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F. Chopin. Ференц ЛистЧитать онлайн книгу.

F. Chopin - Ференц Лист


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de modulations dont la hardiesse lui semble vertigineuse tant qu'il n'en a pas senti le lien secret, logique et esthétique à la fois, comme les transitions voulues par un style en architecture, impossibles dans un autre. En outre, les musiciens qui ne s'astreignent pas aux routines conventionnelles ont besoin plus que d'autres artistes de l'aide du temps, parce que leur art, s'attaquant aux fibres les plus délicates du cœur humain le blesse et le fait souffrir, quand il ne le charme et ne l'enchante point.

      Ce sont en premier lieu les organisations les plus jeunes et les plus vives qui, le moins enchaînées par l'attrait de l'habitude à des formes anciennes et aux sentiments qu'elles exprimaient, (attrait respectable même en ceux chez qui il est tyrannique), se prennent de curiosité, puis de passion, pour l'idiome nouveau, qui correspond naturellement par ce qu'il dit, comme par la manière dont il le dit, à l'idéal nouveau d'une nouvelle époque, aux types naissants d'une période qui va succéder à une autre. C'est grâce à ces jeunes phalanges, enthousiastes de ce qui dépeint leurs impressions et donne vie à leurs pressentiments, que le nouveau langage pénètre dans les régions récalcitrantes du public; c'est grâce à elles que celui-ci finit par en saisir le sens, la portée, la construction, et se décide à rendre justice aux qualités ou aux richesses qu'il renferme.

      Quelle que soit donc la popularité déjà acquise à une partie des productions du maître dont nous voulons parler, de celui que les souffrances avaient brisé longtemps avant sa fin, il est à présumer que dans vingt-cinq ou trente ans d'ici, on aura pour ses ouvrages une estime moins superficielle et moins légère que celle qui leur est accordée maintenant. Ceux qui dans la suite s'occuperont de l'histoire de la musique, feront sa part, et elle sera grande, à celui qui y marqua par un si rare génie mélodique, par de si merveilleuses inspirations rhythmiques, par de si heureux et de si remarquables agrandissements du tissu harmonique, que ses conquêtes seront préférées avec raison à mainte œuvre de surface plus étendue, jouée et rejouée par de grands orchestres, chantée et rechantée par une quantité de prime donne.

      Le génie de Chopin fut assez profond et assez élevé, assez riche surtout, pour avoir pu s'établir de prime abord, si non de prime saut, dans le vaste domaine de l'orchestration. Ses idées musicales furent assez grandes, assez arrêtées, assez nombreuses, pour se répartir à travers toutes les mailles d'une large instrumentation. Si les pédants lui eussent reproché de n'être point polyphone, il avait de quoi se moquer des pédants en leur prouvant que la polyphonie, tout en étant une des plus surprenantes, des plus puissantes, des plus admirables, des plus expressives, des plus majestueuses ressources du génie musical, ne représente, après tout, qu'une ressource, un mode d'expression, une des formes du style dans l'art, plus usité par tel auteur, plus général en telle époque ou tel pays, selon que le sentiment de cet auteur, de cette époque, de ce pays, en avaient plus besoin pour se traduire. Or, l'art n'étant pas là pour mettre en œuvre ses ressources en tant que ressources, pour faire valoir ses formes en tant que formes, il est évident que l'artiste n'a lieu de s'en servir que lorsque ces formes et ces ressources sont utiles ou nécessaires à l'expression de sa pensée et de son sentiment. Pour peu que la nature de son génie et celle des sujets qu'il choisit ne réclament point ces formes, n'aient pas besoin de ces ressources, il les laisse de côté comme il laisse reposer le fifre et la clarinette-basse, la grosse-caisse ou la viole d'amour quand il n'a qu'en faire.

      Ce n'est certes pas l'emploi de certains effets plus difficiles à atteindre que d'autres, qui témoigne du génie de l'artiste. Son génie se révèle dans le sentiment qui le fait chanter; il se mesure à sa noblesse, il se témoigne définitivement dans une union si adéquate du sentiment et de la forme qu'il prend, qu'on ne puisse imaginer l'un sans l'autre, l'un étant comme le revêtement naturel, l'irradiation spontanée de l'autre. Rien ne prouve mieux que les pensées de Chopin eussent pu facilement être acclimatées par lui dans l'orchestre, que la facilité avec laquelle on peut y transporter les plus belles, les plus remarquables d'entr'elles. Si donc il n'aborda jamais la musique symphonique sous aucune de ses manifestations, c'est qu'il ne le voulut point. Ce ne fut ni modestie outrée, ni dédain mal placé; ce fut la conscience claire et nette de la forme qui convenait le mieux à son sentiment, cette conscience étant un des attributs les plus essentiels du génie dans tous les arts, mais spécialement dans la musique.

      En se renfermant dans le cadre exclusif du piano, Chopin fit preuve d'une des qualités les plus précieuses dans un grand écrivain et certainement les plus rares dans un écrivain ordinaire: la juste appréciation de la forme dans laquelle il lui est donné d'exceller. Pourtant, ce fait dont nous lui faisons un sérieux mérite, nuisit à l'importance de sa renommée. Difficilement peut-être un autre, en possession de si hautes facultés mélodiques et harmoniques, eût-il résisté aux tentations que présentent les chants de l'archet, les alanguissements de la flûte, les tempêtes de l'orchestre, les assourdissements de la trompette, que nous nous obstinons encore à croire la seule messagère de la vieille déesse dont nous briguons les subites faveurs. Quelle conviction réfléchie ne lui a-t-il point fallu pour se borner à un cercle plus aride en apparence, determiné à y faire éclore par son génie et son travail des produits qui, à première vue, eussent semblé réclamer un autre terrain pour donner toute leur floraison? Quelle pénétration intuitive ne révèle pas ce choix exclusif qui, arrachant certains effets d'orchestre à leur domaine habituel où toute l'écume du bruit fût venue se briser à leurs pieds, les transplantait dans une sphère plus restreinte, mais plus idéalisée? Quelle confiante aperception des puissances futures de son instrument n'a-t-elle pas présidé à cette renonciation volontaire d'un empirisme si répandu, qu'un autre eût probablement considéré comme un contresens d'enlever d'aussi grandes pensées à leurs interprètes ordinaires! Que nous devons sincèrement admirer cette unique préoccupation du beau pour lui-même qui, en faisant dédaigner à Chopin la propension commune de répartir entre une centaine de pupitres chaque brin de mélodie, lui permit d'augmenter les ressources de l'art en enseignant à les concentrer dans un moindre espace!

      Loin d'ambitionner les fracas de l'orchestre, Chopin se contenta de voir sa pensée intégralement reproduite sur l'ivoire du clavier, réussissant dans son but de ne lui rien faire perdre en énergie sans prétendre aux effets d'ensemble et à la brosse du décorateur. On n'a point encore assez sérieusement et assez attentivement apprécie la valeur du dessin de ce burin délicat, habitué qu'on est de nos jours à ne considérer comme compositeurs dignes d'un grand nom que ceux qui ont laissé pour le moins une demi-douzaine d'opéras, autant d'oratorios et quelques symphonies, demandant ainsi à chaque musicien de faire tout, même un peu plus que tout. Cette manière d'évaluer le génie, qui, par essence, est une qualité, à la quantité et à la dimension de ses œuvres, si généralement répandue qu'elle soit, n'en est pas moins d'une justesse très problématique!

      Personne ne voudrait contester la gloire plus difficile à obtenir et la supériorité réelle des chantres épiques, qui déploient sur un large plan leurs splendides créations. Mais nous désirerions qu'on applique à la musique le prix qu'on met aux proportions matérielles dans les autres branches des beaux-arts et qui, en peinture par exemple, place une toile de vingt pouces carrés, comme la Vision d'Ezéchiel ou le Cimetière de Ruysdaël, parmi les chefs-d'œuvre évalués plus haut que tel tableau de vaste dimension, fût-il d'un Rubens ou d'un Tintoret. En littérature, Larochefoucauld est-il moins un écrivain de premier ordre pour avoir toujours resserré ses Pensées dans de si petits cadres? Uhland et Petofi sont-ils moins des poètes nationaux, pour n'avoir pas dépassé la poésie lyrique et la Ballade? Pétrarque ne doit-il pas son triomphe à ses Sonnets, et de ceux qui ont le plus répété leurs suaves rimes en est-il beaucoup qui connaissent l'existence de son poème sur l'Afrique?

      Nous sommes certains de voir bientôt disparaître les préjugés qui disputent encore à l'artiste, n'ayant produit que des Lieder pareils à ceux de Franz Schubert ou de Robert Franz, sa supériorité d'écrivain sur tel autre qui aura partitionné les plates mélodies de bien des opéras que nous ne citerons pas! En musique aussi on finira bientôt par tenir surtout compte, dans les compositions diverses, de l'éloquence et du talent avec lesquels seront exprimés les pensées et les sentiments du poète, quels que soient du reste l'espace et les moyens employés pour les interpréter.

      Or, on


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