui les décident, avec les discussions qui les éclairent; mais la puissance des hommes supérieurs se renouvelle avec chaque génération, et


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