Le comte de Moret. Alexandre DumasЧитать онлайн книгу.
de l'armée. Le cardinal-duc, dont toute l'ambition est de passer pour le premier général de son siècle, ne supportera point cette honte et donnera sa démission; une seule crainte resterait, c'est que le roi ne l'acceptât point.»
Marie de Médicis et son conseiller se regardèrent.
—Avez-vous quelque chose de meilleur à me proposer? demanda la reine mère.
—Non, madame, répondit celui-ci; d'ailleurs, j'ai toujours vu que les avis de M. de Savoie étaient bons à suivre.
—Suivons-les donc alors, dit Marie de Médicis avec un soupir. Nous ne pouvons être dans une pire position que celle où nous sommes. Avez-vous consulté les astres, Vauthier?
—Ce soir encore, j'ai passé une heure à les étudier du haut de l'observatoire de Catherine de Médicis.
—Eh bien, que disent-ils?
—Ils promettent à Votre Majesté un triomphe complet sur ses ennemis.
—Ainsi soit-il! répondit Marie de Médicis, en tendant à l'astrologue une main un peu déformée par la graisse, mais cependant encore belle, que celui-ci baisa respectueusement.
Et tous deux rentrèrent dans la chambre à coucher, dont la porte se referma sur eux.
Restée seule dans sa chambre, Anne d'Autriche avait écouté successivement s'éloigner, et les pas de Gaston d'Orléans, et ceux de sa belle-mère, puis, quand le bruit s'en fut complétement éteint, elle se leva doucement, passa ses petits pieds espagnols dans des mules de satin bleu de ciel brodées d'or et alla s'asseoir près de sa toilette, dans le tiroir de laquelle elle prit un petit sachet de toile, contenant, au lieu de poudre d'iris, parfum qu'elle préférait à tous les autres pour son linge et que sa belle mère faisait venir de Florence, de la poussière de charbon pilé: de ce contenu elle saupoudra la seconde page, restée blanche, de la lettre de Don Gonzalez de Cordoue et, de même que par des moyens différents le même résultat avait été obtenu pour la lettre de Mme Christine à son frère Gaston, et pour celle de Charles-Emmanuel à la reine mère, en présentant l'une à la chaleur d'une bougie, et en passant sur l'autre une préparation chimique, des lettres apparurent sur celle de Don Gonzalez de Cordoue à la reine, au contact de la poussière de charbon.
Cette fois, la lettre était du roi Philippe IV lui-même.
Elle disait:
«Ma sœur, je connais par notre bon ami M. de Fargis, le projet qui, en cas de mort du roi Louis XIII, vous promet pour mari, son frère et son successeur au trône, Gaston d'Orléans; mais ce qui serait mieux encore, c'est qu'à l'époque de cette mort, vous vous trouvassiez enceinte.
«Les reines de France ont un grand avantage sur leurs époux: elles peuvent faire des dauphins sans eux, et ils n'en peuvent pas faire sans elles.
«Méditez cette incontestable vérité, et comme vous n'avez pas besoin, pour vos méditations, d'avoir ma lettre sous les yeux, brûlez-la.
«Philippe.»
La reine, après avoir relu la lettre du roi, son frère, une seconde fois, afin d'en bien graver sans doute chaque parole dans sa mémoire, la prit par un de ses angles, l'approcha de la bougie, y mit le feu, et la soutint en l'air jusqu'à ce que la flamme vint, en éclairant sa belle main, lécher le bout de ses ongles roses; alors seulement, elle lâcha la lettre, dont la partie intacte se consuma avant même que la cendre, sur laquelle couraient des milliers d'étincelles, eût touché la terre; mais à l'instant même et de mémoire elle transcrivit la lettre toute entière, suivie de la recommandation, sur un papier à part qu'elle enferma dans un tiroir secret d'un petit meuble qui lui servait de secrétaire.
Puis, elle revint à pas lents vers son lit, laissa glisser de ses épaules sur ses hanches et de ses hanches à terre son peignoir de satin, en sortit comme Vénus sortit d'une vague d'argent, se coucha lentement et laissant avec un soupir tomber la tête sur son oreiller, elle murmura:
—O Buckingham! Buckingham!
Et quelques sanglots étouffés troublèrent seuls, à partir de ce moment, le silence de la chambre royale.
CHAPITRE XI.
LE SPHINX ROUGE.
Il existe à la galerie du Louvre un portrait du peintre janséniste Philippe de Champagne, représentant au vrai, comme on disait alors, la fine, vigoureuse et sèche figure du cardinal de Richelieu.
Tout au contraire des Flamands ses compatriotes, ou des Espagnols ses maîtres, Philippe de Champagne est avare de cette étincelante couleur que broient sur leur palette et répandent sur leurs toiles les Rubens et les Murillo; c'est qu'en effet, pousser dans un flot de lumière le sombre ministre constamment perdu dans la demi teinte de sa politique, dont la devise était un aigle dans les nuages, Aquila in nubibus, c'eût été flatter l'art peut-être, mais à coup sûr mentir à la vérité.
Etudiez ce portrait, vous tous, hommes de conscience, qui voulez, après deux siècles et demi, ressusciter le mort illustre et vous faire une idée physique et morale du grand génie calomnié par ses contemporains, méconnu, presque oublié par le siècle suivant, et qui n'a trouvé qu'après deux cents ans de sépulcre, la place qu'il avait le droit d'attendre de la postérité.
Ce portrait est un de ceux qui ont le privilége de vous arrêter court et de vous faire rêver. Est-ce un homme, est-ce un fantôme, cette créature en robe rouge, en camail blanc, à l'aube de point de Venise, à la calotte rouge, au front large, aux cheveux gris, à la moustache grise, à l'œil gris filtrant un regard terne, aux mains fines, maigres et pâles? Sa figure, par la fièvre éternelle qui le brûle, vit aux pommettes seulement; n'est-ce pas que, plus vous le contemplez, moins vous savez si c'est un être vivant, ou si, comme saint Bonaventure, ce n'est point quelque trépassé qui vient écrire ses mémoires après sa mort? N'est-ce pas que, si tout à coup il se détachait de sa toile, s'il descendait de son cadre, s'il marchait à vous, n'est-ce pas que vous reculeriez, en vous signant, comme vous feriez devant un fantôme?
Ce qu'il y a de visible et d'incontestable dans cette peinture, c'est qu'elle reproduit un esprit, une intelligence, voilà tout. Pas de cœur, pas d'entrailles, heureusement pour la France; dans ce vide de la monarchie qui se fait entre Henri IV et Louis XIV, pour dominer ce roi mal venu, faible, impuissant, cette cour inquiète et dissolue, ces princes avides et sans foi, pour pétrir cette boue animée, pour en faire la Genèse d'un monde nouveau, c'était un cerveau qu'il fallait, et pas autre chose.
Dieu créa de ses mains cet automate terrible, placé par la Providence à une distance égale de Louis XI et de Robespierre, pour qu'il abattît les grands seigneurs comme Louis XI avait abattu les grands vassaux, comme Robespierre devait abattre les aristocrates. De temps en temps, comme de rouges comètes, les peuples voient apparaître à l'horizon un de ces faucheurs sanglants qui semblent une chose artificielle, qui avancent sans se mouvoir, qui s'approchent sans bruit; puis, arrivés enfin au milieu du champ que leur mission est de moissonner, se mettent à la besogne et ne s'arrêtent que quand leur tâche est finie, c'est-à-dire que tout est abattu.
C'est bien ainsi qu'il vous eût apparu, dans cette soirée du 5 décembre 1628, au moment où, soucieux des haines qui l'entourent, préoccupé des grands projets qu'il médite, voulant exterminer l'hérésie en France, voulant chasser l'Espagne du Milanais, tuer l'influence de l'Autriche en Toscane, cherchant à deviner, et fermant sa bouche, éteignant ses yeux de peur qu'on ne le devine, c'est ainsi qu'il vous eût apparu, l'homme sur qui reposaient les destinées de la France, le ministre impénétrable que notre grand historien Michelet appelle le Sphinx rouge.
Il