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Symbolistes et Décadents. Gustave KahnЧитать онлайн книгу.

Symbolistes et Décadents - Gustave Kahn


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Je l'avais un peu remarqué à cause de sa tenue, et aussi pour cette particularité; qu'il semblait ne pas venir là pour autre chose que pour écouter des vers, ses tranquilles yeux gris s'éclairaient et ses joues se rosaient quand les poëmes offraient le plus petit intérêt. Nous causâmes, tandis que Joseph Gayda, sur le tréteau, assurait qu'il ne voulait plus aimer que des femmes de pierre, et à la dispersion nous remontâmes un peu par les rues. Il m'apprit qu'il se voulait consacrer à l'histoire de l'art et il méditait aussi un drame sur Savonarole. Il fut convenu que nous nous reverrions; nous nous montrâmes nos bagages littéraires, le sien consistait en une petite étude lyrique sur Watteau et quelques sonnets infiniment impeccables, et écrits sur des phénomènes de la rue, des enfants dont la chemise passe, et les points les plus élevés d'une sérieuse cosmogonie. Il prêta une oreille attentive à mes idées de rhythmique, à qui il voulut tout de suite considérer une grande portée; pourtant il continua quelque temps encore à écrire des sonnets, il en fit un petit volume, je ne les connus pas tous, je crois que trop précipitamment il les détruisit. Il m'en dit quelques-uns, en réciprocité de mes essais, en de longues promenades à pied que nous faisions dans les coins excentriques de Paris, trace indéniable d'une influence naturaliste qui s'apalissait.

      C'est un de mes plus chers souvenirs que celui de ces après-midi de l'été 1880. Ce cerveau de jeune sage, d'une étonnante réceptivité, d'une extrême finesse à saisir les rapports, les analogies, m'intéressait infiniment. Au cours des promenades, où un livre à la main, quelque mauvais Taine d'art ou quelque bouquin de philosophie lui paraissait nécessaire à son maintien, nous échangeâmes des idées.

      Il me montra des bouddhismes à travers Cazalis, je lui révélais Corbière que je venais de découvrir dans les conversations d'un de ses petits cousins qui signait Pol Kalig des vers légers, essayait de faire connaître les Amours Jaunes, et y réussissait plutôt peu. Nous le trouvâmes admirable pour des raisons diverses. Laforgue me vantait Anatole France dont il admirait le Livre de mon ami et Bourget dont il goûtait des curiosités; il y avait bien des divergences mais l'unité s'était faite sur une réforme jugée généralement nécessaire de toutes, d'un côté au nom du vers libre, de l'autre au nom de la philosophie de l'Inconscient.

      Au milieu de tous ces soucis littéraires j'avais fort délaissé les écoles du gouvernement qui devaient me couvrir du service militaire. Aussi m'embarquai-je un beau jour avec une flopée de mes concitoyens pour aller servir ma patrie dans les Afriques. Laforgue m'écrivait et m'envoyait des vers, je lui en rétorquai plus rarement, le maniement du fusil étant peu conciliable avec celui de la plume; mon vers s'alourdissait, s'uniformisait, le sien se libérait; mes corbeaux de bagne ne valaient pas ses oiseaux libres, et mes corbeaux étaient rares; je ne les ai jamais publiés, les voyant avec des yeux clairs. Je n'eus guère là-bas de vie littéraire, sauf un jour un brusque rappel. Le service télégraphique m'employait, et un jour, en dépaquetant des ustensiles que me faisait parvenir l'administration, imprimés, ou bandes, je regardais les papiers d'enveloppe; une page de la Vie Moderne me tomba sous les yeux; la Vie Moderne c'était le souvenir d'une exposition Monet, d'un journal où Emile Bergerat m'avait accepté un méchant article qu'il n'avait jamais fait passer. Je regardais la feuille et j'y vis un poème en vers libres, ou typographié tel, poème en prose ou en vers libres, selon le gré, très directement ressemblant à mes essais. Il était signé d'une personne qui me connaissait bien, et voulait bien, moi absent, se conformer étroitement à mon esthétique; je faisais école.

      Mais ce petit point tunisien, où je goûtais quelque indépendance, étant logé assez loin du camp, dans un petit village arabe, était si tranquille, si loin de tout mouvement, de toute pensée; la mer y était si belle et si tranquille, avec un chenal où on pouvait se promener avec de l'eau jusqu'aux épaules comme sur le boulevard; il avait une si jolie petite place, avec un café maure, dont le cafetier était en même temps le gardien de la prison, laquelle différait des autres prisons en ce que sa porte était trouée d'un trou où un homme de corpulence moyenne pouvait facilement passer, que un quart d'heure après ce heurt de sentiments divers je n'y pensais plus et je passais une dépêche où le mercanti X demandait au mercanti Z une certaine quantité de denrées, ou bien je donnais une leçon de français au fils de mon surveillant de télégraphe ou bien j'allais chasser à l'oiseau de mer, je ne m'en souviens plus. Je chassais alors pour tuer le temps beaucoup plus que le gibier, et entre temps je pouvais, dans la Syrte creuse, me jouer du piano et me déchiffrer les partitions nouvelles sur un clavecin que mettait obligeamment à ma disposition le chef du service des renseignements, le lieutenant Du Paty de Clam.—C'était ma distraction avec la vue de la mer, le passage hebdomadaire d'un steamer au large, et la vue d'indigènes qui pêchaient dans des claies, avec des tridents mythologiques.

      A ma rentrée en France, à l'automne de 1885, Paris m'y parut un Eden grelottant et quelque paradis où, dans la lumière indécise des cinq heures, des lampes ardentes allumaient partout derrière les glaces des mirages d'Hespérides. Littérairement, tout était changé. Mallarmé montait les premiers degrés de la gloire, ses mardis soirs étaient suivis avec tant de recueillement qu'on eût dit vraiment, dans le bon sens du mot, une chapelle à son quatrième de la rue de Rome. Il y avait un peu, dans l'empressement joyeux qu'on mettait à le visiter, en même temps que de la très bien intentionnée curiosité, un peu de la joie qu'on éprouve à aller voir un prestidigitateur très supérieur, ou un prédicateur célèbre. Oui, on eût cru, à certains soirs, être dans une de ces églises au cinquième, ou au fond d'une cour, où la manne d'une religion nouvelle est communiquée à des adeptes qui doivent, pour entrer, montrer patte blanche; la patte blanche là c'était un poème ou la présentation par un accueilli déjà depuis quelque temps.

      Mallarmé n'avait pas changé d'une ligne, il y avait seulement une génération nouvelle. On a, avec raison, expliqué cette influence de Mallarmé, en plus de la beauté de son œuvre, par sa prestigieuse conversation, souple, signifiante, chatoyante, colorée. Elle était d'une abondance stylisée, d'une élégance nourrie, d'une nouveauté pleine de paillettes rares. De plus, Mallarmé, et ce fut un des secrets de l'affection qu'il provoqua, Mallarmé savait admirablement écouter. Il n'est point de plan littéraire, génial ou biscornu, qui ne lui ait été communiqué, et les beaux projets éveillaient un clairvoyant enthousiasme, les erreurs il les accueillait avec une urbanité qui voilait très peu un conseil toujours pratique et bienfaisant. Mallarmé me mit au courant; le vers, on n'y touchait point, sauf Verlaine en quelques fantaisies qui allaient paraître dans Jadis et Naguère, au contraire, on raffinait. On inscrivait des rondels dans des sonnets, des sonnets dans des poèmes; quant au poème en prose, il y avait eu, me dit Mallarmé, un mouvement de ce côté, auquel je n'étais pas étranger, et sans qu'il prétendît que de beaux poèmes en prose, qui paraissaient alors dans les quotidiens, avec quelques éléments rythmiques pareils aux miens, me dussent quelque chose dans les détails, il voulait bien croire que les miens avaient été comme le léger coup de doigt sur un tambour qui fait partir à côté une foule de tambours sous des roulements savants.

      Laforgue avait terminé ses jolies Complaintes, si tendrement, si généreusement angoissées; Cros montait tous les jours vers le Chat noir, il y avait suivi les Hydropathes et se laissait sombrer. Moi, je rapportais quelques textes que, malgré les conseils réitérés de Laforgue, je résolus de ne point publier, les voulant considérer comme des préludes insuffisants. Je rapportais aussi quelques idées très nettes.

       D'abord, je m'étais rendu compte de la parfaite imperméabilité des masses populaires vis-à-vis de la littérature de nos aînés, et leur art m'apparaissait bâtard, incapable de satisfaire le populaire, incapable de charmer l'élite; comme il fallait d'abord reforger l'instrument, ce dont les masses s'occupent fort peu, les premiers efforts pouvaient être dirigés de façon, non pas à plaire à l'élite, mais à la guider. De là, le manque de concessions, même typographiques, dans mes premiers écrits publiés. Le premier critérium, le seul, était de me satisfaire moi-même; me satisfaisant moi-même j'étais sûr de plaire, soit tout de suite, soit avec d'inévaluables délais à ceux de ma sorte, et cela me suffisait. Cette base esthétique, chez moi, n'a pas changé, et si je ne rencontre plus le reproche d'incompréhensibilité, c'est que l'évolution a marché.

      Une autre idée s'était enracinée


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