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Le Journal d'une Femme de Chambre. Octave MirbeauЧитать онлайн книгу.

Le Journal d'une Femme de Chambre - Octave  Mirbeau


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      L'épicière ne dit rien... Elle a l'air gêné... Sans doute qu'elle fournit le notaire... Adroitement elle interrompt les imprécations de Rose.

      —J'espère que mademoiselle Célestine voudra bien accepter un petit verre de cassis avec ces demoiselles?... Et vous, mam'zelle Rose?...

      Cette invitation calme toutes les colères, et, tandis que d'un placard elle retire une bouteille et des verres que Rose dispose sur la table, les yeux s'allument et les langues passent, effilées, sur les lèvres gourmandes...

      En partant, l'épicière me dit, aimable et souriante:

      —Ne faites pas attention, parce que vos maîtres ne prennent rien chez moi... Il faudra revenir me voir...

      Je rentre avec Rose qui achève de me mettre au courant de la chronique du pays... J'aurais cru que son stock d'infamies dût être épuisé... Nullement... Elle en trouve, elle en invente de nouvelles et de plus épouvantables... Ses ressources dans la calomnie sont infinies... Et sa langue va toujours, sans un arrêt... Tous et toutes y passent ou y reviennent. C'est étonnant ce qu'en quelques minutes on peut déshonorer de gens, en province... Elle me reconduit ainsi jusqu'à la grille du Prieuré... Là, elle ne peut pas se décider à me quitter... parle encore... parle sans cesse, cherche à m'envelopper, à m'étourdir de son amitié et de son dévoûment... Moi, j'ai la tête cassée par tout ce que j'ai entendu, et la vue du Prieuré me donne au coeur comme un découragement... Ah! ces grandes pelouses sans fleurs!... Et cette immense bâtisse qui a l'air d'une caserne ou d'une prison et où il me semble que, derrière chaque fenêtre, un regard vous espionne!...

      Le soleil est plus chaud, la brume a disparu, et le paysage, là bas, se fait plus net... Au delà de la plaine, sur les coteaux, j'aperçois de petits villages qui se dorent dans la lumière, égayés de toits rouges; la rivière à travers la plaine, jaune et verte, luit çà et là en courbes argentées... Et quelques nuages décorent le ciel de leurs fresques légères et charmantes... Mais je n'éprouve aucun plaisir à contempler tout cela... Je n'ai plus qu'un désir, une volonté, une obsession, fuir ce soleil, cette plaine, ces coteaux, cette maison et cette grosse femme, dont la voix méchante m'affole et me torture.

      Enfin, elle se dispose à me laisser... me prend la main et la serre, affectueusement, dans ses gros doigts gantés de mitaines. Elle me dit:

      —Et puis, ma petite, vous savez, madame Gouin, c'est une femme bien aimable... et bien droite... Il faudra la voir souvent...

      Elle s'attarde encore... et avec plus de mystère:

      —Elle en a soulagé, allez, des jeunes filles!... Dès qu'on s'aperçoit de quelque chose... on va la trouver... Ni vu, ni connu... On peut se fier à elle... ça, je vous le dis... C'est une femme très... très savante...

      Les yeux plus brillants, son regard attaché sur moi, avec une ténacité étrange, elle répète:

      —Très savante... et adroite... et discrète!... C'est la Providence du pays... Allons, ma petite, n'oubliez pas de venir chez nous, quand vous pourrez... Et allez, souvent, chez madame Gouin... Vous ne vous en repentirez pas... A bientôt... à bientôt!...

      Elle est partie... Je la vois qui, de son pas en roulis, s'éloigne, longe, énorme, le mur puis la haie... et brusquement s'enfonce dans un chemin où elle disparaît...

      Je passe devant Joseph, le jardinier-cocher, qui ratisse les allées... Je crois qu'il va me parler; il ne me parle pas... Il me regarde seulement d'un air oblique, avec une expression singulière qui me fait presque peur...

      —Un beau temps, ce matin, monsieur Joseph...

      Joseph grogne je ne sais quoi entre ses dents...

      Il est furieux que je me sois permis de marcher dans l'allée qu'il ratisse...

      Quel drôle de bonhomme, et comme il est mal appris... Et pourquoi ne m'adresse-t-il jamais la parole?... Et pourquoi ne répond-il jamais, non plus, quand je lui parle?

      A la maison, Madame n'est pas contente... Elle me reçoit très mal, me bouscule:

      —A l'avenir, je vous prie de ne pas rester si longtemps dehors...

      J'ai envie de répliquer, car je suis agacée, irritée, énervée... mais, heureusement, je me contiens... Je me borne à bougonner un peu.

      —Qu'est-ce que vous dites?...

      —Je ne dis rien...

      —C'est heureux... Et puis, je vous défends de vous promener avec la bonne de M. Mauger... C'est une très mauvaise connaissance pour vous... Voyez... tout est en retard, ce matin, à cause de vous...

      Je m'écrie, en dedans:

      —Zut!... zut!... et zut!... Tu m'embêtes... Je parlerai à qui je veux... je verrai qui me plaît... Tu ne me feras pas la loi, chameau...

      Il a suffi que j'entende sa voix aigre, que je retrouve ses yeux méchants et ses ordres tyranniques, pour que fût effacée instantanément l'impression mauvaise, l'impression de dégoût que je rapportais de la messe, de l'épicière et de Rose... Rose et l'épicière ont raison; la mercière aussi a raison... elles ont toutes raison... Et je me promets de voir Rose, de la voir souvent, de retourner chez l'épicière.... de faire de cette sale mercière ma meilleure amie... puisque Madame me le défend... Et je répète intérieurement, avec une énergie sauvage:

      —Chameau!... chameau!... chameau!...

      Mais j'eusse été bien mieux soulagée si j'avais eu le courage de lui jeter, de lui crier, en pleine face, cette injure...

      Dans la journée, après le déjeuner, Monsieur et Madame sont sortis en voiture. Le cabinet de toilette, les chambres, le bureau de Monsieur, toutes les armoires, tous les placards, tous les buffets sont fermés à clé... Qu'est-ce que je disais?... Ah bien... merci!... Pas moyen de lire une lettre, et de se faire des petits paquets...

      Alors, je suis restée dans ma chambre... J'ai écrit à ma mère, à monsieur Jean, et j'ai lu: En famille... Quel joli livre!... Et qu'il est bien écrit!... C'est drôle, tout de même... j'aime bien entendre des choses cochonnes... mais je n'aime pas en lire... Je n'aime que les livres qui font pleurer...

      Au dîner, on a servi le pot-au-feu... Il m'a semblé que Monsieur et Madame étaient en froid. Monsieur a lu le Petit Journal avec une ostentation provocante... Il froissait le papier, en roulant de bons yeux, comiques et doux... Même quand il est en colère, les yeux de Monsieur restent doux et timides. A la fin, sans doute pour engager la conversation, Monsieur, toujours le nez sur son journal, s'est écrié:

      —Tiens!... Encore une femme coupée en morceaux...

      Madame n'a rien répondu... Très raide, très droite, austère dans sa robe de soie noire, le front plissé, le regard dur, elle n'a pas cessé de songer... A quoi?...

      C'est peut-être à cause de moi que Madame boude Monsieur...

       Table des matières

      26 septembre.

      Depuis une semaine, je ne puis plus écrire une seule ligne de mon journal... Quand vient le soir, je suis éreintée, fourbue, à cran... Je ne pense plus qu'à me coucher et dormir... Dormir!... Si je pouvais toujours dormir!...

      Ah! quelle baraque, mon Dieu! Rien n'en peut donner l'idée.

      Pour un oui, pour un non, Madame vous fait monter et descendre les deux maudits étages... On n'a même pas le temps de s'asseoir dans la lingerie, et de souffler un peu que... drinn!... drinn!... drinn!... il faut se lever et repartir... Cela ne fait rien qu'on soit indisposée... drinn!... drinn!... drinn!... Moi, dans ces moments-là, j'ai aux reins des douleurs qui me plient en deux, qui me tordent


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