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Madeleine, jeune femme. Boylesve RenéЧитать онлайн книгу.

Madeleine, jeune femme - Boylesve René


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avant toute chose à ce que je ne m'écarte point du type de femme qu'il avait voulu en moi. C'étaient des femmes qui ne l'amusaient pas, mais qu'il jugeait indispensables à la maison. Malheureusement, il en connaissait peu. Madame de Clamarion, c'en était une qui nous échappait. Je pensais, moi, toujours aux Du Toit, qui m'avaient fait les avances les plus caractérisées; mais il y avait interdit sur les Du Toit, au moins aussi longtemps que leur conflit avec les Voulasne n'aurait pas reçu de solution.

       Table des matières

      —Mais, dis-je un jour, en souriant, à mon mari, je m'aperçois que vous n'avez que de mauvaises fréquentations!...

      Je ne voulais pas dire qu'il ne voyait qu'un monde inavouable, mais que, étant célibataire, il n'avait pas songé à se ménager les gens qu'on aime, une fois marié, à réunir à sa table. Et c'est un choix qu'il n'est pas si aisé d'improviser.

      Voyait-il l'entourage de sa mère et de sa sœur? Et quel était, d'ailleurs, cet entourage? Impossible de le faire parler là-dessus; ce voile tendu sur son passé ne me fut découvert que par lambeaux qui tombèrent d'année en année. Les amis des Voulasne, voilà quels étaient ses amis. Eh bien! les allait-il renier, ou se disposait-il à me les faire adopter? Le loisir nous manquait déjà pour méditer ou discuter ensemble cette question, car, sans plus tarder, les amis des Voulasne nous priaient à dîner.

      La plupart de ces messieurs étaient des industriels, des fabricants; il y avait un parfumeur, un chemisier, quelques gens de bourse, un commissaire-priseur, et parmi les intimes des Voulasne, des oisifs tout simplement. Leur éducation, en général, avait été rudimentaire; ils étaient à peu près illettrés, informés tout au plus des livres qui faisaient scandale, et n'ayant lu, d'un bout à l'autre, que les gauloiseries d'Armand Silvestre. Mais, comme tout Paris, ils connaissaient le théâtre. Ils me faisaient, à moi, l'effet d'êtres mal équarris, mais ils étaient pleins d'une grosse vie, d'un fort appétit, et leur audace était sans bornes. Leurs femmes étaient ou élégantes, et alors tout toilettes, ou franchement sacrifiées, réduites à néant, telle la pauvre madame Grajat, pour qui j'éprouvais une pitié profonde à cause de la vie désordonnée de son mari et de la misérable mine qu'elle faisait au milieu des papotages sur les couturiers, les courses, les coulisses, et toutes les sortes d'histoires amoureuses.

      Grajat avait été un des témoins de mon mari lors du mariage; il était un de ses plus vieux amis, son «grand confrère». Grajat était un homme d'une cinquantaine d'années, mais d'aspect encore jeune, très robuste, grand, bel homme, avec des cheveux gris épais et drus comme un poil de brosse, des yeux d'un bleu céleste, angéliques, inquiétants, l'encolure d'un taureau, des mains de terrassier. Officier de la Légion d'honneur, inspecteur des travaux de la Ville, une fortune faite, il avait de l'argent dans cinq ou six théâtres, et une liaison affichée avec une artiste du Palais-Royal. Il était un adjudicataire important des travaux de l'Exposition universelle qui se préparait, et il avait procuré à mon mari quelques reconstitutions historiques, qui devaient, affirmait Grajat, surtout en ma présence, lui rapporter sinon de gros bénéfices,—car je ne sais quelle combinaison lui barrait le Pactole,—du moins beaucoup d'honneur, et la croix.

      Il venait dîner à la maison une fois par semaine. Mon mari invitait avec Grajat quelques-uns de ses anciens camarades. Nous ne pouvions guère être plus de quatre ou cinq à table, car notre salle à manger était celle d'un ménage de poupée, et je n'avais, pour servir, qu'une petite femme de chambre, à la grande humiliation du maître de maison qui, plus que la croix, peut-être, ambitionnait les moyens d'avoir un domestique en livrée.

      Entre ces messieurs, il n'était question, dans ce temps-là, quand ce n'était pas du général Boulanger, que de l'Exposition universelle. Il était question de l'Exposition universelle, non pas à un point de vue général, au point de vue du pays, par exemple, ou des sciences, ou des arts, ni même de l'architecture, mais au point de vue des affaires personnelles de tel et tel d'entre eux, en concurrence ou en conflit avec tel ou tel autre, et cela tout le temps du moins que la réunion était dominée par la personne considérable de Grajat. Il est vrai que si la personne considérable de Grajat n'était plus là, elle laissait une trace indélébile sur laquelle tous marchaient à la queue-leu-leu, suivant comme une piste la direction de l'aîné qui avait, en toutes ses entreprises, réussi.

      Leur langage m'étonna longtemps par le contraste qu'il offrait avec celui des hommes que j'avais écoutés autour de ma famille. Ni mon grand-père ni mon père n'agissaient en vue de gagner de l'argent; ils avaient une profession dont ils s'acquittaient presque religieusement, en sachant se contenter de ce qu'elle rapportait; et leur esprit était tourné de telle sorte que l'intérêt national, général, ou l'intérêt moral, occupât en toutes circonstances le premier plan.

      Grajat était «un entrepreneur»; son souci se bornait à exécuter des opérations fructueuses. Toute considération d'un ordre plus élevé eût entravé son élan. C'était un homme utile, indispensable peut-être, et tous ces messieurs, ses amis, qui se trouvaient autour de lui, à ma table, étaient aussi des hommes utiles, indispensables peut-être, à sa suite, et des hommes dont il serait un peu présomptueux à moi de dédaigner le rôle; mais aucun de ces messieurs, autour de Grajat, n'a jamais dit un mot qui pût me laisser seulement soupçonner qu'il pensait à rien hormis à ses honoraires, à ses affaires, et, pour moi, fille et petite-fille d'hommes voués à la vie morale, étaient et devaient demeurer, en dépit de ces amis de mon mari, entachés d'infériorité.

      Nous retrouvions le même état d'esprit chez les Kulm, chez les Lestaffet, chez les Baillé-Calixte, d'autres amis encore des Voulasne, mais avec cette différence que les femmes, dans ces maisons, tenant une grande place et prétendant à l'élégance, chacun s'y efforçait aux belles manières, s'y parait de son mieux, on pourrait dire: s'y endimanchait tous les jours; avec cette différence aussi que, ces maisons étant opulentes, attiraient une clientèle nombreuse où les débris d'une société ancienne et plus polie se mêlaient, quêtant des emplois lucratifs, chantant, dansant, faisant mille pitreries, allant jusqu'à aimer pour obtenir une bouchée de pain.

      Madame de Lestaffet d'origine slave, avait conservé, de ce premier chapitre, incertain, de sa biographie, un accent léger qui charmait dans sa bouche. Elle avait une physionomie peu expressive, mais sa grâce de bel animal était encore très puissante sur les hommes. Madame Kulm appartenait à une honorable famille parisienne; elle avait eu, jeune fille, une aventure beaucoup trop retentissante. Elle montrait une figure chiffonnée, un nez de trottin, des dents de souris, des yeux de gavroche crevant de malice. Ces messieurs se racontaient avec stupeur ses audaces. Elle avait le goût vulgaire et s'en flattait. «Avec elle, disaient ces messieurs, à la bonne heure, on est à l'aise!»

      Quant à madame Baillé-Calixte, née Calixte, elle était fille d'un restaurateur connu. C'était une femme très instruite, la plus intelligente et de beaucoup, dans ces réunions. Elle avait pour son mari, et pour la situation de son mari, qu'elle confondait avec lui, un dévouement sans limites. Toutes ses inclinations, on le voyait,—on le voyait trop, dans ce monde-là,—étaient pour la vie bourgeoise la plus traditionnelle et conventionnelle, mais, une fois admis le principe qu'une femme peut servir son mari et la situation de son mari, elle ne concevait plus aucun discernement, aucun choix dans les moyens d'atteindre cette fin. Elle adoptait cette société non par penchant mais par vertu; elle l'adoptait de propos délibéré, et elle en adoptait tous les rites, ayant la terreur d'y être suspecte, d'y paraître déplacée. Son mari venait de donner toute l'ampleur d'une industrie à la fabrication des bicyclettes, il avait une foi d'apôtre dans le succès prochain des moyens mécaniques de locomotion. Madame Baillé-Calixte suivait son mari, et «travaillait» avec son mari, dans les milieux où celui-ci trouvait des hommes, des capitaux, et tout un public neuf, pour seconder ses entreprises. Madame Baillé-Calixte, excellente mère de famille, qui avait été la nourrice de ses quatre enfants, qui élevait ses filles avec un soin et des scrupules inouïs, adoptait le ton de madame Kulm et de madame de Lestaffet, se laissait dire des choses «colossales», et parfaitement


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