Les voyageurs du XIXe siècle. Jules VerneЧитать онлайн книгу.
de terre de 1803. Le marché qui se tient dans cette ville, la difficulté de se procurer des vivres dans les villages plus élevés, sa position centrale,—là viennent aboutir les routes de Djemauhi, Kedar-Nath et Srinagar,—ont dû contribuer à donner, de tout temps, une certaine importance à cette localité. A partir de Batheri, la route devint si mauvaise qu'il fallut abandonner les bagages. Le chemin n'étant bientôt plus qu'un sentier qui côtoyait des précipices, au milieu d'éboulis de cailloux et de rochers, on dut renoncer à aller plus loin.
Devaprayaga est située au confluent du Baghirati et de l'Alcananda. Le premier de ces cours d'eau, qui vient du Nord, roule avec fracas et impétuosité; le second, plus paisible, plus profond et plus large, n'en monte pas moins de quarante-six pieds au-dessus de son niveau ordinaire, pendant la saison des pluies. C'est la jonction de ces deux rivières qui forme le Gange.
Là est un lieu saint et vénéré dont les brahmines ont su tirer un excellent parti, en établissant des sortes de piscines où, moyennant une redevance, les pèlerins peuvent faire leurs ablutions, sans risquer d'être emportés par le courant.
L'Alcananda fut passé sur un pont à coulisse ou «dindla.»
«Ce pont consiste, dit la relation, en trois ou quatre grosses cordes fixées aux deux rives et auxquelles on suspend, par des cerceaux placés à chacune de ses extrémités, un petit coffre de dix-huit pouces carrés. Le voyageur s'y assoit et on le fait passer d'une rive à l'autre par le moyen d'une corde que tire un homme placé sur la rive opposée.»
Le 13 mai, l'expédition entrait à Srinagar. La curiosité des habitants était tellement surexcitée, que les magistrats envoyèrent un message aux Anglais pour les prier de se promener dans la ville.
Déjà visitée en 1796 par le colonel Hardwick, Srinagar avait été démolie presque entièrement par le tremblement de terre de 1803, et, en outre, conquise la même année par les Gorkhalis. C'est dans cette ville que Webb fut rejoint par les émissaires qu'il avait envoyés à Gangautri sur la route que lui-même n'avait pu suivre. Ils avaient visité la source du Gange.
«Un grand rocher, dit-il, des deux côtés duquel l'eau coulait et était très peu profonde, offrait une ressemblance grossière avec le corps et la bouche d'une vache. C'est à un creux qui se trouve à une extrémité de sa surface, que l'imagination a attaché l'idée de l'objet qu'elle croyait voir en le nommant Gaoumokhi, ou la bouche de la vache, qui, selon le bruit populaire, vomit l'eau du fleuve sacré. Un peu plus loin, il est impossible d'avancer; les Indous avaient en face une montagne escarpée comme un mur; le Gange paraissait sortir de dessous la neige qui était au pied; la vallée se terminait en ce lieu... Personne n'est jamais allé au delà.»
Pour revenir, la mission ne suivit pas le même itinéraire. Elle vit les confluents du Gange et du Keli-Ganga ou Mandacni, grande rivière sortie des monts du Kerdar, croisa sur sa route d'immenses troupeaux de chèvres et de moutons chargés de grains, traversa un grand nombre de défilés, passa par les villes de Badrinath, de Manah, enfin arriva par un froid rigoureux et sous une neige intense à la cascade de Barsou.
«C'est ici, dit Webb, le terme des dévotions des pèlerins. Quelques-uns y viennent pour se faire arroser par la pluie d'eau sainte de la cascade. On distingue, en ce lieu, le cours de l'Alcananda jusqu'à l'extrémité de la vallée au sud-ouest, mais son lit est entièrement caché sous des monceaux de neige, qui s'y sont probablement accumulés depuis des siècles.»
Webb nous donne aussi quelques détails sur les femmes de Manah. Elles avaient au cou, aux oreilles, au nez, des colliers et des ornements d'or et d'argent qui ne s'accordaient aucunement avec leur mise grossière. Quelques enfants portaient aux bras et au cou des anneaux et des colliers d'argent pour la valeur de six cents roupies.
En hiver, cette ville, qui fait un grand commerce avec le Thibet, est complètement ensevelie sous la neige. Aussi les habitants se réfugient-ils dans les villes voisines.
A Badrinath, la mission visita le temple renommé, au loin, pour sa sainteté. Sa structure et son apparence, tant extérieure qu'intérieure, ne donnent aucune idée des sommes immenses que coûte son entretien. C'est un des sanctuaires les plus anciens et les plus vénérés de l'Inde. Les ablutions s'y font dans des bassins alimentés par une eau sulfureuse très chaude.
«On compte un grand nombre de sources chaudes, dit la relation, qui ont, chacune, leur dénomination et leur vertu particulière, et dont, sans doute, les brahmines savent tirer bon parti. C'est ainsi que le pauvre pèlerin, en pratiquant successivement les ablutions requises, voit diminuer sa bourse ainsi que la somme de ses péchés, et les nombreux péages qu'on lui demande sur ce chemin du paradis peuvent lui donner lieu de penser que la voie étroite n'est pas la moins coûteuse.»
Ce temple possède sept cents villages, concédés par le gouvernement, donnés en garantie de prêts ou achetés par de simples particuliers qui en ont fait offrande.
La mission était à Djosimah le 1er juin. Là, le brahmine qui lui servait de guide reçut, du gouvernement du Népaul, l'ordre de reconduire au plus vite les voyageurs sur les terres de la Compagnie. Celui-ci comprenait, un peu tard, il faut en convenir, que la reconnaissance accomplie par les Anglais avait un but politique tout autant que géographique. Un mois plus tard, Webb et ses compagnons rentraient à Delhi, après avoir établi définitivement le haut cours du Gange et reconnu les sources du Baghirati et de l'Alcananda, c'est-à-dire après avoir complètement atteint le but que la Compagnie s'était proposé.
En 1808, le gouvernement anglais résolut d'envoyer une nouvelle mission dans le Pendjab, alors placé sous la domination de Rendjeit-Singh. La relation anonyme qui en a été publiée dans les Annales des Voyages renferme certaines particularités intéressantes. Aussi lui ferons-nous quelques emprunts.
Le 6 avril 1808, l'officier anglais, chargé de la mission, arriva à Herdouar, ville qu'il représente comme le rendez-vous d'un million d'individus au moment de sa foire annuelle. A Boria, située entre la Jumna et le Seteedje, le voyageur fut en butte à la curiosité indiscrète des femmes, qui lui demandèrent la permission de venir le voir.
«Leurs regards et leurs gestes, dit la relation, exprimaient leur étonnement. Elles s'approchèrent de moi en riant de tout leur cœur; le teint de mon visage excitait leur gaieté. Elles m'adressèrent une foule de questions, me demandèrent si je ne portais pas de chapeau, si j'exposais ma figure au soleil, si je restais toujours renfermé ou si je ne sortais que sous un abri et si je couchais sur la table placée dans ma tente; mon lit se trouvait cependant tout à côté, mais les rideaux en étaient fermés. Ensuite, elles l'examinèrent dans le plus grand détail, puis la doublure de ma tente et tout ce qui en dépendait. Elles avaient toutes des figures gracieuses; leurs traits offraient de la douceur et de la régularité; leur teint était olivâtre et formait un contraste agréable avec leurs dents blanches et bien rangées, particularité qui distingue tous les habitants du Pendjab.»
Moustafabad, Moulana et Umballa furent successivement visitées par l'officier anglais. Le pays qu'il traversait est habité par les Sikhs, dont la bienfaisance, l'hospitalité et l'amour de la vérité forment le fond du caractère. C'est, dit l'auteur, la meilleure race d'hommes de l'Inde. Patiata, Makeouara, Fegouara, Oudamitta, où lord Lake était entré en 1805 à la poursuite d'un chef mahratte, et enfin Umritsar, furent des étapes facilement franchies.
Umritsar est mieux bâtie que les principales villes de l'Hindoustan. C'est le plus grand entrepôt du commerce des châles et du safran, ainsi que d'autres marchandises du Dekkan.
«Le 14, ayant mis des souliers blancs à mes pieds, dit le voyageur, j'ai visité avec les cérémonies requises l'Amretsir ou le bassin du breuvage de l'immortalité, d'où la ville a pris son nom. C'est un bassin d'environ cent trente-cinq pas carrés, construit en briques cuites, au milieu duquel s'élève un joli temple dédié à Gourougovind-Singh. On y arrive par une chaussée; il est élégamment décoré en dedans et en dehors, et le rajah y ajoute souvent de nouveaux ornements à ses frais. C'est dans ce lieu sacré qu'est placé, sous un dais de soie, le livre des lois écrit par Gourou en caractères gourou-moukhtis. Le temple s'appelle Hermendel,