Le Domaine de Belton. Anthony TrollopeЧитать онлайн книгу.
que vous avez commencé, vous ferez aussi bien de continuer.
–C’est mon intention. Je me suis fait une règle de ne jamais revenir en arrière. Votre père est à moitié fâché de m’avoir affermé la propriété, mais je compte persévérer, et les choses auront pris un autre aspect d’ici à un an. Voilà un taillis qui a besoin d’éclaircies. Ces sortes de travaux couvrent toujours les dépenses qu’ils nécessitent. Il en est ainsi de tout le bien qu’on fait en ce monde.»
Clara se rappela souvent ces mots dans la suite, en pensant à son cousin.
«Comment vous procurez-vous le lait et le beurre?
–Nous les achetons à M. Stovey.
–Quel abus1vivre à la campagne et payer son lait! Écoutez, je vous donnerai une vache; ce sera un petit cadeau de moi à vous.
–Oh! monsieur Belton, je ne pense pas que cela se puisse,
–Nous essayerons. J’ai promis de ne rien faire qui contrarie votre père, mais je ne vous ai pas fait la même promesse. Quel joli endroit! que j’aime ces rochers! quel soulagement de ne plus être dans la plaine!Vous ne pouvez vous imaginer combien Plaintow est laid avec ses grands fossés et ses champs coupés à angles droits! A peine si l’on voit un arbre dans tout le pays.
–Quel tableau! Je mourrais d’ennui si j’étais obligée de vivre là.
–Vous y vivriez très-bien si vous y aviez tant à faire que moi.
–Et vous habitez là tout seul?
–Non, j’ai ma sœur avec moi. Vous avez entendu parler de Mary?»
Clara se souvint qu’il y avait une miss Belton, une pauvre créature contrefaite et maladive dont elle aurait dû s’informer.
«Oui, certainement, dit Clara. J’espère qu’elle est mieux portante.
–Elle ne sera jamais mieux, mais je ne la trouve pas plus malade, seulement peut-être un peu affaiblie.»
En parlant des souffrances et de la bonté de sa sœur, les larmes lui vinrent aux yeux. Clara en fut touchée et songea à l’appeler Will le plus tôt possible.
Leur promenade les avait conduits jusqu’au cottage. De l’autre côté de la barrière du jardin, ils aperçurent mistress Askerton, qui peut-être les guettait. Elle leur ouvrit, et Clara présenta son cousin. Will, en la saluant, sembla perdre contenance un moment. Mistress Askerton l’accueillit fort gracieusement; elle savait être gracieuse ou disgracieuse à volonté.
«Comment va le colonel? demanda Clara.
–Il est à la maison, occupé à lire un roman français, suivant son habitude. Lisez-vous jamais des romans français, monsieur Belton?
–Je lis très-peu, et quand je lis, c’est en anglais.
–Vous êtes très-occupé?
–J’ai une grande propriété à régir qui me laisse peu de temps pour lire des romans français, quand je saurais le français, ce qui n’est pas.
Après cela, on causa chasse, et mistress Askerton trouva moyen de parler de celle de Belton, affermée par le colonel, d’un ton qui déplut à Will. Clara, voyant que la conservation s’aigrissait, prit congé.
«Vous ne me paraissez pas éprouver beaucoup de sympathie pour mon amie, dit-elle en riant dès qu’ils eurent quitté le cottage.
Pas précisément. Le fait est que je l’ai prise d’abord pour une personne que j’ai connue autrefois, et je pensais à cette personne pendant tout le temps de la visite.
–Quel était son nom?
–Elle se nommait miss Vigo et avait épousé un M. Berdmore. C’était une évaporée, et lui ne valait pas grand’chose. Je crois qu’ils sont morts ou divorcés.
–Le nom de mistress Askerton était miss Oliphant.
–J’aurai sans doute été trompé par une ressemblance fortuite.»
La conversation en resta là, mais Clara crut se souvenir qu’elle avait déjà entendu prononcer le nom de Berdmore, soit par mistress. Askerton, soit à son sujet.
CHAPITRE III
Lorsque, le soir, dans son lit, Clara repassa les événements de la journée, elle s’applaudit d’avoir trouvé un si bon cousin et un cousin qui ne lui ferait pas la cour. Pourquoi Will ne devait pas lui faire la cour et pourquoi elle s’en réjouissait, je ne l’expliquerai pas; mais toutes les jeunes filles ont coutume de parler ainsi des gens de leur intimité, comme si l’amour était par lui-même injurieux et ennemi du bonheur au lieu d’être en réalité le sel de la vie: et cependant Clara avait déjà reconnu en son cousin un homme capable de guider une femme avec douceur et fermeté et d’être le meilleur mari qu’une jeune fille pût rêver. Néanmoins elle s’applaudissait de ce qu’il ne devait pas lui faire la cour. Je me demande si les paroles affectueuses prononcées par le capitaine Aylmer et la manière tendre dont il lui avait serré la main en prenant récemment congé d’elle à Perivale, n’étaient pas pour quelque chose dans la satisfaction de Clara.
Et Will, quelle était son opinion à ce sujet? Il réfléchissait de son côté, en se promenant dans sa chambre éclairée par la lune des moissons; car, pour lui, être au lit, c’était dormir. Il faisait ses calculs et ses comparaisons, songeant à sa sœur, à leur vie en commun, à son avenir; et retraçant dans sa mémoire la figure de Clara, sa taille, sa démarche, il résolut qu’elle serait sa femme.
Miss Amadroz était une belle personne, grande, bien faite, active et pleine de santé. Sa tête et son cou étaient bien posés sur ses épaules, et sa taille n’avait pas cette sveltesse dont les femmes étaient plus fières autrefois qu’aujourd’hui, où elles ont plus de savoir et de goût. Elle ressemblait à son cousin en beaucoup de points. Ses cheveux étaient du même brun, et ses yeux un peu plus foncés et peut-être un peu moins mobiles que ceux de Will; mais ils étaient aussi brillants et possédaient le même pouvoir d’exprimer instantanément la tendresse. Ses traits étaient plus fins; mais elle avait la même bouche un peu grande et les dents aussi blanches et aussi régulières. Comme nous l’avons déjà dit, Clara Amadroz ayait vingt-six ans et ne paraissait pas plus jeune que son âge. Ce n’était pas là un défaut aux yeux de Will. Il pensait que la femme qu’il épouse rait ne devait pas être une enfant. Ayant de la fortune, il comptait bien donner à sa femme une voiture et tout le luxe convenable à sa position; mais il désirait qu’elle le secondât utilement. Elle ne devait pas être une femme au-dessus des soins domestiques ni trop fière pour se soucier de ses vaches. Clara, il en était sûr, n’aurait pas ce sot orgueil, bien qu’elle fût assez distinguée pour faire honneur à la voiture qu’il lui destinait. Et puis, ce mariage la laisserait en possession de l’héritage de son père. Tout serait donc pour le mieux.
Le lendemain, à son réveil, Will était toujours aussi enchanté de son projet. Devant rester seulement huit jours à Belton, il avait d’abord pensé à remettre sa demande jusqu’à la visite qu’il devait faire à Noël; mais, en se rasant, l’impatience de sa nature reprit le dessus et lui fit juger tout délai inutile et même dangereux. Il n’oublia pas de se dire que très-probablement il ne réussirait pas, la fatuité n’étant pas son défaut; mais, en cela comme en tout ce qui demandait un effort personnel, il se prépara à faire de son mieux, quelles que dussent être les conséquences. En semant son grain, il y apportait tout le soin et toute l’intelligence qui étaient en lui, laissant le ciel lui envoyer la récolte. Et comme il avait trouvé que la récompense de tout travail honnête ne manquait jamais, il comptait suivre le même système en amour.
Après de longues réflexions, réflexions qui occupèrent tout le temps