Эротические рассказы

Les Dieux ont soif. Anatole FranceЧитать онлайн книгу.

Les Dieux ont soif - Anatole France


Скачать книгу
passait sur le Pont-Neuf, il vit déboucher du quai des Morfondus des gardes nationaux à cheval qui refoulaient les passants, portaient des torches et, avec un grand cliquetis de sabres, escortaient une charrette qui traînait lentement à la guillotine un homme dont personne ne savait le nom, un ci-devant, le premier condamné du nouveau tribunal révolutionnaire. On l'apercevait confusément entre les chapeaux des gardes, assis, les mains liées sur le dos, la tête nue et ballante, tournée vers le cul de la charrette. Le bourreau se tenait debout près de lui, appuyé à la ridelle. Les passants, arrêtés, disaient entre eux que c'était probablement quelque affameur du peuple et regardaient avec indifférence. Gamelin, s'étant approché, reconnut parmi les spectateurs Desmahis, qui s'efforçait de fendre la foule et de couper le cortège. Il l'appela et lui mit la main sur l'épaule; Desmahis tourna la tête. C'était un jeune homme beau et vigoureux.

      On disait naguère, à l'académie, qu'il portait la tête de Bacchus sur le corps d'Hercule. Ses amis l'appelaient "Barbaroux", à cause de sa ressemblance avec ce représentant du peuple.

      "Viens, lui dit Gamelin, j'ai à te parler d'une affaire importante.

      --Laisse-moi!" répondit vivement Desmahis.

      Et il jeta quelques mots indistincts, en guettant le moment de s'élancer:

      "Je suivais une femme divine, en chapeau de paille, une ouvrière de modes, ses cheveux blonds sur le dos: cette maudite charrette m'en a séparé.... Elle a passé devant, elle est déjà au bout du pont."

      Gamelin tenta de le retenir par son habit, jurant que la chose était d'importance.

      Mais Desmahis s'était déjà coulé à travers chevaux, gardes, sabres et torches et poursuivait la demoiselle de modes.

       Table des matières

      Il était dix heures du matin. Le soleil d'avril trempait de lumière les tendres feuilles des arbres. Allégé par l'orage de la nuit, l'air avait une douceur délicieuse. A longs intervalles, un cavalier, passant sur l'allée des Veuves, rompait le silence de la solitude. Au bord de l'allée ombreuse, contre la chaumière de La Belle Lilloise, sur un banc de bois, Évariste attendait Élodie. Depuis le jour où leurs doigts s'étaient rencontrés sur le linon de l'écharpe, où leurs souffles s'étaient mêlés, il n'était plus revenu à l'Amour peintre. Pendant toute une semaine, son orgueilleux stoïcisme et sa timidité, qui devenait sans cesse plus farouche, l'avaient tenu éloigné d'Élodie. Il lui avait écrit une lettre grave, sombre, ardente, dans laquelle, exposant les griefs dont il chargeait le citoyen Blaise et taisant son amour, dissimulant sa douleur, il annonçait sa résolution de ne plus retourner au magasin d'estampes et montrait à suivre cette résolution plus de fermeté que n'en pouvait approuver une amante.

      D'un naturel contraire, Élodie, encline à défendre son bien en toute occasion, songea tout de suite à rattraper son ami. Elle pensa d'abord à l'aller voir chez lui, dans l'atelier de la place de Thionville. Mais, le sachant d'humeur chagrine, jugeant, par sa lettre, qu'il avait l'âme irritée, craignant qu'il n'enveloppât dans la même rancune la fille et le père et ne s'étudiât à ne la plus revoir, elle pensa meilleur de lui donner un rendez-vous sentimental et romanesque auquel il ne pourrait se dérober, où elle aurait tout loisir de persuader et de plaire, où la solitude conspirerait avec elle pour le charmer et le vaincre.

      Il y avait alors, dans tous les jardins anglais et sur toutes les promenades à la mode, des chaumières construites par de savants architectes, qui flattaient ainsi les goûts agrestes des citadins. La chaumière de La Belle Lilloise, occupée par un limonadier, appuyait sa feinte indigence sur les débris artistement imités d'une vieille tour, afin d'unir au charme villageois la mélancolie des ruines. Et, comme s'il n'eût point suffi, pour émouvoir les âmes sensibles, d'une chaumière et d'une tour écroulée, le limonadier avait élevé sous un saule un tombeau, une colonne surmontée d'une urne funèbre et qui portait cette inscription: "Cléonice à son fidèle Azor." Chaumières, ruines, tombeaux: à la veille de périr, l'aristocratie avait élevé dans les parcs héréditaires ces symboles de pauvreté, d'abolition et de mort. Et maintenant les citadins patriotes se plaisaient à boire, à danser, à aimer dans de fausses chaumières, à l'ombre de faux cloîtres faussement ruinés et parmi de faux tombeaux, car ils étaient les uns comme les autres amants de la nature et disciples de Jean-Jacques et ils avaient pareillement des cœurs sensibles et pleins de philosophie.

      Arrivé au rendez-vous avant l'heure fixée, Évariste attendait, et, comme au balancier d'une horloge, il mesurait le temps aux battements de son cœur. Une patrouille passa, conduisant des prisonniers. Dix minutes après, une femme tout habillée de rose, un bouquet de fleurs à la main, selon l'usage, accompagnée d'un cavalier en tricorne, habit rouge, veste et culotte rayés, se glissèrent dans la chaumière, tous deux si semblables aux galants de l'ancien régime qu'il fallait bien croire, avec le citoyen Blaise, qu'il y a dans les hommes des caractères que les révolutions ne changent point.

      Quelques instants plus tard, venue de Rueil ou de Saint-Cloud, une vieille femme, qui portait au bout du bras une boîte cylindrique, peinte de couleurs vives, alla s'asseoir sur le banc où attendait Gamelin. Elle avait posé devant elle sa boîte, dont le couvercle portait une aiguille pour tirer les sorts. Car la pauvre femme offrait, dans les jardins, la chance aux petits enfants. C'était une marchande de "plaisirs", vendant sous un nom nouveau une antique pâtisserie, car, soit que le terme immémorial d'"oublie" donnât l'idée importune d'oblation et de redevance, soit qu'on s'en fût lassé par caprice, les "oublies" s'appelaient alors des "plaisirs".

      La vieille essuya, d'un coin de son tablier, la sueur de son front et exhala ses plaintes au ciel, accusant Dieu d'injustice quand il faisait une dure vie à ses créatures. Son homme tenait un bouchon, au bord de la rivière, à Saint-Cloud, et elle montait tous les jours aux Champs-Élysées, agitant sa cliquette et criant: "Voilà le plaisir, mesdames!" Et de tout ce travail ils ne tiraient pas de quoi soutenir leur vieillesse.

      Voyant le jeune homme du banc disposé à la plaindre, elle exposa abondamment la cause de ses maux. C'était la république qui, en dépouillant les riches, ôtait aux pauvres le pain de la bouche. Et il n'y avait pas à espérer un meilleur état de choses. Elle connaissait, au contraire, à plusieurs signes, que les affaires ne feraient qu'empirer. A Nanterre, une femme avait accouché d'un enfant à tête de vipère; la foudre était tombée sur l'église de Rueil et avait fondu la croix du clocher; on avait aperçu un loup-garou dans le bois de Chaville. Des hommes masqués empoisonnaient les sources et jetaient dans l'air des poudres qui donnaient des maladies....

      Évariste vit Élodie qui sautait de voiture. Il courut à elle. Les yeux de la jeune femme brillaient dans l'ombre transparente de son chapeau de paille; ses lèvres, aussi rouges que les œillets qu'elle tenait à la main, souriaient. Une écharpe de soie noire, croisée sur la poitrine, se nouait sur le dos. Sa robe jaune faisait voir les mouvements rapides des genoux et découvrait les pieds chaussés de souliers plats. Les hanches étaient presque entièrement dégagées: car la Révolution avait affranchi la taille des citoyennes; cependant la jupe, enflée encore sous les reins, déguisait les formes en les exagérant et voilait la réalité sous son image amplifiée.

      Il voulut parler et ne put trouver ses mots, et se reprocha cet embarras qu'Élodie préférait au plus doux accueil. Elle remarqua aussi et tint pour un bon signe qu'il avait noué sa cravate avec plus d'art qu'à l'ordinaire. Elle lui tendit la main.

      "Je voulais vous voir, dit-elle, causer avec vous. Je n'ai pas répondu à votre lettre: elle m'a déplu; je ne vous y ai pas retrouvé. Elle aurait été plus aimable, si elle avait été plus naturelle. Ce serait faire tort à votre caractère et à votre esprit que de croire que vous ne voulez pas retourner à l'Amour peintre parce que vous y avez eu une altercation légère sur la politique, avec un homme beaucoup plus âgé que vous. Soyez sûr que vous n'avez nullement à craindre que mon père vous reçoive mal, quand vous reviendrez chez nous. Vous ne le connaissez pas: il ne se rappelle


Скачать книгу
Яндекс.Метрика