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Son Excellence Eugène Rougon. Emile ZolaЧитать онлайн книгу.

Son Excellence Eugène Rougon - Emile Zola


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avons reçu une lettre de votre mère», répéta Mme Charbonnel.

      Et elle allait lire la lettre, lorsqu'il la lui prit pour la parcourir d'un regard. Les Charbonnel, anciens marchands d'huile de Plassans, étaient les protégés de Mme Félicité, comme on nommait dans sa petite ville la mère de Rougon. Elle les lui avait adressés à l'occasion d'une requête qu'ils présentaient au conseil d'État.

      Un de leurs petits-cousins, un sieur Chevassu, avoué à Faverolles, le chef-lieu d'un département voisin, était mort en laissant une fortune de cinq cent mille francs aux sœurs de la Sainte-Famille. Les Charbonnel, qui n'avaient jamais compté sur l'héritage, devenus brusquement héritiers par la mort d'un frère du défunt, crièrent alors à la captation; et comme la communauté demandait au conseil d'État d'être autorisée à accepter le legs, ils quittèrent leur vieille demeure de Plassans, ils accoururent à Paris se loger rue Jacob, hôtel du Périgord, pour suivre leur affaire de près. Et l'affaire traînait depuis six mois.

      «Nous sommes bien tristes, soupirait Mme Charbonnel, pendant que Rougon lisait la lettre. Moi, je ne voulais pas entendre parler de ce procès, mais M. Charbonnel répétait qu'avec vous c'était tout argent gagné, que vous n'aviez qu'un mot à dire pour nous mettre les cinq cent mille francs dans la poche.... N'est-ce pas, monsieur Charbonnel?» L'ancien marchand d'huile branla désespérément la tête.

      «C'était un chiffre, continua la femme, ça valait la peine de bouleverser son existence.... Ah! oui, elle est bouleversée, notre existence! Savez-vous, monsieur Rougon qu'hier encore la bonne de l'hôtel a refusé de changer nos serviettes sales! Moi qui, à Plassans, ai cinq armoires de linge!» Et elle continua à se plaindre amèrement de Paris qu'elle abominait. Ils y étaient venus pour huit jours.

      Puis, espérant partir toutes les semaines, ils ne s'étaient rien fait envoyer. Maintenant que cela n'en finissait plus, ils s'entêtaient dans leur chambre garnie, mangeant ce que la bonne voulait bien leur servir, sans linge, presque sans vêtements. Ils n'avaient pas même une brosse, et Mme Charbonnel faisait sa toilette avec un peigne cassé. Parfois, ils s'asseyaient sur leur petite malle, ils y pleuraient de lassitude et de rage.

      «Et cet hôtel est si mal fréquenté! murmura M. Charbonnel avec de gros yeux pudibonds. Il y a un jeune homme à côté de nous. On entend des choses...» Rougon repliait la lettre.

      «Ma mère, dit-il, vous donne l'excellent conseil de patienter. Je ne puis que vous engager à faire une nouvelle provision de courage.... Votre affaire me paraît bonne; mais me voilà parti et je n'ose plus rien vous promettre.

      —Nous quittons Paris demain!» cria Mme Charbonnel dans un élan de désespoir.

      Mais, ce cri à peine lâché, elle devint toute pâle.

      M. Charbonnel dut la soutenir. Et ils restèrent un moment sans voix, les lèvres tremblantes, à se regarder, avec une grosse envie de pleurer. Ils faiblissaient, ils avaient une douleur, comme si, brusquement, les cinq cent mille francs se fussent écroulés devant eux.

      Rougon continuait affectueusement:

      «Vous avez affaire à forte partie. Mgr Rochart, l'évêque de Faverolles, est venu en personne à Paris pour appuyer la demande des sœurs de la Sainte Famille. Sans son intervention, il y a longtemps que vous auriez gain de cause. Le clergé est malheureusement très puissant aujourd'hui.... Mais je laisse ici des amis, j'espère pouvoir agir sans me mettre en avant.

      Vous avez attendu si longtemps que, si vous partez demain.... «Nous resterons, nous resterons, se hâta de balbutier Mme Charbonnel. Ah! monsieur Rougon, voilà un héritage qui nous aura coûté bien cher!» Rougon revint vivement à ses papiers. Il promena un regard de satisfaction autour de la pièce, soulagé, ne voyant plus personne qui pût l'emmener encore dans une embrasure de fenêtre; toute la bande était repue.

      En quelques minutes, il avança fort sa besogne. Il avait une gaieté à lui, brutale, se moquant des gens, se vengeant des ennuis qu'on lui imposait. Pendant un quart d'heure, il fut terrible pour ses amis, dont il venait d'écouter les histoires avec tant de complaisance. Il alla si loin, il se montra si dur pour la jolie Mme Bouchard, que les yeux de la jeune femme s'emplirent de larmes, sans qu'elle cessât de sourire. Les amis riaient, accoutumés à ces coups de massue. Jamais leurs affaires n'allaient mieux qu'aux heures où Rougon s'exerçait les poings sur leur nuque.

      A ce moment, on frappa un coup discret à la porte.

      «Non, non, n'ouvrez pas, cria-t-il à Delestang qui se dérangeait. Est-ce qu'on se moque de moi! J'ai déjà la tête cassée.» Et, comme on ébranlait la porte plus violemment:

      «Ah! si je restais, dit-il entre ses dents, comme je flanquerais ce Merle dehors!» On ne frappa plus. Mais, tout d'un coup, dans un angle du cabinet, une petite porte s'ouvrit, donnant passage à une énorme jupe de soie bleue, qui entra à reculons. Et cette jupe, très claire, très ornée de nœuds de ruban, demeura là un instant, à moitié dans la pièce, sans qu'on vît autre chose. Une voix de femme, toute fluette, parlait vivement au-dehors.

      «Monsieur Rougon!» appela la dame, en montrant enfin son visage.

      C'était Mme Correur, avec un chapeau garni d'une botte de roses. Rougon, qui s'avançait, les poings fermés, furieux, plia les épaules et vint serrer la main de la nouvelle venue, en faisant le gros dos.

      «Je demandais à Merle comment il se trouvait ici, dit Mme Correur, en couvant d'un regard tendre le grand diable d'huissier, debout et souriant devant elle. Et vous, monsieur Rougon, êtes-vous content de lui?

      —Mais oui, certainement», répondit Rougon d'une façon aimable.

      Merle gardait son sourire béat, les yeux fixés sur le cou gras de Mme Correur. Elle se rengorgeait, elle ramenait de la main les frisures de ses tempes.

      «Voilà qui va bien, mon garçon, reprit-elle. Quand je place quelqu'un, j'aime que tout le monde soit satisfait.... Et si vous aviez besoin de quelque conseil, venez me voir le matin, vous savez, de huit à neuf. Allons, soyez sage.» Et elle entra dans le cabinet, en disant à Rougon:

      «Il n'y a rien qui vaille les anciens militaires.» Puis, elle ne le lâcha pas, elle lui fit traverser toute la pièce, le menant à petits pas devant la fenêtre, à l'autre bout. Elle le grondait de n'avoir point ouvert. Si Merle n'avait pas consenti à l'introduire par la petite porte, elle serait donc restée dehors? Dieu savait pourtant si elle avait besoin de le voir! car, enfin, il ne pouvait pas s'en aller ainsi, sans lui dire où en étaient ses pétitions.

      Elle sortit de sa poche un petit carnet, très riche, recouvert de moire rose.

      «Je n'ai vu le Moniteur qu'après mon déjeuner, dit-elle. J'ai pris tout de suite un fiacre... voyons, où en est l'affaire de Mme Leturc, la veuve du capitaine, qui demande un bureau de tabac. Je lui ai promis un résultat pour la semaine prochaine.... Et l'affaire de cette demoiselle, vous savez, Herminie Billecoq, une ancienne élève de Saint-Denis, que son séducteur, un officier, consent à épouser, si quelque âme honnête veut bien avancer la dot réglementaire. Nous avions pensé à l'impératrice.... Et toutes ces dames, Mme Chardon, Mme Testanière, Mme Jalaguier, qui attendent depuis des mois?» Rougon, paisiblement, donnait des réponses, expliquant les retards, descendait dans les détails les plus minutieux. Il fit pourtant comprendre à Mme Correur qu'elle devait à présent compter beaucoup moins sur lui. Alors, elle se désola. Elle était si heureuse de rendre service! Qu'allait-elle devenir, avec toutes ces dames?

      Et elle en arriva à parler de ses affaires personnelles, que Rougon connaissait bien. Elle répétait qu'elle était une Martineau, des Martineau de Coulonges, une bonne famille de Vendée, où l'on pouvait citer jusqu'à sept notaires de père en fils. Jamais elle ne s'expliquait nettement sur son nom de Correur. A l'âge de vingt-quatre ans, elle s'était enfuie avec un garçon boucher, à la suite de tout un été de rendez-vous, sous un hangar.

      Son père avait agonisé pendant six mois sous le coup de ce scandale, une monstruosité dont le pays s'entretenait toujours. Depuis ce temps, elle vivait à Paris, comme morte


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