Les voyageurs du XIXe siècle. Jules VerneЧитать онлайн книгу.
permission de l'ensevelir, ce qui me fut accordé sur-le-champ. Je fis creuser une fosse sous un mimosa, auprès d'une des portes de la ville. Après que le corps eut été lavé selon l'usage du pays, je le fis revêtir avec des châles à turbans que nous avions pour en faire des présents. Nos domestiques le portèrent, et, avant de le confier à la terre, je lus le service funèbre de l'Église d'Angleterre. Je fis ensuite entourer le modeste tombeau d'un mur en terre pour le préserver des animaux carnassiers, et je fis tuer deux moutons, que je distribuai aux pauvres.»
Ainsi s'éteignit misérablement le docteur Oudney, chirurgien de marine assez instruit en histoire naturelle. La terrible maladie dont il avait apporté les germes d'Angleterre, ne lui avait pas permis de rendre à l'expédition tous les services que le gouvernement attendait de lui, et pourtant, il ne ménageait pas ses forces, disant qu'il se sentait moins mal en voyage qu'au repos. Sentant que sa constitution épuisée ne lui permettait pas un travail assidu, jamais il n'avait voulu mettre une entrave au zèle de ses compagnons.
Après cette triste cérémonie, Clapperton reprit sa route vers Kano. Digou, ville située au milieu d'un pays bien cultivé et qui nourrit de nombreux troupeaux; Katoungoua, qui n'est plus dans la province de Katagoum; Zangeia, située près de l'extrémité de la chaîne des collines de Douchi et qui doit avoir été considérable, à en juger d'après l'étendue de ses murailles encore debout; Girkoua, dont le marché est plus beau que celui de Tripoli; Sochwa, entourée d'un haut rempart d'argile, telles furent les principales étapes du voyageur, avant son entrée à Kano, qu'il atteignit le 20 janvier.
Kano, la Chana d'Édrisi et des autres géographes arabes, est le grand rendez-vous du royaume de Haoussa.
«A peine eus-je passé les portes, dit Clapperton, que je fus étrangement déçu dans mon attente. D'après la brillante description que m'en avaient faite les Arabes, je m'attendais à voir une ville d'une étendue immense. Les maisons étaient à un quart de mille des murailles, et dans quelques endroits réunies en petits groupes séparés par de larges mares d'eau stagnante. J'aurais pu me dispenser de mes frais de toilette (il avait revêtu son uniforme d'officier de marine); tous les habitants, occupés à leurs affaires, me laissèrent passer tranquillement sans me remarquer et sans tourner les yeux vers moi.»
Kano, la capitale de la province de même nom et l'une des principales villes du Soudan, est située par 12°0´19´´ de latitude nord et 9°20´ de longitude est.
Il peut y avoir dans cette capitale trente ou quarante mille habitants, dont plus de la moitié sont esclaves.
Le marché, qui est bordé à l'est et à l'ouest par de grands marécages plantés de roseaux, est la retraite de nombreuses bandes de canards, de cigognes et de vautours, qui servent de boueurs à la ville. Dans ce marché, fourni de toutes les provisions en usage en Afrique, on voit de la viande de bœuf, de mouton, de chèvre et quelquefois de chameau.
«Les bouchers du pays, raconte le voyageur, sont aussi avisés que les nôtres; ils pratiquent quelques coupures pour mettre la graisse en évidence, ils soufflent la viande, et même, quelquefois, ils collent un morceau de peau de mouton à un gigot de chèvre.»
Du papier à écrire, produit des manufactures françaises, des ciseaux et des couteaux de fabrication indigène, de l'antimoine, de l'étain, de la soie rouge, des bracelets de cuivre, des grains de verroterie, du corail, de l'ambre, des bagues d'étain, quelques bijoux en argent, des châles à turban, de la toile de coton, du calicot, des habillements mauresques et bien d'autres objets encore, voilà ce qu'on trouve abondamment sur le marché de Kano.
Clapperton y acheta, pour trois piastres, un parapluie anglais en coton, venu par Ghadamès. Il visita aussi le marché aux esclaves, où ces malheureux sont examinés très minutieusement «et avec le même soin que les officiers de santé visitent les volontaires qui entrent dans la marine.»
La ville est très malsaine; les marais qui la partagent à peu près par la moitié et les trous qu'on creuse dans le sol, pour se procurer la terre nécessaire aux constructions, y engendrent une sorte de mal'aria permanente.
A Kano, la grande mode est de se teindre les dents et les lèvres avec les fleurs du «gourgi» et du tabac, qui les colorent en rouge sanguin. On mâche la noix de gouro, on la prise même, mêlée avec du «trona», usage qui n'est pas particulier au Haoussa, car on le retrouve également dans le Bornou, où il est cependant interdit aux femmes. Enfin les Haoussani fument un tabac originaire du pays.
Le 23 février, Clapperton partit pour Sockatou. Il traversa un pays pittoresque et bien cultivé, auquel des bosquets, disséminés sur les collines, donnaient une sorte de ressemblance avec un parc anglais. Des troupeaux de beaux bœufs blancs ou d'un gris cendré animaient le paysage.
Les localités les plus importantes que Clapperton rencontra sur sa route sont Gadania, ville très peu peuplée, dont les habitants avaient été vendus comme esclaves par les Felatahs, Doncami, Zirmie, capitale du Zambra, Kagaria, Kouara et les puits de Kamoun, où le rejoignit une escorte envoyée par le sultan.
Sockatou était la ville la plus peuplée que le voyageur eût vue en Afrique. Ses maisons, bien bâties, formaient des rues régulières, au lieu d'être réunies en groupes, comme dans les autres villes du Haoussa. Entourée d'une muraille de vingt à trente pieds d'élévation, percée de douze portes qu'on fermait régulièrement au coucher du soleil, Sockatou possédait deux grandes mosquées, un marché spacieux et une grande place devant la demeure du sultan.
Les habitants, qui, pour la plupart, sont Felatahs, ont beaucoup d'esclaves, et, de ces derniers, ceux qui ne sont pas occupés aux travaux intérieurs, exercent quelque métier pour le compte de leurs maîtres; ils sont tisserands, maçons, forgerons, cordonniers ou cultivateurs.
Pour faire honneur à ses hôtes, pour leur donner une haute idée de la puissance et de la richesse de l'Angleterre, Clapperton ne voulut paraître devant le sultan Bello que dans une toilette éblouissante. Il revêtit son uniforme aux galons d'or, mit un pantalon blanc et des bas de soie; puis, il s'affubla, pour compléter son costume de carnaval, d'un turban et de babouches turques. Bello le reçut assis sur un tapis entre deux colonnes supportant le toit de chaume d'une cabane, qui ressemblait assez à un cottage anglais. Ce sultan était un bel homme d'environ quarante-cinq ans, vêtu d'un «tobé» de coton bleu et d'un turban blanc dont le châle lui cachait le nez et la bouche, selon la mode turque.
Bello accepta avec une joie d'enfant les présents que lui apportait le voyageur. Ce qui lui fit le plus de plaisir, ce fut la montre, le télescope et le thermomètre, qu'il appelait ingénieusement «une montre de chaleur.» Mais, de toutes ces curiosités, celle qu'il trouvait la plus merveilleuse, c'était le voyageur lui-même. Il ne pouvait se lasser de l'interroger sur les mœurs, les habitudes, le commerce de l'Angleterre. A plusieurs reprises, Bello manifesta le désir d'entrer en relations de commerce avec cette puissance; il aurait voulu qu'un consul et qu'un médecin anglais résidassent dans un port qu'il appelait Raka; enfin, il demandait que certains objets des manufactures de la Grande-Bretagne lui fussent expédiés à la côte maritime, où il possédait une ville très commerçante, nommée Funda. Après nombre de conversations sur les différents cultes de l'Europe et bien d'autres matières, Bello rendit à Clapperton les livres, journaux et vêtements qui avaient été pris à Denham, lors de la malheureuse razzia dans laquelle Bou-Khaloum perdit la vie.
Le 3 mai, le voyageur fit ses adieux au sultan.
«Après beaucoup de tours et de détours, dit-il, je fus enfin admis en présence de Bello, qui était seul et qui me remit incontinent une lettre pour le roi d'Angleterre, en m'assurant de ses sentiments d'amitié pour notre nation. Il exprima, de nouveau, tout son désir d'entretenir des relations avec nous et me pria de lui écrire l'époque à laquelle l'expédition anglaise (dont Clapperton lui avait promis l'envoi) arriverait sur les côtes.»
Clapperton reprit la route qu'il avait suivie en venant et rentra, le 8 juillet, à Kouka, où il retrouva le major Denham. Il rapportait un manuscrit arabe, contenant un tableau historique et géographique du royaume de Takrour, gouverné par Mohammed Bello de Haoussa, fait et composé par ce prince.