Les Douze Étapes et les Douze Traditions. AnonymeЧитать онлайн книгу.
sans la foi. Comme les deux méthodes les ont amèrement déçus, ils en ont déduit qu’il n’y avait plus aucune place pour eux. L’indifférence, l’illusion de pouvoir se suffire à soi-même, les préjugés et l’attitude de défi construisent chez ces gens des blocages qui se révèlent parfois bien plus solides et bien plus redoutables que les objections des agnostiques indécis ou même des athées militants. La religion soutient qu’il est possible de démontrer l’existence de Dieu ; l’agnostique prétend que c’est impossible ; et l’athée affirme détenir la preuve que Dieu n’existe pas. De toute évidence, c’est un dilemme qui jette dans la plus profonde confusion celui qui s’est éloigné de la foi. Il se croit à tout jamais privé du réconfort d’avoir une quelconque conviction. Il ne peut partager la moindre parcelle de certitude ni du croyant, ni de l’agnostique, ni de l’athée. Il est désorienté.
À celui qui va ainsi à la dérive, plusieurs membres des AA pourraient dire : « Oui, nous aussi, nous nous étions beaucoup éloignés de la foi de notre enfance. C’est contre la naïve crédulité de la jeunesse que nous en avions. Évidemment, nous étions reconnaissants des valeurs que nous avaient données une bonne famille et une bonne éducation religieuse. Nous étions encore convaincus qu’il fallait être raisonnablement honnête, tolérant et juste, qu’il fallait avoir de l’ambition et travailler fort. Et nous nous sommes convaincus que ces simples règles d’honnêteté et de décence suffisaient.
« Lorsque nous avons connu le succès matériel qui n’avait d’autre base que ces qualités élémentaires, nous avons eu l’impression de bien réussir au jeu de la vie. C’était grisant, et nous en étions heureux. Pourquoi faudrait-il nous embarrasser d’abstractions théologiques et d’obligations religieuses, ou nous inquiéter de l’état de notre âme, ici ou ailleurs ? La réalité était bien suffisante pour nous. La volonté de vaincre nous soutiendrait. Mais voilà : l’alcool s’est mis de la partie. À la fin du compte, quand nos marques furent réduites et que toute nouvelle erreur menaçait de nous retirer du match à tout jamais, nous avons dû nous remettre en quête de la foi que nous avions perdue. C’est chez les AA que nous l’avons retrouvée. Tu peux en faire autant, toi aussi. »
Nous en arrivons à un autre genre de problème, celui de l’homme ou de la femme autosuffisants intellectuellement. À ceux-là, de nombreux membres des AA peuvent dire : « Oui, nous étions comme vous – trop futés pour que cela nous aide. Nous aimions passer pour des avant-gardistes. En prenant soin de ne pas le laisser paraître, nous prenions appui sur notre instruction pour nous gonfler d’orgueil. Nous avions la secrète conviction de pouvoir flotter au-dessus du reste du monde par la seule puissance de notre intelligence. Le progrès scientifique nous laissait croire que rien n’est impossible à l’homme. La connaissance était toute-puissante. L’intelligence pouvait dominer la nature. Comme nous étions plus brillants que la majorité des gens (c’était du moins notre avis), il nous suffisait de penser pour récolter les fruits du succès. Le dieu de l’intelligence avait supplanté le Dieu de nos pères. Mais la bouteille avait de tout autres vues. Nous, qui avions le succès si facile, nous retrouvions au rang des éternels perdants. Nous avons constaté qu’il nous fallait réviser nos positions ou faire face à la mort. Chez les AA, nous en avons rencontré plusieurs qui avaient déjà pensé comme nous. Ils nous ont aidés à nous ramener à notre vrai niveau. Par l’exemple, ils nous ont fait comprendre que l’intelligence et l’humilité ne sont pas incompatibles, à condition de donner à l’humilité la première place. En agissant ainsi, nous avons reçu le don de la foi, une foi qui produit des résultats. Cette foi, elle vous est offerte, à vous aussi. »
Parmi les membres, une autre catégorie pourrait s’exprimer ainsi : « Nous étions carrément dégoûtés de la religion et de son enseignement. La Bible, à notre avis, était remplie d’absurdités : nous pouvions les citer au chapitre et au verset, mais nous ne pouvions pas croire à la réalisation des Béatitudes. Sa morale était tantôt bonne ou mauvaise à l’excès. Mais c’était surtout la moralité des bigots qui nous révoltait. Nous dénoncions à hauts cris l’hypocrisie, la fausse dévotion et l’autosatisfaction imbue de supériorité de tant de ‘croyants’, même le dimanche. Combien nous aimions dénoncer le fait que des millions de ‘pieuses bonnes gens’ continuent de s’entretuer au nom de Dieu. Tout cela signifiait, bien sûr, que nous avions adopté une attitude négative plutôt que positive. Une fois arrivés chez les AA, nous avons dû reconnaître qu’une telle façon de penser flattait notre ego. En soulignant les travers de certains dévots, nous pouvions nous donner l’impression de leur être supérieurs. Pire encore, nous pouvions ainsi éviter d’examiner nos propres faiblesses. L’autosatisfaction, que nous dénoncions avec tant de mépris chez les autres, était justement notre plus grand défaut. En ce qui concerne la foi, cette fausse respectabilité fut notre perte. Mais finalement, une fois chez les AA, nous avons appris mieux.
« Comme l’ont souvent observé les psychiatres, l’attitude de défi est la caractéristique prépondérante de beaucoup d’alcooliques. Il n’est donc pas étonnant qu’un grand nombre d’entre nous en soient venus un jour à défier Dieu lui-même. Parfois c’était parce que Dieu n’avait pas daigné nous offrir toutes les douceurs de la vie que nous lui avions spécifiquement demandées, à la façon dont les enfants gâtés adressent des listes de cadeaux irréalistes au Père Noël. Le plus souvent cependant, nous avons essuyé une très dure épreuve et nous n’avons pas pu tenir le coup parce que, à nos yeux, Dieu nous avait abandonnés. La femme que nous voulions épouser avait d’autres projets : nous avons prié Dieu de la faire changer d’avis, mais elle n’en a rien fait. Nous avons demandé des enfants en bonne santé et nous en avons eu qui étaient malades, ou nous n’en avons pas eu du tout. Nous avons prié pour obtenir de l’avancement et il ne nous en est pas venu. Des êtres que nous aimions profondément nous ont été ravis par la soi-disant volonté de Dieu. Puis nous sommes devenus ivrognes et nous avons demandé à Dieu de nous arrêter de boire. Mais il ne s’est rien produit. C’était la plus grande cruauté de toutes. ‘Au diable la foi !’ avons-nous déclaré.
« Lorsque nous avons connu les AA, l’illusion de cette attitude de défi nous est apparue. Jamais nous n’avions cherché à savoir ce qu’était la volonté de Dieu pour nous ; au contraire, nous Lui avons dit ce qu’elle devrait être. Nous avons pris conscience que personne ne peut en même temps croire en Dieu et Le mettre au défi. Croire, c’est se fier, non pas défier. Chez les AA, nous avons vu les fruits de cette foi, c’est-à-dire des hommes et des femmes épargnés de la catastrophe définitive de l’alcool. Nous les avons vus affronter et surmonter leurs autres épreuves et malheurs. Nous les avons vus accepter calmement des situations impossibles sans chercher à fuir ou à récriminer. Ce n’était pas une foi superficielle ; c’était une foi agissante en toutes circonstances. Nous avons bientôt décidé que si l’humilité, à quelque degré que ce soit, était le prix à payer, nous paierions. »
Prenons maintenant le cas du croyant qui sent l’alcool à plein nez. Il se croit très pieux. En matière d’observance religieuse, il est scrupuleux. Il est certain de croire en Dieu, mais il a le vague sentiment que Dieu ne croit pas en lui. Il fait promesses sur promesses. Après, non seulement boit-il à nouveau, mais il se conduit encore plus mal que la fois précédente. Il tente vaillamment de combattre l’alcool, il implore le secours de Dieu, mais le secours ne vient pas. Qu’est-ce qui ne va pas ?
Pour les ecclésiastiques, les médecins, les amis et les proches, cette situation de l’alcoolique bien intentionné qui fait de gros efforts demeure une énigme déchirante. Ce ne l’est pas pour la plupart des AA. Il y en a trop parmi nous qui étaient dans la même situation et qui ont trouvé la solution. C’est une question de qualité de foi, plutôt que de quantité. Voilà où nous nous trompions. Nous imaginions avoir de l’humilité alors que nous n’en avions pas. Nous nous croyions très appliqués dans nos pratiques religieuses, mais après une sérieuse évaluation, nous avons constaté que nous étions seulement superficiels. Ou encore, à l’autre extrême, nous avions versé dans le sentimentalisme en le confondant avec le sentiment religieux authentique. Dans les deux cas, nous voulions obtenir quelque chose en ne donnant rien. En réalité, nous n’avions