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Les Rejetés. Owen JonesЧитать онлайн книгу.

Les Rejetés - Owen Jones


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étrangère, avant de tourner son regard vers sa femme.

      — Tu as envie d’aller aux toilettes, Heng ? Ça fait un moment ; tu n’es pas gêné ? Tu veux y aller maintenant, ou est-ce que je devrais t’amener un seau ?

      — Bonne idée. Non, je vais aller aux toilettes en bas, mais laissez-moi d’abord boire un peu plus de milkshake. »

      Ne sachant pas quelle dose était recommandable, elles le laissèrent en boire autant qu’il voulut, et Heng consomma ainsi le litre entier.

      Da l’observa tandis que Wan l’aidait à s’habiller. Heng devint plus actif au fur et à mesure que le milkshake faisait effet.

      « Finis de t’habiller et descendons, mon chéri. »

      Les deux femmes lui prirent chacune un bras et l’aidèrent à se mettre debout. Il trembla. Il était comme un vélo avec une roue lâche. Une fois dehors sur le palier, il tressaillit légèrement en réaction à la lumière vive du jour, mais tout le monde en aurait fait de même après avoir passé un jour et demi dans une pièce obscure. Den et Din regardèrent leur père descendre les escaliers, assisté par sa tante et sa femme tel une sorte de dipsomane.

      Ils furent horrifiés par son apparence si frêle et différente. Heng avait toujours été fin, mais il était désormais décharné, blanc comme neige, et doté de deux amandes rouges en guise d’yeux. Ils s’approchèrent de lui alors qu’il montait sur la table pour prendre l’air.

      « Den, est-ce que tu as encore tes vieilles lunettes de soleil ? Je crois que ton père va en avoir besoin aujourd’hui. Ces yeux sont un peu sensibles, expliqua Da. Est-ce que tu arriveras à le faire aller aux toilettes seule, Wan, ou est-ce qu’il faut que Den t’aide ?

      — Non, je m’en sortirai, je pense. »

      Sur ces mots, elle conduisit Heng faire ses besoins, tandis qu’il se protégeait les yeux avec sa main libre. Quand ils l’aidèrent à reprendre place sur la table quinze minutes plus tard, il sembla exténué par l’effort.

      « Din, monte vite prendre un drap et quelques coussins, tu veux bien ? Ton père va se reposer en bas aujourd’hui, histoire de prendre l’air et de voir un peu la lumière du jour. Il n’a jamais passé autant de temps à l’intérieur de toute sa vie, donc son corps n’a pas l’habitude. Regarde-le un peu… »

      Pendant ce temps, Heng faisait passer son regard de personne en personne au fur et à mesure de la prise de parole sans sembler comprendre quoi que ce fût. Ils firent en sorte qu’il fût confortable à l’aide de la literie et Den lui apporta ses lunettes de soleil aux verres noirs et réfléchissants dont il avait été si fier dix ans plus tôt, lorsqu’elles étaient encore à la mode.

      Affublé de la sorte, Heng ressemblait à une espèce d’oiseau bizarre, adossé à un pilier de support de l’abri, enveloppé dans un drap blanc avec ses lunettes de soleil sur le nez.

      « Bon, les enfants, je pense qu’il serait bien que vous alliez préparer un peu plus de milkshake pour votre père. Il a l’air d’avoir très faim aujourd’hui, ce qui est un bon signe. Ça montre qu’on s’en sort bien !

      — Tu te sens bien mieux aujourd’hui, Paw, non ? »

      Ils attendirent tous sa réaction, et il se contenta d’opiner du chef, ressemblant ce faisant remarquablement à une chouette. Den et Din s’éloignèrent en gloussant, trouvant cela très difficile de reconnaître en cette créature le père qu’ils avaient encore connu il y avait de cela vingt-quatre heures.

      « Tu penses que je devrais cuisiner quelque chose pour Heng ce soir, Tante Da ?

      — Ça ne lui fera pas de mal, à supposer qu’il mange, mais ça ne se substituera pas au milkshake.

      — Heng, est-ce que tu voudras manger quelque chose avec nous plus tard ?

      Heng inclina sa tête d’un côté, puis de l’autre, et fixa sa femme.

      — Que vas-tu cuisiner ce soir, Wan ? demanda Da.

      — Du poulet ou du porc… Ce qu’il préférera. »

      Heng continua de faire passer son regard de l’une à l’autre comme s’il était un étranger dans un pays dont il ne connaissait pas la langue.

      « Pourquoi tu ne lui demandes pas ? Il n’est pas devenu débile, ou du moins je ne pense pas.

      — Tu préférerais manger quoi ce soir, Heng ? Du porc ou du poulet ?

      Il la fixa pendant quelques secondes avant de finalement répondre :

      — De l’enfant…

      — Lequel ? Non, plus sérieusement, Heng ; tu ne peux pas manger les enfants… Ça ne serait pas correct.

      — Pas les nôtres… Des enfants de chèvre… On en a quelques-uns, non ? demanda-t-il.

      — Oui, il nous en reste quelques-uns, mais je croyais que tu voulais les garder pour les ajouter au troupeau.

      — Juste un seul.

      — Bon, d’accord, Heng. Comme tu es malade, je veux bien te cuisiner une côtelette d’agneau ce soir, et nous, nous mangerons du porc.

      — Je veux ma part saignante et faite au barbecue, pas en curry, Wan. J’ai une grosse envie de bonne viande bien rouge. »

      Les enfants furent soulagés que leur père n’eût pas l’intention de les dévorer aussi, du moins pas encore.

      Lorsqu’il sembla que Heng s’était endormi en attendant le dîner, Den demanda à sa mère si elle pensait qu’il allait vouloir les manger un jour.

      « Oh, je ne pense pas, Den. Il suffit qu’on s’assure de satisfaire ses appétits, même si on ne les connaît pas exactement pour l’instant. Tante Da, qu’est-ce que tu penses de la situation de Heng ?

      — Je pense que son cas est très intéressant… Vraiment très intéressant. Vous noterez qu’il était à l’article de la mort hier, alors que, maintenant, il gagne en force chaque heure qui passe, même s’il semble ne plus être le Heng que nous avons connu et aimé. Nous allons devoir attendre de voir comment ce Heng va évoluer, ou peut-être que nous finirons par récupérer l’ancien une fois qu’il se sera habitué à ce nouveau régime et remis du temps passé sans bon sang dans son corps. Votre avis sur la question n’est peut-être pas aussi instruit que le mien, mais j’avoue que c’est aussi un nouveau territoire pour moi, et j’improvise au fur et à mesure avec quelques suggestions de mes amis les esprits, même si un d’entre eux m’a soufflé qu’il aurait été plus magnanime de le tuer et de le laisser recommencer une nouvelle vie depuis zéro. Que penses-tu de cette suggestion, Wan ?

      — Euh, pour être honnête, je pense que c’est une mesure assez drastique. Tu ne crois pas ?

      — Si, je suis d’accord avec toi, et c’est bien pour ça que je n’en ai pas parlé, même si ça reste une option au cas où les choses devaient évoluer dans le mauvais sens. »

      Heng sembla être endormi durant toute cette conversation, mais aucune des deux femmes ne songea à le vérifier.

      « Est-ce que tu penses qu’il souffre, Tante Da ?

      — Il a l’air paisible, non ? Il parle de nouveau et il ne nous a fait part d’aucun inconfort, donc je ne me ferais pas trop de souci concernant son état physique à ta place, mais tu le connais mieux que quiconque, ce qui veut dire qu’il t’incombe de le surveiller pour repérer les signes d’un changement mental et de m’en faire part pour que l’on puisse en discuter.

      — D’accord, Tante Da. Je ferai ça. Si tu as d’autres choses à faire, ne nous laisse pas te retenir plus longtemps. Les enfants sont de vrais anges – ils ont pris en charge toutes les corvées pour que je puisse rester avec Heng, mais, si tu veux être reconduite, on peut


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