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Madame Chrysanthème. Pierre LotiЧитать онлайн книгу.

Madame Chrysanthème - Pierre Loti


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service par terre;—et ce paysage entrevu par la véranda, cette pagode perchée dans les nuages;—et cette préciosité qui est partout, même dans les choses. C'est si bien cela aussi, cette voix mélancolique de femme, qui continue de se faire entendre derrière la cloison de papier; c'est ainsi évidemment qu'elles devaient chanter, ces musiciennes que j'avais vues jadis peintes en couleurs bizarres sur papier de riz et fermant à demi leurs petits yeux vagues, au milieu de fleurs trop grandes. Je l'avais deviné, ce Japon-là, bien longtemps avant d'y venir. Peut-être pourtant, dans la réalité, me semble-t-il diminué, plus mièvre encore, et plus triste aussi,—sans doute à cause de ce suaire de nuages noirs, à cause de cette pluie....

      En attendant M. Kangourou (qui va arriver, paraît-il, qui s'habille), faisons la dînette.

      Dans un bol des plus mignons, orné de cigognes envolées, il y a un potage invraisemblable, aux algues. Ailleurs, des petits poissons secs au sucre, des crabes au sucre, des haricots au sucre, des fruits au vinaigre et au poivre. Tout cela atroce, mais surtout imprévu, inimaginable. Elles me font manger, les petites femmes, riant beaucoup, de ce rire perpétuel, agaçant, qui est le rire japonais,—manger à leur manière, avec de gentilles baguettes et un doigté plein de grâce. Je m'habitue à leurs figures. L'ensemble de tout cela est raffiné,—d'un raffinement très à côté du nôtre par exemple, que je ne puis guère bien comprendre à première vue, mais qui à la longue finira peut-être par me plaire.

      ...Entre tout à coup, comme un papillon de nuit réveillé par le plein jour, comme une phalène rare et surprenante, la danseuse d'à côté, l'enfant qui portait le masque sinistre. C'est pour me voir sans doute. Elle roule des yeux de chatte craintive; puis, apprivoisée tout de suite, vient s'appuyer contre moi, avec une câlinerie de bébé qui sonne adorablement faux. Elle est mignonne, fine, élégante; elle sent bon. Drôlement peinte, blanche comme du plâtre, avec un petit rond rose bien régulier au milieu de chaque joue; la bouche carminée et un peu de dorure soulignant la lèvre inférieure. Comme on n'a pas pu blanchir la nuque, à cause des cheveux follets qui sont nombreux, on a, par amour de la correctitude, arrêté là le plâtrage blanc en une ligne droite que l'on dirait coupée au couteau; il en résulte, derrière son cou, un carré de peau naturelle, qui est très jaune....

      Un son impérieux de guitare derrière la cloison, un appel évidemment! Crac, elle se sauve, la petite fée, s'en va retrouver les imbéciles d'à côté.

      Si j'épousais celle-ci, sans chercher plus loin? Je la respecterais comme un enfant à moi confié; je la prendrais pour ce qu'elle est, pour un jouet bizarre et charmant. Quel amusant petit ménage cela me ferait! Vraiment, tant qu'à épouser un bibelot, j'aurais peine à trouver mieux....

      Entrée de M. Kangourou. Complet en drap gris, de la Belle-Jardinière ou du Pont-Neuf, chapeau melon, gants de filoselle blancs. Figure à la fois rusée et niaise; presque pas de nez, presque pas d'yeux. Révérence à la japonaise: plongeon brusque, les mains posées à plat sur les genoux, le torse faisant angle droit avec les jambes comme si le bonhomme se cassait; petit sifflement de reptile (que l'on produit en aspirant la salive entre les dents et qui est le dernier mot de la politesse obséquieuse dans cet empire).

      —Vous parlez français, monsieur Kangourou?

      —Vi! Missieu!

      Nouvelle révérence.

      Il m'en fait pour chaque mot que je dis, comme s'il était un pantin à manivelle; quand il est assis devant moi par terre, cela se borne à un plongeon de la tête,—accompagné toujours du même bruit sifflant de salive.

      —Une tasse de thé, monsieur Kangourou?

      Nouveau salut et geste très précieux des mains, comme pour dire: «J'oserais à peine; c'est trop de condescendance de votre part.... Enfin, pour vous obéir...»

      Il a deviné, aux premiers mots, ce que j'attends de lui:

      —Sans doute, répond-il, nous allons nous occuper de cela; dans une huitaine de jours précisément une famille de Simonosaki, où il y a deux filles charmantes, doit arriver....

      —Comment, dans une huitaine de jours! Vous me connaissez mal, monsieur Kangourou! Non, non, ce sera tout de suite, demain ou pas du tout.

      Encore une révérence sifflante, et Kangourou-San, gagné par mon agitation, se met à passer en revue fiévreusement toutes les jeunes personnes disponibles à Nagasaki:

      —Voyons,—il y avait bien mademoiselle Oeillet.... Oh! quel dommage que je n'aie pas parlé deux jours plus tôt! Si jolie, si habile à jouer de la guitare.... C'est un irréparable malheur: elle a été prise avant-hier par un officier russe....

      »Ah! mademoiselle Abricot!—Cela ferait-il mon affaire, cette demoiselle Abricot? C'est la fille d'un riche marchand de porcelaines du bazar de Décima; une personne d'un grand mérite, mais elle coûterait fort cher: ses parents, qui en font beaucoup de cas, ne la céderaient pas à moins de cent yen* par mois. Elle est très instruite, sait couramment l'écriture commerciale et possède, au bout des doigts, plus de deux mille caractères d'écriture savante. Dans un concours de poésie, elle est arrivée première avec un morceau composé à la louange des petites fleurs blanches des haies vues à la rosée du matin. Seulement elle n'est pas très jolie de visage; un de ses yeux est moins grand que l'autre—et un trou lui est resté dans une joue, d'un mal qu'elle avait eu étant enfant....

      *Un yen vaut 5 francs.

      —Oh! non, alors, de grâce, pas elle. Cherchons parmi les jeunes personnes moins distinguées, mais n'ayant pas de cicatrice. Et celles qui sont là, à côté, en belles robes brodées d'or? Par exemple, la danseuse au masque de spectre, monsieur Kangourou?? ou encore celle qui chante d'une voix si douce et dont la nuque est si jolie???

      Il ne comprend pas bien d'abord de qui il s'agit; puis, quand il a compris, secouant la tête, presque moqueur, il dit:

      —Non, Missieu, non! Ce sont des Guéchas*, Missieu,—des Guéchas!

      *Guéchas, chanteuses et danseuses de profession formées au Conservatoire de Yeddo.

      —Eh bien, mais, pourquoi donc pas des Guéchas? qu'est-ce que cela peut me faire, à moi, qu'elles soient des Guéchas?—Plus tard, quand je serai mieux au courant des choses japonaises, peut-être apprécierai-je moi-même l'énormité de ma demande: on dirait vraiment que j'ai parlé d'épouser le diable....

      Mais voici M. Kangourou qui se rappelle tout à coup une certaine mademoiselle Jasmin.—Mon Dieu, comment donc n'y avait-il pas songé tout de suite; mais c'est absolument ce qu'il me faut; il va dès demain, dès ce soir, faire des ouvertures aux parents de cette jeune personne, qui demeurent fort loin d'ici sur la colline d'en face dans le faubourg de Diou-djen-dji. C'est une demoiselle très jolie, d'une quinzaine d'années. On l'aurait probablement à dix-huit ou vingt piastres par mois, à la condition de lui offrir quelques robes de bon goût et de la loger dans une maison agréable et bien située,—ce qu'un galant homme comme moi ne peut manquer de faire.

      Va pour mademoiselle Jasmin,—et séparons-nous, l'heure presse. M. Kangourou viendra demain à mon bord me communiquer le résultat de ses premières démarches et se concerter avec moi pour l'entrevue. De rétribution, il n'en acceptera aucune pour le moment, mais je lui donnerai mon linge à blanchir et je lui procurerai la clientèle de mes camarades de la Triomphante.

      C'est entendu.

      Saluts profonds,—on me rechausse à la porte.

      Mon djin, profitant de cet interprète que la chance lui a mis sous la main, se recommande à moi pour l'avenir: sa station est justement sur le quai; son numéro est 415, écrit en chiffres français sur la lanterne de sa voiture (à bord, nous avons 415 Le Goêlec, fusilier, servant de gauche à l'une de mes pièces; c'est bon, je retiendrai cela); son tarif est douze sous la course et dix sous l'heure, pour les habitués.—A merveille, il aura ma pratique, c'est promis.—Allons-nous-en. Les servantes, qui m'ont reconduit, tombent à quatre pattes pour le salut final et restent


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