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Les confessions. Jean-Jacques RousseauЧитать онлайн книгу.

Les confessions - Jean-Jacques Rousseau


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femme, et l’on y trouvera dans la suite des bizarreries auxquelles on ne s’attend pas.

      Il fut question de ce que je deviendrais, et pour en causer plus à loisir, elle me retint à dîner. Ce fut le premier repas de ma vie où j’eusse manqué d’appétit, et sa femme de chambre, qui nous servait, dit aussi que j’étais le premier voyageur de mon âge et de mon étoffe qu’elle en eût vu manquer. Cette remarque, qui ne me nuisit pas dans l’esprit de sa maîtresse, tombait un peu à plomb sur un gros manant qui dînait avec nous et qui dévora, lui tout seul, un repas honnête pour six personnes. Pour moi, j’étais dans un ravissement qui ne me permettait pas de manger. Mon cœur se nourrissait d’un sentiment tout nouveau dont il occupait tout mon être; il ne me laissait des esprits pour nulle autre fonction.

      Mme de Warens voulut savoir les détails de ma petite histoire; je retrouvai pour la lui conter tout le feu que j’avais perdu chez mon maître. Plus j’intéressais cette excellente âme en ma faveur, plus elle plaignait le sort auquel j’allais m’exposer. Sa tendre compassion se marquait dans son air, dans son regard, dans ses gestes. Elle n’osait m’exhorter à retourner à Genève. Dans sa position c’eût été un crime de lèse-catholicité, et elle n’ignorait pas combien elle était surveillée et combien ses discours étaient pesés. Mais elle me parlait d’un ton si touchant de l’affliction de mon père, qu’on voyait bien qu’elle eût approuvé que j’allasse le consoler. Elle ne savait pas combien, sans y songer, elle plaidait contre elle-même. Outre que ma résolution était prise, comme je crois l’avoir dit, plus je la trouvais éloquente, persuasive, plus ses discours m’allaient au cœur, et moins je pouvais me résoudre à me détacher d’elle. Je sentais que retourner à Genève était mettre entre elle et moi une barrière presque insurmontable, à moins de revenir à la démarche que j’avais faite, et à laquelle mieux valait me tenir tout d’un coup. Je m’y tins donc. Mme de Warens, voyant ses efforts inutiles, ne les poussa pas jusqu’à se compromettre; mais elle me dit avec un regard de commisération: «Pauvre petit, tu dois aller où Dieu t’appelle; mais quand tu seras grand, tu te souviendras de moi». je crois qu’elle ne pensait pas elle-même que cette prédiction s’accomplirait si cruellement.

      La difficulté restait tout entière. Comment subsister si jeune hors de mon pays? À peine à la moitié de mon apprentissage, j’étais bien loin de savoir mon métier. Quand je l’aurais su, je n’en aurais pu vivre en Savoie, pays trop pauvre pour avoir des arts. Le manant qui dînait pour nous, forcé de faire une pause pour reposer sa mâchoire, ouvrit un avis qu’il disait venir du Ciel, et qui, à juger par les suites, venait bien plutôt du côté contraire; c’était que j’allasse à Turin, où, dans un hospice établi pour l’instruction des catéchumènes, j’aurais, dit-il, la vie temporelle et spirituelle, jusqu’à ce que, entré dans le sein de l’Église, je trouvasse, par la charité des bonnes âmes, une place qui me convînt. À l’égard des frais du voyage, continua mon homme, Sa Grandeur Mgr l’évêque ne manquera pas, si madame lui propose cette sainte œuvre, de vouloir charitablement y pourvoir, et madame la baronne, qui est si charitable, dit-il en s’inclinant sur son assiette, s’empressera sûrement d’y contribuer aussi.

      Je trouvai toutes ces charités bien dures: j’avais le cœur serré, je ne disais rien, et Mme de Warens, sans saisir ce projet avec autant d’ardeur qu’il était offert, se contenta de répondre que chacun devait contribuer au bien selon son pouvoir, et qu’elle en parlerait à Monseigneur: mais mon diable d’homme, qui craignit qu’elle n’en parlât pas à son gré, et qui avait son petit intérêt dans cette affaire, courut prévenir les aumôniers, et emboucha si bien les bons prêtres, que quand Mme de Warens, qui craignait pour moi ce voyage, en voulut parler à l’évêque, elle trouva que c’était une affaire arrangée, et il lui remit à l’instant l’argent destiné pour mon petit viatique. Elle n’osa insister pour me faire rester: j’approchais d’un âge où une femme du sien ne pouvait décemment vouloir retenir un jeune homme auprès d’elle.

      Mon voyage étant ainsi réglé par ceux qui prenaient soin de moi, il fallut bien me soumettre et c’est même ce que je fis sans beaucoup de répugnance. Quoique Turin fût plus loin que Genève, je jugeai qu’étant la capitale, elle avait avec Annecy des relations plus étroites qu’une ville étrangère d’État et de Religion; et puis, partant pour obéir à Mme de Warens, je me regardais comme vivant toujours sous sa direction; c’était plus que de vivre à son voisinage. Enfin l’idée d’un grand voyage flattait ma manie ambulante, qui déjà commençait à se déclarer. Il me paraissait beau de passer les monts à mon âge, et de m’élever au-dessus de mes camarades de toute la hauteur des Alpes. Voir du pays est un appât auquel un Genevois ne résiste guère. Je donnai donc mon consentement. Mon manant devait partir dans deux jours avec sa femme. Je leur fus confié et recommandé. Ma bourse leur fut remise, renforcée par Mme de Warens qui de plus me donna secrètement un petit pécule, auquel elle joignit d’amples instructions, et nous partîmes le mercredi saint.

      Le lendemain de mon départ d’Annecy, mon père y arriva courant à ma piste avec un M. Rival, son ami, horloger comme lui, homme d’esprit, bel esprit même, qui faisait des vers mieux que La Motte et parlait presque aussi bien que lui; de plus, parfaitement honnête homme, mais dont la littérature déplacée n’aboutit qu’à faire un de ses fils comédien.

      Ces messieurs virent Mme de Warens et se contentèrent de pleurer mon sort avec elle, au lieu de me suivre et de m’atteindre, comme ils l’auraient pu facilement, étant à cheval et moi à pied. La même chose était arrivée à mon oncle Bernard. Il était venu à Confignon, et de là, sachant que j’étais à Annecy, il s’en retourna à Genève. Il semblait que mes proches conspirassent avec mon étoile pour me livrer au destin qui m’attendait. Mon frère s’était perdu par une semblable négligence, et si bien perdu qu’on n’a jamais su ce qu’il était devenu.

      Mon père n’était pas seulement un homme d’honneur, c’était un homme d’une probité sûre, et il avait une de ces âmes fortes qui font les grandes vertus; de plus, il était bon père, surtout pour moi. Il m’aimait très tendrement; mais il aimait aussi ses plaisirs, et d’autres goûts avaient un peu attiédi l’affection paternelle depuis que je vivais loin de lui. Il s’était remarié à Nyon, et quoique sa femme ne fût plus en âge de me donner des frères, elle avait des parents; cela faisait une autre famille, d’autres objets, un nouveau ménage, qui ne rappelait plus si souvent mon souvenir. Mon père vieillissait et n’avait aucun bien pour soutenir sa vieillesse. Nous avions, mon frère et moi, quelque bien de ma mère, dont le revenu devait appartenir à mon père durant notre éloignement. Cette idée ne s’offrait pas à lui directement, et ne l’empêchait pas de faire son devoir; mais elle agissait sourdement sans qu’il s’en aperçût lui-même, et ralentissait quelquefois son zèle qu’il eût poussé plus loin sans cela. Voilà, je crois, pourquoi, venu d’abord à Annecy sur mes traces, il ne me suivit pas jusqu’à Chambéry, où il était moralement sûr de m’atteindre. Voilà pourquoi encore l’étant allé voir souvent depuis ma fuite, je reçus toujours de lui des caresses de père, mais sans grands efforts pour me retenir.

      Cette conduite d’un père dont j’ai si bien connu la tendresse et la vertu m’a fait faire des réflexions sur moi-même qui n’ont pas peu contribué à me maintenir le cœur sain. J’en ai tiré cette grande maxime de morale, la seule peut-être d’usage dans la pratique, d’éviter les situations qui mettent nos devoirs en opposition avec nos intérêts, et qui nous montrent notre bien dans le mal d’autrui, sûr que, dans de telles situations, quelque sincère amour de la vertu qu’on y porte, on faiblit tôt ou tard sans s’en apercevoir, et l’on devient injuste et méchant dans le fait, sans avoir cessé d’être juste et bon dans l’âme.

      Cette maxime fortement imprimée au fond de mon cœur, et mise en pratique, quoiqu’un peu tard, dans toute ma conduite, est une de celles qui m’ont donné l’air le plus bizarre et le plus fou dans le public, et surtout parmi mes connaissances. On ma imputé de vouloir être original et faire autrement que les autres. En vérité, je ne songeais guère à faire ni comme les autres ni autrement qu’eux. Je désirais sincèrement de faire ce qui était bien. Je me


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