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Vie de Henri Brulard, tome 2. StendhalЧитать онлайн книгу.

Vie de Henri Brulard, tome 2 - Stendhal


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nous les trouvâmes fort effrayées du coup de pistolet et occupées à lire la Bible81.

      En deux mots nous leur disons: on nous poursuit, dites que nous avons passé ici la soirée. Nous nous asseyons, presque en même temps on sonne à arracher la sonnette; pour nous, nous sommes assis à écouter la Bible, je crois même que l'un de nous prend le livre.

      Les commissaires entrent. Qui ils étaient, je n'en sais rien; je les regardais fort peu, apparemment.

      «Ces citoyens ont-ils passé la soirée ici?

      – Oui, messieurs; oui, citoyens,»dirent en se reprenant les pauvres dévotes effrayées. Je crois que leur frère, M. Caudey, vieux commis employé depuis quarante-cinq ans à l'hôpital, était avec elles.

      Il fallait que ces commissaires ou citoyens zélés fussent bien peu clairvoyants ou bien disposés pour M. Gagnon, qui était vénéré de toute la ville, à partir de M. le baron des Adrets jusqu'à Poulet, le gargotier, car notre trouble devait nous faire faire une étrange figure au milieu de ces pauvres dévotes hors d'elles-mêmes par la peur. Peut-être cette peur, qui était aussi grande que la nôtre, nous sauva, toute l'assemblée devait avoir la même mine effarée.

      Les commissaires répétèrent deux ou trois fois leur question: «Les citoyens ont-ils passé ici toute la soirée? Personne n'est-il entré depuis que vous avez entendu tirer le coup de pistolet?»

      Le miraculeux, auquel nous songeâmes depuis, c'est que ces vieilles jansénistes aient voulu mentir. Je crois qu'elles se laissèrent aller à ce péché par vénération pour mon grand-père.

      Les commissaires prirent nos noms et enfin déguerpirent.

      Les compliments furent courts de nous à ces demoiselles. Nous prêtâmes l'oreille; quand nous n'entendîmes plus les commissaires, nous sortîmes, et continuâmes à monter vers le passage82.

      Mante et Treillard83, plus agiles que nous et qui étaient entrés dans la porte G84 avant nous, nous contèrent le lendemain que quand ils parvinrent à la porte G', sur la Grande-rue, ils la trouvèrent occupée par deux gardes. Ces Messieurs se mirent à parler de l'amabilité des demoiselles avec qui ils avaient passé la soirée, les gardes ne leur firent aucune question et ils filèrent.

      Leur récit m'a fait tellement l'impression de la réalité que je ne saurais dire si ce ne fut pas Colomb et moi qui sortîmes85 en parlant de l'amabilité de ces demoiselles.

      Il me semblerait plus naturel que Colomb et moi entrâmes dans la maison, puis il s'en alla une demi-heure après.

      Le piquant fut les discussions auxquelles mon père et ma tante Elisabeth se livraient sur les auteurs présumés de la révolte. Il me semble que je contai tout à ma sœur Pauline, qui était mon amie.

      Le lendemain, à l'Ecole centrale, Monval (depuis colonel et méprisé), qui ne m'aimait pas, me dit:

      «Hé bien! toi et les tiens vous avez tiré un coup de pistolet sur l'arbre de la Fraternité!»

      Le délicieux fut d'aller contempler l'état de l'écriteau: il était criblé.

      Les sceptres, couronnes et autres attributs vaincus étaient peints au midi, du côté qui regardait l'arbre de la Liberté. Les couronnes, etc., étaient peintes en jaune clair sur du papier tendu sur une toile ou sur une toile préparée pour la peinture à l'huile.

      Je n'ai pas pensé à cette affaire depuis quinze ou vingt ans. J'avouerai que je la trouve fort belle. Je me répétais souvent, avec enthousiasme, dans ce temps-là, et j'ai encore répété, il n'y a pas quatre jours, ce vers d'Horace:

      Albe vous a nommé, je ne vous connais plus!

      Cette action était bien d'accord avec cette admiration.

      Le singulier, c'est que je n'aie pas tiré moi-même le coup de pistolet; mais je ne pense pas que ç'ait été par prudence blâmable. Il me semble, mais je l'entrevis d'une façon douteuse et comme à travers un brouillard, que Treillard, qui arrivait de son village (Tullins, je pense86), voulut absolument tirer le coup de pistolet comme pour se donner le droit de bourgeoisie parmi nous87.

      En écrivant ceci, l'image de l'arbre de la Fraternité apparaît à mes yeux, ma mémoire fait des découvertes. Je crois voir que l'arbre de la Fraternité était environné d'un mur de deux pieds de haut garni de pierre de taille et soutenant une grille de fer de cinq ou six pieds de haut88.

      Jomard89 était un gueux de prêtre, comme plus tard Ming, qui se fit guillotiner pour avoir empoisonné son beau-père, un M. Martin, de Vienne, ce me semble, ancien membre du Département, comme on disait. Je vis juger ce coquin-là, et ensuite guillotiner. J'étais sur le trottoir, devant la pharmacie de M. Plana.

      Jomard avait laissé croître sa barbe, il avait les épaules drapées dans un drap rouge, comme parricide.

      J'étais si près qu'après l'exécution je voyais les gouttes de sang se former le long du couteau avant de tomber. Cela me fit horreur, et pendant je ne sais combien de jours je ne pus manger de bouilli (bœuf).

       CHAPITRE XXXIV 90

      Je crois que j'ai expédié tout ce dont je voulais parler avant d'entrer dans le dernier récit que j'aurai à faire des choses de Grenoble, je veux dire de ma cascade dans les mathématiques.

      Mlle Kably était partie depuis longtemps et il ne m'en restait plus qu'un souvenir tendre; Mlle Victorine Bigillion était beaucoup à la campagne; mon seul plaisir en lecture était Shakespeare et les Mémoires de Saint-Simon, alors en sept volumes, que j'achetai plus tard en douze volumes, avec les Caractères de91, passion qui a duré comme celle des épinards en physique et qui est aussi forte pour le moins à cinquante-trois92 qu'à treize ans.

      J'aimais d'autant plus les mathématiques que je méprisais davantage mes maîtres, MM. Dupuy et Chabert. Malgré l'emphase et le bon ton, l'air de noblesse et de douceur, qu'avait M. Dupuy en adressant la parole à quelqu'un, j'eus assez de pénétration pour deviner qu'il était infiniment plus ignare que M. Chabert. M. Chabert qui, dans la hiérarchie sociale des bourgeois de Grenoble, se voyait tellement au-dessous de M. Dupuy, quelquefois, le dimanche ou le jeudi matin, prenait un volume d'Euler ou de …93 et se battait ferme avec la difficulté. Il avait cependant toujours l'air d'un apothicaire qui sait de bonnes recettes, mais rien ne montrait comment ces recettes naissent les unes des autres, nulle logique, nulle philosophie dans cette tête; par je ne sais quel mécanisme d'éducation ou de vanité, peut-être par religion, le bon M. Chabert haïssait jusqu'au nom de ces choses.

      Avec ma tête d'aujourd'hui, j'avais il y a deux minutes l'injustice de m'étonner comment je ne vis pas sur-le-champ le remède. Je n'avais aucun secours, par vanité mon grand-père répugnait aux mathématiques, qui étaient la seule borne de sa science presque universelle. Cet homme, ou plutôt monsieur Gagnon n'a jamais rien oublié de ce qu'il a lu, disait-on avec respect à Grenoble. Les mathématiques formaient la seule réponse de ses ennemis. Mon père abhorrait les mathématiques par religion, je crois, il ne leur pardonnait un peu que parce qu'elles apprennent à lever le plan des domaines. Je lui faisais sans cesse des copies du plan de ses biens à Claix, à Echirolles, à Fontagnier, au Chayla (vallée près …94), où il venait de faire une bonne affaire.

      Je méprisais Bezout, autant que MM. Dupuy et Chabert.

      Il y avait


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<p>81</p>

occupées à lire la Bible.– Il n'y a que H. B. qui entra chez les demoiselles Caudey; R. C. et Mante filèrent par le passage dans les greniers et atteignirent ainsi la Grande-rue (voir page 518). (Note au crayon de R. Colomb.)

<p>82</p>

et continuâmes à monter vers le passage.-Erreur. (Note au crayon de R. Colomb.)

<p>83</p>

Mante et Treillard …– Treillard n'était pas avec nous trois; voir page 518. (Note au crayon de R. Colomb.)

<p>84</p>

qui étaient entres dans la porte G …– G est la porte de la maison Gagnon sur la place Grenette et G' la porte de la même maison sur la Grande-rue.

<p>85</p>

ce ne fut pas Colomb et moi qui sortîmes …– C'était C. et Mante, qui se quittèrent à quelques pas de la porte d'allée. C. rentra chez lui, peu rassuré sur les suites de l'affaire et assez embarrassé de sa contenance. Au souper, son père, qui se trouvait dans une maison de la place Grenette, au moment où le coup fut tiré, et se doutant qu'il était pour quelque chose dans cette affaire, lui adressa une verte réprimande. M. C. et toute sa famille ayant été longtemps emprisonnés, la coopération de son fils pouvait lui être fatale. (Note au crayon de R. Colomb.)

<p>86</p>

qui arrivait de son village (Tullins, je pente) …– Bompertuis, à une lieue de Voiron. (Note au crayon de R. Colomb.)

<p>87</p>

pour se donner le droit de bourgeoisie parmi nous.– Ce fut Mante. (Note au crayon de R. Colomb.)

<p>88</p>

une grille de fer de cinq ou six pieds de haut.– Non. (Note au crayon de R. Colomb.)

<p>89</p>

Jomard …– En surcharge, de la main de R. Colomb: «Zomard.»

<p>90</p>

Le chapitre XXXIV est le chapitre XXIX du manuscrit (fol. 528 à 550; il n'y a pas de fol. 527). – Ecrit à Rome, du 24 au 26 janvier 1836.

<p>91</p>

les Caractères de …– Un mot illisible.

<p>92</p>

à cinquante-trois qu'à treize ans.– Ms.: «25 x √4 + 3.»

<p>93</p>

un volume d'Euler ou de …– Le nom a été laissé en blanc.

<p>94</p>

au Chayla (vallée près …) …– Le nom a été laissé en blanc.

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