Les quatre filles du docteur Marsch. Louisa May AlcottЧитать онлайн книгу.
en classe avec d’impertinentes petites filles qui se moquent de vous quand vous ne savez pas vos leçons, critiquent vos vêtements, vous insultent parce que vous avez votre nez et pas le leur et dédaignent votre père parce qu’il a, par trop de bonté, perdu sa fortune subitement!
–La vérité est, répondit Meg, qu’il vaudrait mieux que nous eussions encore la fortune que papa a perdue il y a plusieurs années. Nous serions, je l’espère, plus heureuses et bien plus sages si nous étions riches comme autrefois.
–Vous disiez l’autre jour que nous étions plus heureuses que des reines.
–Oui, Beth, et je le pense encore, car nous sommes gaies, et, quoique nous soyons obligées de travailler, nous avons souvent du bon temps, comme dit Jo.
–Jo emploie de si vilains mots!» dit Amy.
Jo se leva tranquillement, sans paraître le moins du monde offensée, et, jetant les mains dans les poches de son tablier, se mit à siffloter gaiement.
«Oh! ne sifflez pas, Jo! on dirait un garçon, s’écria Amy, et même un vilain garçon.
–C’est pourtant dans l’espoir d’en devenir un, mais un bon, que j’essaye de siffler, répliqua Jo.
–Je déteste. les jeunes personnes mal élevées…, dit Amy.
–Je hais les bambines affectées et prétentieuses…, répliqua Jo.
–Les oiseaux sont d’accord dans leurs petits nids, chanta Beth d’un air si drôle que ses sœurs se mirent à rire et que la paix fut rétablie.
–Vous êtes réellement toutes les deux à blâmer, dit Meg, usant de son droit d’aînesse pour réprimander ses sœurs. Joséphine, vous êtes assez âgée pour abandonner vos jeux de garçon et vous conduire mieux; cela pouvait passer quand vous étiez petite; mais maintenant que vous êtes si grande et que vous-ne laissez plus tomber vos cheveux sur vos épaules, vous devriez vous souvenir que vous êtes une demoiselle.
–Je n’en suis pas une, et si mes cheveux relevés m’en donnent l’air, je me ferai deux queues jusqu’à ce que j’aie vingt ans, s’écria Jo en arrachant sa résille et secouant ses longs cheveux bruns. Je déteste penser que je deviens grande, que bientôt on m’appellera miss Marsch; qu’il me faudra porter des robes longues et avoir l’air aussi raide qu’une rose trémière! C’est déjà bien assez désagréable d’être une fille quand j’aime les jeux, le travail et les habitudes des garçons. Je ne me résignerai jamais à n’être pas un homme. Maintenant c’est pire que jamais, car je meurs d’envie d’aller à la guerre pour vaincre ou mourir avec papa, et je ne puis que rester au coin du feu à tricoter comme une vieille femme!»
Et Jo secoua tellement fort le chausson de laine bleue qu’elle était en train de tricoter, que les aiguilles firent entendre comme un cliquetis d’épées, et que sa pelote roula jusqu’au milieu de la chambre.
«Pauvre Jo! c’est vraiment bien désagréable; mais, comme cela ne peut pas être autrement, vous devez tâcher de vous contenter d’avoir rendu votre nom masculin et d’être pour nous comme un frère,» dit Beth en caressant la tête de sa sœur Joséphine d’une main que tous les lavages de vaisselle du monde n’avaient pu empêcher d’être blanche et douce.
«Quant à vous, Amy, dit Meg continuant sa réprimande, vous êtes à la fois prétentieuse et raide; c’est quelquefois drôle, mais, si vous n’y faites pas attention, vous deviendrez une petite créature remplie d’affectation. Vous êtes gentille quand vous êtes naturelle; mais vos grands mots, que vous écorchez et que vous ne comprenez pas toujours, sont aussi mauvais dans leur genre que les mots trop familiers que vous reprochez à Jo.
–Si Jo est un garçon habillé en fille, et Amy une petite sotte, qu’est-ce que je suis donc? demanda Beth, toute prête à partager la gronderie.
–Vous êtes notre petite chérie et rien d’autre,» répondit chaudement Meg.
Et personne ne la contredit.
Comme les jeunes lecteurs aiment à se représenter, même au physique, les personnes dont on parle, nous allons leur donner un aperçu des quatre jeunes filles, qui, pendant que la neige tourbillonnait au dehors et présageait une nuit glaciale, tricotaient activement à la lueur incertaine du feu. La chambre dans laquelle nous les trouvons, quoique meublée très simplement, avait un aspect agréable. Plusieurs belles gravures garnissaient les murs; des livres remplissaient tous les recoins; des chrysanthèmes et des roses de Noël fleurissaient entre les fenêtres; enfin on sentait partout comme une douce atmosphère de bonheur et de paix.
Marguerite, l’ainée des quatre, allait avoir quinze ans; elle était belle et fraîche avec de grands yeux bleus, des cheveux châtains, abondants et soyeux, une petite bouche et des mains blanches dont elle avait quelque tendance à s’enorgueillir. La seconde, Jo, qui avait quatorze ans, était grande, mince et brune et semblait ne jamais savoir que faire de ses longs membres. Elle avait une grande bouche et un nez passablement retroussé; ses grands yeux gris ne laissaient rien passer inaperçu et étaient tour à tour fins, gais ou pensifs. Ses cheveux longs, épais, magnifiques, constituaient pour le moment toute sa beauté; mais elle les roulait généralement dans sa résille afin de ne pas en être gênée. Elle avait de grands pieds, de grandes mains, des mouvements anguleux; ses vêtements avaient toujours un air de désordre; toute sa personne donnait l’idée d’une fille qui va grandir vite, qui va devenir rapidement une demoiselle et qui n’en est pas satisfaite du tout. Elisabeth ou Beth, comme chacun l’appelait, était une petite fille entre douze et treize ans, rose et, blonde, avec des yeux brillants, des manières timides, une voix douce et une expression de paix qui était rarement troublée. Son père l’appelait: «miss Paisible.» et ce nom lui convenait parfaitement, car elle semblait vivre dans un heureux monde dont elle ne sortait que pour voir les quelques personnes qu’elle aimait et ne craignait pas. Amy. quoique la plus jeune, était, à son avis du moins, une personne importantee c’était une fillette aux traits réguliers, au teint de neige, avec des yeux bleus et des cheveux blonds bouclés tombant sur ses épaules; elle était pâle et mince et faisait tous ses efforts pour être une jeune fille distinguée.
Quant aux caractères des quatre sœurs, nous laissons aux lecteurs le soin d’en juger.
La pendule sonna six heures, et Beth, ayant balayé le devant de la cheminée, mit à chauffer devant la flamme une paire de pantoufles.
D’une façon ou d’une autre, la vue des pantoufles eut un bon effet sur les jeunes filles; leur mère allait rentrer, et chacune d’elles s’apprêta à la bien recevoir. Meg cessa de gronder et alluma la lampe, Amy sortit du fauteuil sans qu’on le lui eût demandé, et Jo oublia combien elle était fatiguée en relayant Beth dans le soin qu’elle prenait de tenir le plus près possible du feu les pantoufles qui attendaient leur mère.
«Elles sont complètement usées, ces pantoufles, il faut que maman en achète une nouvelle paire, dit Jo.
–J’avais pensé que je lui en achèterais une avec mon dollar..., dit Beth.
–Non, ce sera moi, s’écria Amy.
–Je suis l’aînée,» répliqua Meg.
Mais Jo l’interrompit d’un air décidé.
«Maintenant que papa est parti, je suis l’homme de la famille et je donnerai les pantoufles, car papa m’a dit de prendre généralement soin de maman pendant son absence.
–Savez-vous ce qu’il faut faire? dit Beth; chacune de nous achètera quelque chose pour maman, au lieu de penser à elle-même.
–C’est bien là une de vos bonnes idées, chérie. Qu’achèterons-nous?» s’écria Jo.
Elles réfléchirent pendant une minute; puis Meg dit, comme si l’idée lui était suggérée par ses jolies mains:
«Je lui donnerai une belle paire de gants.
–Moi, les plus chaudes pantoufles que je pourrai